The Project Gutenberg EBook of Le trésor de la cité des dames de degré en
degré et de tous estatz, by Christine de Pisan

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Title: Le trésor de la cité des dames de degré en degré et de tous estatz

Author: Christine de Pisan

Release Date: September 13, 2008 [EBook #26608]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TRESOR DE LA CITE ***




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Le tresor de la cité des dames de degré en degré: et de tous estatz selon dame cristine

[Illustration]

Prologue.

Et si par divin vouloir l'estat de majesté royalle & de seigneurie est eslevé sur tous estatz mondains & que a la conduyte & doctrine d'iceluy soit regi & gouverné le petit & menu peuple pour au monde estre en union paix & concorde / bien licite est & convenable que ceulx et celles tant femmes comme hommes que dieu a establis es haulx sieges de puissance & domination de tant plus soient mieulx moriginés que autre gent & aornés de belles doctrines & de bonnes meurs affin que la reputation de eulx en soit plus venerable / & que comme ilz sont ensuys et imitez aux choses mondaines et temporelles / pareillement en vie spirituelle soient a toutes gens miroir & exemple de toutes beneuretez & faitz vertueux. Et pource ma treschiere & tressouveraine dame Anne Royne de france treschrestienne que vostre tresbenigne et royalle majesté tousjours desire veoir bonnes choses et vertueuses. Je vostre treshumble et tresobeissant serviteur a l'honneur & magnificence de vostre trestriumphante souveraine je ay fait le livre des trois dames de vertus / c'est assavoir Raison droicture & justice souveraines dames de la noble cité des dames de vertus. Lequel livre fist & composa tresredoubtee dame cristine a l'enseignement et exhortacion des Roynes haultes dames et princesses par le commandement d'icelles nobles vertus. Ad ce que lesdictes Roynes haultes dames & princesses soyent convocquees a estre souveraines citoyennes / et comme telles mises & fichees en la noble cité des dames de vertus. Et a l'exemple d'icelles les aultres dames / damoiselles / bourgoises et femmes de commun peuple. Et si demontre comment les bonnes princesses doivent aymer et craindre dieu pour le premier et principal enseignement. Et qu'elles doivent prendre le bon & saint advertissement qui vient pour l'amour & crainte de nostreseigneur. Avecques plusieurs beaulx & vertueux enseignemens contenus en celuy livre. Ainsi que vostre tresglorifique et beneuree dignité en lisant le livre ou faisant lire par maniere de recreation pourra veoir & congnoistre.

¶ Or dit dame cristine.

Aprés ce que j'eus edifié a l'aide & par le commandement des trois dames de vertus / c'est assavoir Raison droicture & justice la cité des dames par la forme & maniere que au contenu de ladicte cité est declairé. Je comme personne, travaillee de si grant labeur avoir accomply et mis sus mes membres & mon corps lassé pour cause du long & continuel excercite estant en oyseuse et querant repos s'apparurent a moy gueres ne tarderent les dessusdictes trois glorieuses en disant toutes trois parolles d'une mesmes substance en telle maniere. Comment fille d'estude as tu ja remis & fiché en mue l'ostil de ton entendement & delaissé en secheressse encre plume & le labour de ta main dextre auquel tant te soulois deliter. Veulx tu doncques donner oreille a la leçon de paresse qui te chantera se croyre le veulx / tu as assez fait / temps est que tu te reposes Comme ne scés / tu que doncques dit / que quoy que l'entendement du sage aprés grant labeur se repose. Si n'est il nul temps remis d'aulcune bonne oeuvre / non mie a toy appartient estre au mombre d'iceulx qui emmy chemin sont trouvés recreans. Male honte ayt chevalier qui se despart de la bataille ains la fin de la victoire. Car a ceulx appartient la couronne de lorier qui perseverent. Or sus baille ta main dresse toy / plus ne soyes accopie en la pouldriere de recreantise. Entens nos sermons et tu feras bonne oeuvre / nous ne sommes encores ressasiees ou saoulees de te mettre en besongne comme chamberiere de nos vertueux labours avons advisé preparlé & conclud au conseil de vertu et a l'exemple de dieu qui au commencement du siecle qu'il eut creé vit son oeuvre bonne / la beneist. Puis fist homme & femme & les animaulx. Ainsi nostredicte oeuvre precedente / ceste de la cité des dames qui est bonne & utile soit benie et exaulcee par tout l'universel monde que encores a l'acroissement d'icelle nous plaist que tout ainsi comme le sage oyseleulx apppreste sa cage ains qu'il prengne ses oyselons. Voulons que aprés ce que le heberge des dames honnorees est faicte et preparee soyent semblablement que devant par tout ayde pourpensés faitz & quis engins trebuchetz & rethz beaulx & nobles laciez & ouvrez a neudz d'amours que nous te livrerons & tu les estendras par la terre es lieux & es places et es angletz par ou les dames & generallement toutes femmes passent et courent affin que celles qui sont farouches et dures a dominer puissent estre happees prinses & trebuchees en nos latz si que nulle ou pou qui s'embate ne puisse eschapper & que toutes ou la plus grant partie d'elles soyent fichees en la caige de nostre glorieuse cité / ou le doulx chant aprengnent de celles qui desja y sont hebergees comme souveraines / et qui sans cesser deschantent alleluya avecques la teneur des beneurés anges. Lors moy christine oyant les voix series de mes tresreverables maistresses remplye de joye en tressaillant / tost me dreçay & agenoillee devant elles m'offry a l'obeissance de leurs dignes vouloirs. Et adonc je receu d'elles tel commandement. Pren ta plume & escrips. Beneurez seront celles qui habiteront en nostre cité pour acroistre le nombre des cytoyens de vertu. A tout le college femenin & a leur devote religion soit notifié le sermon et la leçon de sapience. Et tout premierement aux roynes princesses & haultes dames. Et puis ensuyvant de degré en degré chanterons semblablement nostre doctrine aux autres dames en toutes les damoiselles & estatz des femmes affin que la discipline de nostre escolle puisse estre a tous vaillable.

¶ Cy finist le prologue

¶ Cy commence la table de ce present livre du tresor de la cité des dames / & contient trois parties a la premiere y a .xxvi. chapitres A la deuxiesme .xiiii. chapitres / & a la troisiesme & derniere partie xiiii. chapitres. Et premierement.

¶ Comment les haultes roynes & princesses doivent aymer & craindre dieu Chap. premier.

¶ Comment les temptations pevent venir a haulte princesse. Chapitre. ii.

¶ Comment la bonne princesse qui aymera & craindra nostreseigneur pourra resister aux temptations par divine inspiration. Chapitre. iii.

¶ Le bon & saint advertissement & congnoissance qui vient a la bonne princesse par l'amour & crainte de nostreseigneur. chap. iiii.

¶ Des deux sainctes vies / c'est assavoir de la vie active & de la vie comtemplative. chap. v.

¶ Cy devise la voye que la bonne princesse se delibere a tenir. Chapitre vi.

¶ Comment la bonne princesse vouldra attraire a soy toutes vertus. Cha. vii.

¶ Comment la saige princesse ou dame se peinera de mettre la paix entre le prince & les barons s'il y a aulcun discord. cha. viii.

¶ Des voyes de devote charité que la bonne princesse tiendra. Chapitre. ix.

¶ Des enseignemens moraulx que prudence mondaine prendra a la saige princesse. chap. x.

¶ La maniere de vivre de la saige princesse par l'admonnestement de prudence. chap. xi.

¶ Des sept principaulx enseignemens de prudence qui sont necessaires a retenir a toute princesse qui ayme honneur. le premier est comment se tiendra vers son seigneur generallement & particulierement. chap. xii.

¶ Le deuxiesme enseignement de prudence qui est comment la saige princesse se contiendra vers les parens & amys de son seigneur Chapitre. xiii.

¶ Le troisiesme enseignement de prudence qui est comment la sage princesse sera songneuse de se prendre garde sur l'estat & gouvernement de ses enfans. chap. xiiii.

¶ Le quatriesme enseignement de prudence qui est comment la princesse tiendra discrette maniere vers ceulx qui ne l'aymeront pas & qui auront envye sur elle. chap. xv.

¶ Le .v. enseignement de prudence qui est comment la sage princesse mettra peine comment elle soit en la grace & benivolence de tous les estatz de ses subjetz. chap. xvi.

¶ Le .vi. enseignement comment la sage princesse tiendra en belle ordonnance les femmes de sa court. cha. xvii.

¶ Le .vii. enseignement devise comment la sage princesse se prendra garde sur ces revenues & de ses finances & de l'estat de sa court. Chapitre. xviii.

¶ En quelle maniere se doit estendre sa largesse et liberalité de la saige princesse. chap. xix.

¶ Les excusations qui affierent aux bonnes princesses qui ne pourroyent pour aucunes causes mettre a effect les choses dessusdictes. chap. xx.

¶ Du gouvernement a la sage princesse demouree vefve. ch. xxi.

¶ De ce mesmes a l'enseignement des jeunes princesses vefves. Chapitre. xxii.

¶ Du gouvernement qui doit estre baillé & tenu a jeune princesse nouvelle mariee. chap. xxiii.

¶ Les manieres que la sage dame ou damoiselle qui a en gouvernement jeune princesse doit tenir pour maintenir sa maistresse en bonne renommee & en l'amour de son seigneur. chap. xxiiii.

¶ De la jeune haulte dame qui se vouldroit esvoyer en folle amour & l'enseignement que prudence donne a la dame ou damoiselle qui l'aura en gouvernement. chap. xxv.

¶ La maniere des lectres que la sage dame peut envoyer a sa maistresse. chapitre xxvi.

¶ Cy commence la deuxiesme partie de ce livre laquelle s'adresse aux dames & damoiselles Et premierement a celles qui demeurent a court de princesse ou haulte dame.

¶ Le premier chapitre parle comment les trois dames / c'est assavoir / raison / droicture & justice recapitullent en brief ce qui est dit devant. chap. xxvii.

¶ Des quatre pointz les deux bons a tenir / & les deux autres a eschever. & comment dames & damoiselles de court doyvent aymer leur maistresse & ce est le premier point. chap. xxviii.

¶ Le deuxiesme point qui est bon a tenir aux femmes de court qui est comment elles doyvent eschever trop d'acointances. chap. xxix.

¶ Le .iii. point qui est le premier des deux qui sont a eschever parlant de l'envye qui regne en court & dequoy elle vient. chap. xxx.

¶ De ce mesmes enseignement aux femmes comment se garderont entre elles d'avoir le vice d'envye. chap. xxxi

¶ Le .iiii. point qui est le deuxiesme des deux qui sont a eschever & parle comment femmes de court se doivent bien garder de mesdire et de quelle chose vient mesdit ne a quelle cause ne occasion. Chapitre. xxxii

¶ De mesmes comment femmes de court se doyvent bien garder de dire mal de leur maistresse. chap. xxxiii

¶ Comment il ne appartient a femmes de diffamer l'une l'autre ne dire mal. chap. xxxiiii.

¶ Des dames baronnesses la maniere du sçavoir qui leur appartient. chap. xxxv.

¶ Comment il appartient que les dames & damoiselles qui demeurent sur les manoirs se gouvernent au fait de mesnage. ch. xxxvi.

¶ Des dames qui sont oultrageuses en leurs habitz atours et habillemens. chap. xxxvii.

¶ Contre l'orgueil d'aucunes. chap. xxxviii

¶ Des manieres qui appartiennent a dames de religion. c. xxxix.

¶ Cy commence la tierce partie.

¶ Comment tout ce qui est dit devant peut toucher aussi bien les unes comme les autres des femmes & de la maniere & gouvernement que femme d'estat doit tenir au fait de son mesnage. Chapitre. xl.

¶ Comment femmes d'estat doivent estre ordonnees en leur habit et comment se garderont de ceulx qui tachent a les decevoir. Chapitre. xli.

¶ Des femmes des marchans. chap. xlii.

¶ Des femmes vefves vieilles & jeunes. chap. xliii.

¶ Des jeunes filles & vieilles estans en l'estat de virginité. Chapitre. xliiii.

¶ Comment anciennes femmes se doyvent maintenir vers les jeunes & des meurs que avoir doyvent. chap. xlv

¶ Comment jeunes femmes se doivent maintenir vers les anciennes. chap. xlvi.

¶ Des femmes des mestiers / comment gouverner se doyvent. Chapitre. xlvii.

¶ Des femmes servantes & chamberieres. chap. xlviii

¶ Des femmes de folle vie. chap. xlix.

¶ Des femmes honnestes & chastes. chap. l.

¶ Des femmes des laboureurs. chap. li.

¶ De l'estat des povres. chap. lii.

¶ La fin & conclusion du livre. chap. liii.

¶ Cy fine la table de ce present livre.

¶ Cy commence le livre que fist dame cristine pour toutes roynes haultes dames & princesses. Et premierement. Comment ilz doyvent aymer et craindre dieu. chap. premier.

De par nous troys seurs filles de dieu nommees raison / droicture / & justice. a toutes princesses empereys / roynes / duchesses / & haultes dames en domination regnans sur la terre crestienne & generalement a toutes femmes. Salut & dilection. Sçavoir faisons que comme amour charitable nous contraigne a desirer le bien & accroissement l'honneur & prosperité de l'université des femmes & a vouloir le decheement & destruction de toutes les choses qui y pourroyent empescher / sommes meuz a vous declairer & dire parolles de doctrine. Venes doncques toutes a l'escolle de sapience dames esleues es haultz estatz & n'ayez honte pour vous grandeurs de vous humilier & descendre aseoir bas pour ouÿr noz leçons. Car selon la parolle de dieu Qui se humiliera sera exaulcé quel chose est il en ce monde plus plaisant ne plus delectable a ceulx qui desirent richesses mondaines / que or & pierres precieuses. mais ne leur pourroient mye pourtant si embellir que font vertus aux corps qui desirent bien vivre. car de tant que vertus sont plus nobles pource que elles durent sans fin. & sont les tresors de l'ame qui est perpetuel & les autres passent comme fumee de tant ceulx qui le goust en sentent & assaveurent les desirent ardamment plus que autre chose mondaine ne pourroit estre desiree. Et doncques n'appartient il a ceulx & a celles qui sont assis par grace & bonne fortune es plus haultz estatz que ilz soyent servis de tresmeilleurs choses. Et pource que vertus sont les maitz de nostre table nous plaist il en distribuer premierement a celles a qui nous parlons. C'est assavoir ausdictes princesses se fera le fondement de nostre doctrine tout premierement sur l'amour de crainte de nostreseigneur. Car celuy point est le principe de sapience dont toutes les autres vertus yssent & dependent. Entendés doncques princesses & dames honnorees sur la terre comment tout premierement sur toutes choses vous advint amer & craindre nostreseigneur. Amer pourquoy pour son infinie bonté & les tresgrans benefices que vous en recevés. Et craindre pour sa divine & saincte justice qui riens ne laisse impugny. Et si ceste amour & crainte avés bien devant les yeulx / sans faulte vous estes au chemin qui conduyra au lieu dont nous vous preschons c'est assavoir aux vertus. Or est il ainsi & n'est nulle doubte que il convient que tout cueur qui bien ayme le demonstre par oeuvre. Sicomme il mesme dit en l'evangille. Les ouailles de mon pere me ayment / & je les garde Cest a dire que les creatures qui l'ayment suyvent les traces que sont de vertu & il les garde de tous perilz / doncques est il ainsi qui la princesse qui l'aymera le demonstrera si que pour quelconques charges ou occupations que elle ayt a cause de la magnificence de son estat ne se departira devant les yeulx la lumiere de droit chemin. Laquelle lumiere se combatra contre les temptations & tenebres de pechés & de vices & les vaincra & chassera selon la maniere que cy aprés est contenue.

¶ Cy devise la maniere des temptations qui pevent venir a haulte princesse. Chapitre .ii.

Quant la princesse ou haulte dame sera en son lict au matin reveillee de son somme / & elle se verra couchee en son lit mol entre souefz draps environnee de riches paremens & de toutes choses pour ayse du corps dames & damoiselles entour elle qui l'ueil n'ont a autre chose fors a adviser que riens ne lui faille de tous delices prestes de courir a elle si elle souspire tant soit soit petit / ou s'elle sonne mot / les genoulx flexis pour luy administrer tout service & obeir a tous ses commandemens. Adonc souventesfois adviendra que temptation l'assauldra qui luy chantera la leçon. Beau sire dieu est il en ce monde plus grant maistresse de toy / ne plus auctorisee. de qui dois tu tenir compte ne iroyes tu devant les autres ceste cy celle la quoy que elle soit mariee a hault prince n'est point acomparee a toy / tu es plus riche ou plus haultement en lignage / ou plus prisee pour tes enfans plus crainte et plus renommee & auctorisee pour la puissance de ton seigneur. Qui seroit ce doncques qui te oseroit faire quelconque desplaisir / ne t'en vengerois tu pas bien par telle puissance et par telle. Il n'est si grant doncques tu ne venisse bien a chief. Toutesfois tieulx & tieulx ou telles & telles ont eu arrogance contre toy & ont cuydé par leur oultrecuydance povoir a toy. & ont fait telz & telz choses en ton desplaisir & prejudice. si t'en vengeras se tu peux ung temps viendra. & a ce pourras tu moult bien faire par tel ayde & par telle puissance / mais que convient il a ce faire nul ne fait riens tant soit grant maistre ne riens n'est craint s'il n'a argent & grant finance. Si te convient mettre peine a amasser tresor affin que en ton besoing tu t'en puisses ayder / c'est le meilleur amy & plus seur moyen que tu puisses avoir. qui sera celluy qui te desobeyra mais que tu ayes largement que donner. pose que n'en donnasses se petit non. Si seroys tu voulentiers servie en esperance & attendant d'en avoir mieulx puis que renom seroit de ta richesse. Or soit elle morte qui ne tirera doncques a soy a toutes mains qui que en soy grevé ne a qui il en desplaise. Ce pourras tu bien faire mais que peine y mettes que as tu affaire si on en parle telz parleurs ne te pevent nuyre ne grever. Quel soussy doibs tu avoir. Il ne te fault sinon adviser a toutes choses qui plaire te pourront. Tu n'as que ta vie en ce monde / vis a repos / de quoy te doibs tu embesongner vins & viandes ne te pevent faillir / de ce peuz tu avoir a ta plaisance & tous autres delices. Brief il ne te fault penser fors d'avoir toute la joye et tous les esbatemens que tu pourras en ce monde. Nul n'a bon temps s'il ne le se donne / aulcune gratieuse pensee te fault avoir qui te resjouyra pour qui seras jolye / tieulx robbes tieulx paremens & tieulx joyaulx tieulx abillemens / ainsi & ainsi fais et de tel devise te fault avoir / tu n'en as nulz de si noble façon.

¶ Cy devise comment la bonne princesse qui aymera & craindra nostre seigneur pourra resister aux temptations par divine insparation. Chapitre .iii.

Toutes les choses dessusdictes ou les semblables sont les metz que temptation administre a toute creature vivant en ayse & delices / mais que fera la bonne princesse quant ainsi temptee se sentira Adoncques sauldra en place l'amour et crainte de nostre seigneur dieu jhesucrist qui luy chantera une autre leçon en disant en ceste maniere. Ha fole musarde mal advisee que as tu pensé en petit de heure avoyes oublié la congnoissance de toymesmes / ne scés tu pas bien que tu es une miserable et povre creature fresle debile & subjecte a toutes enfermetez a toutes passions maladies & autres douleurs que corps mortel peut souffrir / quel avantage as tu ne que ung autre / neant plus que auroit ung tas de terre couvert d'ung parement de celluy qui seroit soubz une povre flessoie. Ha dolente creature encline a pecher & a tout vice te veulx tu doncques mescongnoistre & oublier comment ce chetif vessel vuit de toute vertu qui tant veult d'honneurs & d'aises deffauldra & mourra en peu de terme sera viande aux vers / & aussi bien pourrira en terre que celluy de la plus povre femme qui soit & que la lasse ame n'en portera riens ne mais le bien ou le mal que le chetif corps aura commis sur terre / que te vauldront lors honneurs avoirs ne ton grant parenté desquelles choses en ce monde tu te aloses te yront ilz secourir en la peine ou tu seras si tu as mal vescu en ce monde / certes non Ainçoys tout ce dequoy tu auras mal use te tournera a ruyne Helasse dolente mieulx fust pour toy avoir usé ta vie en l'estat d'une trespovre femme que estre eslevee en tant d'estas qui seront / se tu ne t'en prens garde / la cause de ta dampnation. Car forte chose seroit d'estre entre les flammes sans brusler. Ne scés tu que dieu dist en l'evangile. que les povres seront bieneurez / et que le royaulme des cieulx est pour eulx. Et ailleurs il dist que neant plus que ung chamel chargié entreroit au pertuys de l'eguille n'iroit ung riche en paradis. O dolente tu es si aveugle que tu n'avises ton grant peril / mais ce fait le grant orgueil qui pour cause de ses vains honneurs ou tu te vois envelopé estaint en toy si toute raison que te semble il que tu ne cuydes mye seullement estre princesse ne grant dame / mais comme une droicte deesse en ce monde. Ha ce faulx orgueil comment le seuffres tu en toy et si scés par le raport de l'escripture dieu le hayt tant qu'il ne le peut souffrir. Car pour celle cause tresbucha il lucifer le prince des ennemys du ciel en enfer. Et certes aussi fera il toy se tu ne te gardes. O orgueil racine de tous maulx certainement je congnois que de toy viennent tous les aultres vices et ce puis je congnoistre en moymesmes / car pour cause de toy & non pour autre achoison je suis souvent embatue en ire desirant vengance / sicomme je pensoye nagueres. & me fais sembler que je doye estre redoubtee & prisee sur toutes les autres / & que je doye chascun supediter & que pource je ne doy riens souffrir qui me desplaise / mais tantost me venger tant soit le meffait petit. O vent perilleux en fleure de couraige boce plaine de venin & de pourriture la chair ou tu es fichee est en plus grant adventure que celle ou est la boce qui vient d'epidimie. Perverse creature tu desire vengeance pource que il te semble que es si grant que nul quoy que tu faces ne doit oser contredire ne groucier a tes vouloirs / mais ton aveuglee ygnorance conduycte d'orguelleuse arrogance te fait mecongnoistre comment toute personne soit grant ou petite qui mauvaisement use ses jours dessert que toute chose luy doye estre contraire si n'avises point en toy comment tu as desservy & dessers par la maniere que tu tiens que tu ne soyes point en la grace de maint. Par-*quoy n'est sans cause se plusieurs sont rebelles et contredisans a tes voulentés & opinions & ainsi ton tort tu n'avises point. Mais a tous propos quoy que tu faces te semble qu'il te laise a supediter toutes autres voulentes & oppinions Et si aucuns y regibent ou contredient tu les hés & pourpenses mal contre eulx & leur pourchasses en secret ou en appert sans adviser le mal & le tresgrant peril qui s'en pourroit ensuyvre a toy mesmes en ame & corps & a infinis autres / ou si tu ne leur pourchasse pource que tu ne peuz au moins leur portes tu mortel haine. En ce desloyal orgueil qui te fiche en la mer de perdicion ne te met il aussi en teste a cause des boubans pour le desirer de povoir accomplir ou tes vengences ou autres superfluités / comme tu amasseras tresors sans regard de conscience. Ha doloreux tresor c'est chose comme impossible que tu puisses estre amassé sans le prejudice de plusieurs & contre leur vouloir pour alouer maulvaisement a ton singulier vouloir. Saiches certainement & ne doubte du contraire que l'avoir acquis & amasse indeuement tu ne useras ja joyeusement. Car la ou tu l'auras assemblé en entente de l'employer en aucunes choses a ton plaisir dieu t'envoyera d'aultre costé tant d'adversité ou de maladies ou d'autre charges que il conviendra que ce mauldit tresor soit desploye & mis en usage doloreux tout au contraire de ce que tu pensoyes. que feras tu doncques de ce maudit tresor l'emporteras tu quant tu mourras. Certes non ne mais autant que tu emporteras la charge de ce que malacquis & usé l'auras. Mais regarde de rechief ou t'a bouté & empaint ce maudit orgueil pource qu'il te fait acroire que tu passez les autres en grandeur & auctorité. il fait ton cueur & de frire de paour que autre te puisse actaindre & avenir en si hault estat que tu es. Pource que il te fait tousjours desirer a estre la plus grant & s'il advient que tu voyes ou saches personne plus ou tant auctorisee ou honnoré nulle peine ne pourroit estre plus grande que le dueil que ton cueur emporte & ce te faict devenir mesdisant ireuse & rancuneuse une autre infernalle flamete te met orgueil en couraige. C'est que tu dis a toymesmes tu n'as mestier de labourer ne de riens faire il ne te fault ne mais querir tes ayses gesir grant matinee / puis aps disner & reposer visiter tes coffres a tes joyaulx & a tes paremens ce doit estre ton ouvrage. Et ainsi maleureuse forcenee creature que tu es te semble il que dieu qui a donné le temps a toute personne pour employer a bon usaige t'aye donné auctorité de le passer en oyseuse plus que ung autre. Ha meschante creature & tu as ouÿ prescher aultre-*fois que saint bernard sur cantiques dit que oysiveté est la mere de toutes truffes & la marastre des vertus. C'est celle qui mesmement l'omme fort & constant fait tresbucher en peché qui estaint toutes les vertus nourrist orgueil & fait le chemin d'enfer mais encore que advient il. Cestuy orgueil qui ainsi te fait querir tes aises / et iceulx aises qui tant nourrissent cel orgueil te font desirer les lescheries friandes en boires & en mengiers / non mye des choses communes ne de viandes acoustumees. car de ce es tu toute ennuyee / mais il fault que les queux pour te complaire & pour bien desservir leurs gages pourpensent saveurs saulces & mistions nouvelles pour plus plaire la viande a ton goust & ainsi des vins. Ha doloreuse fault il ainsi emplir ce sac qui est viande a vers & vassel de toute iniquité. Mais que en advient il quant il est ainsi emply que demande il se maistre dieu tout ainsi que la bouche qui est le nourrissement du feu lescherie & friandise & superfluités de vins & de viandes est le nourrissement de charnalité c'est ce qui enflame l'orgueil & qui fait encliner le courage a desirer en toutes voyes tout ce qui au corps peut deliter / & certes la chair ainsi nourrie ressemble le cheval lequel quant son maistre a bien tasché a l'engresser il est si dru et si mignot que quant il se cuide aider il ne le peut tenir & le maine maulgré qu'il en ait les voyes qui luy sont prejudiciables & a la fin par son regibement et par ses saulx luy rompt le col. Tout ainsi tue l'ame & les vertus le corps trop souef nourry & engressé de viandes lecheresses mais l'orgueil qui se fiche en ce gras nourrissement te faict tant desirer et vouloir superflux habitz joyaulx et paremens que a pou tu ne penses a autres choses ne quoy qu'il doye couster ne dont il doyve venir comment que tu les ayes a ton vouloir. Et avec cestuy vice & les autres inconveniens malhonnestes et infinis ou il te maine il te faict tant estre desdaigneuse et dangereuse a servir que a peine pourra l'en trouver joyel habit ou parement qui te puist souffrir ne ou on ne treuve a redire et ne sera ame qui te puisse faire ton gré & avecques toutes ces choses tu es si oultrecuidee & presumptueuse que il ne te semble mye que a peine dieu ny autre chose quelconques te peust grever. O miserable chetive & adveuglee creature comment peut avoir en toy tant de force cest oultrageulx orgueil que il te fait oblier les pugnitions de dieu nonobstant qu'il te seuffre si longuement demourer plungé en tant de deffaulx sans te payer de tes desertes / mais ne sçay tu que ung saint docteur dit que de tant que la vengence de dieu plus retarde a venir de tant est elle plus perilleuse quant elle vient / ainsi comme l'arc qui est le plus fort tendu de tant est la fleche plus perçant quant elle vient / as tu oublyé comme nostreseigneur pugnit par son orgueil nabugodonosor qui estoit roy de babiloine & si grant prince que il ne redoubtoit tout le monde semblablement le grant roy de perse anthiochus. & aussi l'empereur xercés & grant nombre d'autres qui tant estoyent grans & puissans que il n'estoit quelconque chose au ciel ne en terre que ilz redoubtassent & toutes voyes furent par vengence & voulenté de dieu par leurs desertes tant humiliez & ramenez a telz perplexités que il n'estoit au monde homme ne plus miserable ne plus infortuné que ilz se virent. Ha ne te souvient a ce propos que il est escript ou livre de eclesiaste ou .x. chapitre si que tu as oy dire a ton beau pere que dieu a destruyt les sieges des ducz orgueilleux & a fait seoir les debonnaires pour eulx & sechié les racines des arrogans & a planté les humiliez en leur lieu qui n'est autre chose a entendre fors qu'il confont les orgueilleux & exaulce les humiliez. Si t'est bien advenu si tu veulx estre confondue. O beau sire dieu a toy qui est une simple femmelette qui n'as force puissance ne auctorité si elle ne t'est donnee d'autruy / cuides tu pourtant si tu es voix envelopee en aises & honneurs suppediter & surmonter le monde a ton vouloir.

Cy devise le bon & saint avertissement & congnoissance qui vient a la bonne princesse par l'amour & crainte de nostreseigneur. chap. iiii

Ainsi la bonne princesse de dieu amonnestee qui aymera & craindra nostreseigneur se reviendra a soy & quelque bonne qu'elle soit se reputera estre la pire de toutes et aprés les subdictes choses pensees elle dira a soymesmes. Or vois tu & congnois par grace de dieu les tresgrans & espoventables perilz ou tu t'es fichee tout a cause de ce dampnable orgueil que feras tu doncques le contumeras tu ainsi veulx tu estre dampnee lequel te vault mieulx ou vivre a cestuy monde ung petit espace de temps a ton ayse & non mye du tout a ton aise. car de tant que plus te ficheras es delices du monde & plus te souviendra de divers desirs / lesquelz te tourmenteront le cueur pource que acomplir ne les pourras ne du tout avenir a tes vouloirs ne jamais ton cueur n'aura souffisance et estre dampnee perpetuellement ou te refraindre de tes superflues delices & vivre en l'amour et crainte de nostre seigneur & estre sauvee ou royaulme sans fin. Helasse dampnee & qu'esse d'estre dampnee. La saincte escripture dit que c'est estre privee a tousjours sans fin de la vision de dieu & en tenebres espoventables en la compaignie des horribles deables ennemys de nature humaine avecques les ames dampnees qui gectent voix cris & plaintz terribles maudissans dieu & leurs parens & eulx mesmes en torment inestimable en feu ardant et a brief dire comment jacob en pueur merveilleuse & en perpetuelle orreur & avec qui plus engrege le mal en esperance de jamais n'en yssir. O dolente te veulx tu aller ficher en tel dampnation & perdre par ta folie la grace que dieu te promet se tu la veulx deservir pour bien petit de labour & que te promet il. il t'a promis par les merites de sa saincte passion que si tu veulx garder ses saintz commandemens tu iras en paradis. Saint gregoire es omelies en parlant de celle saincte cité de paradis dit en brief qui est la langue & l'entendement qui peut comprendre ne dire quelles ne comment grandes sont les joyes de paradis estre tousjours present en la compaignie des anges avecques les benoitz saintz fichés en la gloire de nostre createur veoir le visaige plain de gloire de dieu & de la benoiste trinité face a face regarder veoir & sentir sa lumiere incomprehensible estre asovy de tout desir avoir congnoissance de toute science en repos eternel n'avoir jamais paour de la mort & estre asseure de tousjours estre sans partir & remaindre en celle gloire beneuree. O vois la difference des deux chemins lequel prendras tu seras tu enragee que tu te fiches en la bourbe pour te noyer & perir & laisses la saine belle & seure voye qui conduyt a sauvete / nennil nennil tu ne seras pas si mal conseillee que tu laisses le bien pour prendre le mal. O saincte trinité ung dieu en unité souverainne puissance parfaicte sapience & infinie bonté conseillés moy et me secourez aidés a saillir hors des tenebres d'ignorance qui tant m'ont aveuglee vierge digne pure & sacree confort des desolez esperance des biens creans tens moy la main de ta saincte misericorde si me tire hors du palu de pechié & d'iniquité. Tressaint beneure colliege & court de paradis anges & archanges cherubins & seraphins trosnes & dominations. Sains apostres de dieu martirs confesseurs et toute l'université des beneures martires vierges et continentes prieres pour moy & soyez en mon ayde.

¶ Cy devise des deux sainctes vies / c'est assavoir de la vie active et de la vie contemplative. Chap. v.

Or regardez doncques que tu as affaire se veux estre sauvee. L'escripture fait mention de deux voyes qui mainent ou ciel & sans suyvre les sentes d'icelles impossible est d'y entrer l'une s'appelle la vie contemplative & l'autre la vie active. Et que est a dire la vie contemplative & la vie active. La vie contemplative est une maniere & estat de servir dieu ouquel la personne qui est amy tant & si ardamment nostre seigneur que elle oublye entierement pere mere enfans tout le monde & soymesmes pour la tresgrant et embrasee entente que elle a a son createur sans cesser ne ailleurs ne pense et toutes aultres choses ne luy sont riens ne il n'est povreté tribulation ne autre torment dequoy autre creature puisse estre grevee qui au droit cueur contemplatif puist estre empeschement ne dequoy il fist compte sa maniere de vivre & despriser parfaictement tout ce qui est du monde & les joyes d'icelluy se tenir solitaire & sustrait de toute gent les genoulx a terre les mains joinctes les yeulx ou ciel le cueur eslevé par si haulte pensee que elle va devant dieu contempler & regarder par saincte inspiration la benoiste trinité la court du ciel & les joyes qui y sont & en cel estat est le parfait contemplatif souventeffois tellement que il semble qu'il ne soit mie en soymesmes & la consolation doulceur & joye que il sent adonc ne pourroit estre a celle comparee. Car il sent ja & gouste des gloires & joyes de paradis c'est assavoir il voit dieu en esperit par contemplation il art a son amour si a souffisance parfaicte en ce monde. car il ne veult ne desire autre chose & dieu le reconforte. Car il est son servant & le repaist des doulx metz de son saint paradis c'est de pures & des choses qui sont ou ciel et de parfaicte esperance d'aller a celle joyeuse compaignie. Si n'est nulle joye pareille a celle. Ceulx qui le scevent qui l'ont essayé combien que parler je n'en puis dont il me poise fors ainsy que l'aveugle des couleurs. Et ceste vie soyt sur toutes autres aggreable a dieu est apparu maintes fois au monde visiblement si comme il est apparu & escript de plusieurs saintz & sainctes contemplatis qui ont esté veuz quant ilz estoyent en leur contemplation eslevés dessus terre par miracle de dieu si que il sembloit que le corps voulsist suyvre la pensee qui montee estoit au ciel de ceste saincte & treslevee vie ne suis digne assez de a son droit parler ne la descripre si que a sa dignité appartient. mais de ce treuve l'en assez de sainctes escriptures plaines qui plus en vouldra veoir. La vie active est ung aultre estat de servir dieu qui est telle que la personne qui la veult suyvre sera tant charitable que elle vouldroit si elle povoit a tous servir pour l'amour de dieu. Si cerche les hospitaulx visite les malades & les povres & les sequeure du sien et de la peine de son corps pour l'amour de dieu selon son povoir / a si grant pitié des creatures que elle voit en pechié ou en misere & tribulation que elle en pleure comme de son mesmes fait ayme le bien de son prouchain comme le sien propre tousjours est en labour de bien faire ne jamais n'est oyseuse son cueur art sans cesser de desirer de acomplir les oeuvres de misericorde esquelles s'employe de tout son povoir. Telle creature porte toutes injures & tribulations paciemment pour l'amour de dieu & ceste vie active sert sicomme tu peulx veoir plus au monde que la devantdicte. Si sont toutes deux de grant excellence mais de la plus parfaictes des deux nostreseigneur Jhesucrist luy mesmes donna la sentence lorsque marie magdalene en qui est figuree la vie contemplative estoit seant aux piez de nostre seigneur comme celle qui n'avoit le cueur a aultre chose et qui toute ardoit de sa saincte amour et Marie marthe sa seur de laquelle est entendue de la vie active qui estoit hostesse de nostre seigneur et besongnoit aval l'hostel pour le service de luy et de ses apostres se plaingnit a nostreseigner de ce que marie la sa seur ne luy aydoit & nostreseigneur l'excusa en disant marie tu es moult dilligente et ton oeuvre bonne & necessaire mais non pourtant marie a esleu la meilleur partie pour laquelle partie de luy on peut sçavoir que non obstant que la vie active soit de grant excellence / & necessaire pour l'ayde & secours de plusieurs Toutesfoys la contemplation qui est de laisser tout le monde & les embesongnemens qui y sont pour seullement penser a luy est de plus grant dignité et plus parfaicte & pour celle cause furent trouvez & establies des saintz prudhommes jadis les religions qui est le plus hault estat vers dieu qui soit qui en faict son devoir affin que ceulx qui vouldront vivre a contemplation puissent la estre separés du monde au service de dieu sans autre soing & pleust a eulx mesmes / car a dieu plairoit bien que chascun y fist son devoir.

¶ Cy devise de la voye que la bonne princesse se delibere a tenir. Chapitre. vi

Adviser te convient ce dit a soymesmes la bonne princesse de dieu inspiree laquelle de ses subdictes voyes tu veulx tenir il est dit communement / et il est vray que discrecion est mere des vertus. Et pourquoy est elle mere / pource que elle conduyt & maine les autres & qui n'entreprent par elle quelconques chose que l'en veult faire tout l'ouvraige vient a neant et est de nul effect / pource n'est necessaire ouvrer par discrecion / comment par discrecion / c'est ce que doy adviser ains que j'entrepreigne quelconque chose. Premierement la force ou foiblesse de mon povre corps & la fragilité a qui je suis encline & aussi a quel subgection il convient que je obeysse selon l'estat ou dieu en ce monde m'a appellee & commise & si je considere au vray ces choses je me treuve quelque bonne voulente que j'ay tresfoible de corps pour souffrir grant abstinence & grant peine & foible d'esperit par fragilité & inconstance & puis que je me sens telle je ne doy mye de moy mesmes preserver que je soye de tel vertu non obstant que dieu dit tu lairras pere & mere pour mon nom que je me pense du tout a ce disposer & laisser mary enfans estat mondain & toutes occupations terriennes pour entendre du tout a servir dieu en la vie contemplative sicomme ont fait les plus perfaictes creatures. Si ne doy entreprendre chose ou a le perseverer je peusse suffire. Que feray doncques chemineraige par voye active. Helas heureulx sont ceulx qui prennent les oeuvres qui ont esté commandés excercer Hé dieu que me eusses tu ores establie ou monde en l'estat d'une povre femme affin que je te peusse en ycelle a tout le moins parfaictement servir en administrant et faisant service a tes membres se sont les povres pour l'amour de toy. Helas comment acomplirayge ce que je ne me sens mye du tout disposee a vouloir a toutes fins de laisser tout estat pour moy employer / beau sire dieu conseilles moy et me inspires que je doy faire pour me saulver. Car quoy que je sache bien que autre chose ne fait a aymer ne desirer que toy seul & que toute aultre joye est neant je n'ay force en moy que je puisse du tout le monde relenquir. Si suis moult espoventee que je feray / car tu dis que impossible est que le riche soit saulvé. Adonc vient saincte informacion a la bonne princesse qui luy dist en telle maniere. Or vecy que tu feras dieu ne commande mye que on laisse tout pour le suyvre si ce n'est a ceulx qui du tout veullent estre de la tresplus parfaicte vie. Si ce peut chascun saulver en son estat & ce que dieu dist que impossible est que ung riche soit saulvé est a entendre des riches sans vertus se leurs richesses ne distribuent en aulmosnes & biensfais desquelz toute leur felicité est en leur avoir n'est mye doubte que telz gens dieu hét & que ja n'enterons ou ciel tant qu'ilz soyent telz et des povres dont il dit que ilz sont bieneurez / c'est a entendre de povres d'esperit laquelle chose peut estre mesmement ung tresriche et habondant homme. C'est assavoir celluy qui ne prisera riens les richesses du monde & se il a il les distribuera en bonnes oeuvres & au service de dieu ne pour honneur ne se orgueillist ne pour richesse ne se tient plus grant et telle creature quoy que elle habonde en biens mondains et povre d'esperit et possedera le royaume des cieulx & tu le peuz veoir n'a il pas esté grant foison de roys et de princes qui sont sains en paradis si comme sainct loys de france et plusieurs aultres qui ne laissoyent pas le monde ensois regnoyent & possedoyent leurs seigneuries au plaisir de dieu mais ilz vivoyent justement ne pource n'assavouroyent en vaine gloire ne en boubant les honneurs que on leur faisoit et reputoyent que l'honneur fust a l'estat de sa seigneurie dont ilz estoyent vicaires de dieu en terre et non mye a leurs personnes et semblablement a esté de roynes de princesses moult grant foison qui sont sainctes en paradis si comme la femme du roy de france aussi saincte baudour saincte helysabeth royne de hongrie & assez d'autres. Si n'ayez point de doubte que dieu veult estre servy de gens de tous estatz et en chascun estat on se peut saulver qui veult. Car l'estat ne fait mye le dampnement mais n'en sçauroit user sagement c'est ce qui damne la creature pource en conclusion je voy bien que puis que je ne me sens de tel force que je puisse du tout en tout eslire & suyvre l'une des deux dessusdictes vies je mettray peine a tout le moins de tenir le moyen si comme saint pol le conseille & prendre de l'une & de l'autre vie selon ma possibilité le plus que je pourray.

¶ Cy devise comment la bonne princesse vouldra attraire a soy toutes vertus. Chapitre .vii.

Toutes ces choses ou les semblables pensera la bonne princesse par divine information & pour les mettre a effet tiendra tel voye elle vouldra estre bien informee par bons & saiges que est bien & que est mal affin que le bien puist eslire & le mal eschever & quoy que toute personne mortelle soit par nature encline en peché se gardera a son povoir par especial de peschié mortel et vouldra faire tout ainsi que faict le bon medecin qui cure la maladie par son contraire Si ensuyvra la parolle de Crisostome sur l'evangille sainct Mathieu qui dit que qui veult avoir la princesse celleste il luy convient ensuyvre humilité terrestre. Car envers dieu n'est pas celluy le plus hault qui est icy le plus grant & le plus eslevé en honneurs mais celluy qui est le plus juste en terre est le greigneur ou ciel pource que elle congoistra que les honneurs communement eslievent en orgueil son cueur se disposera en toute humilité et pensera en soymesmes que non obstant que il appartiengne a l'estat de son seigneur et du degré dont elle est que des honneurs reçoyvent ja en quelque dominacion que elle se voye son cueur n'en sera blecié en arrogance ne eslevé en pensee ains rendra graces a dieu & luy attribuera tout l'honneur & de son cueur ne partira point la pensee de congnoistre que elle est une povre creature mortelle fresle et pecheresse & que l'estat que elle reçoit n'est que ung office dont luy conviendra a dieu en brief temps luy en rendre compte. Car sa vie au regard du perpetuel siecle n'est que ung petit trespas ceste noble princesse doncques quoy que la dignité de son estat requiert que elle reçoyve des gens grant reverence n'y prendra point de delict quand on les luy fera & tout au moins que elle se pourra passer garde l'honneur de son estat vouldra que on luy face son maintien son parler son port sera doulx & benigne la chiere plaisante a yeulx baissez reddant salut a toute creature qui la luy baillera en parolle tant humaine tant doulce que aggreable soit a dieu & au monde. Et avecques ceste vertu d'humilité la noble dame vouldra tant estre paciente que quoy que le monde livre assez d'aversitez aussi bien aux grans seigneurs et aux grans dames que aux petites gens selon leurs estatz pour chose qui luy adviengne ne sera mené a impacience et toutes adversitez prendre en gré pour l'amour de nostre seigneur. Et l'en remercyra de bon cueur Et mesmement tellement se disposera en ceste vertu de pacience. que s'il advenoit ores que elle receust aucun tord ou grief de quelque personne ou de quelques gens comme on fait plusieursfois a maintes dames sans cause si ne querra elle leur pugnicion ne pouchassera ne vouldra et s'il advient que pugnis soyent par droit & par justice elle en aura pitié pensant que dieu commande que on ayme ses enemys & que saint pol dit que cherité ne quiert mye mesmes ce qui est sien. Si portera a dieu pour eulx qui leur donne pacience et en ait mercy. Ceste noble dame ainsi disposee par grant constance & force de courage ne fera pas grant compte des dars des envieux. C'est assavoir que si elle sçoit ores que aucunes parolles ayent esté dictes contre elle sicomme on fait tous les jours des meilleurs ja si grans ne seront pourtant ne s'en troublera ne le tiendra a grant meffait / ains le pardonnera de legier ne ja pour sa haultesse ne reputera pou de mesprison se aulcun luy fait par grant injure pensant les grans injures que nostre seigneur souffrit pour nous & si pria pour ceulx qui le tourmentoyent. Si pensera la tresbonne dame que en aucune maniere le peut avoir desservy & ainsi tiendra par vertu l'enseignement de senecque qui dit en parlant aux princes & princesses ou puissans personnes que c'est moult grant merite envers dieu louange au monde & signe de noble vertu que de laissoir aller legierement le meffait dequoy on se pourroit legierement venger & est chose de bon exemple aux petites gens Et ce mesmes temoigne saint gregoire ou .xxii. livre de moralles qui dit que nul n'est parfaict s'il n'a pacience sur les maulx que ses prochains luy font. Car qui ne porte souffraument les maulx d'aultruy est impatient & tesmoigne que il est loing de la plenitude des vertus & en louant les patiens dit icelluy mesmes sainct que tout ainsi que la rose fleure souef et est belle entre les espines poignans la patiente creature resplandist victorieusement entre ceulx qui s'efforcent de luy nuyre. Ceste princesse qui vouldra et se penera d'amasser vertus sus vertus aura bien reccort que sainct pol dit que qui auroit en luy toutes aultres vertus ne finast d'aourer allast en pelerinage fist grans jeunes et grant abstinences & tout le bien que faire se pourroit & n'auroit en soy charité tout ce ne luy prouffiteroit riens. Et pource elle de ce tresbien informee vouldra avoir celle belle vertu en telle maniere que elle sera tant piteuse envers toutes gens que le mal d'aultruy luy vouldra comme le sien propre & ne luy souffira mie seullement en avoir la desplaisance de veoir gens en desolation se elle mesmes ne met main a la paste de tout son povoir pour leur ayder. Et si comme dit ung tressaige docteur. Charité s'estent en plusieurs manieres et ne s'estent mye seullement que on doye aultruy ayder de l'argent de sa bourse mais aussi de l'ayde et reconfort de sa parolle & de son conseil ou il eschiet & de tout le bien que on peut faire. Si fera ceste dame par pure benigne & saincte charité advocate & moyenne entre le prince son mary & son enfant se elle est veufve et son peuple ou toute gent a qui en bien faisant selon que a elle appartiendra pourra ayder aucunesfoys adviendra par adventure que le dit prince par maulvais conseil ou pour aulcune cause vouldra grever son peuple d'aulcune charge par quoy les subjetz qui sentiront leur dame plaine de pitié de bonté et de charité viendront vers elle & treshumblement la supplieront que il luy plaise estre pour eulx vers le prince. Car ilz sont trespovres & ne pourroyent sans trop grant grief ou estre desers suffire a tel finance ou se il advient que ilz soyent en aucune indignation vers le prince ou par maulvais raport ou par aulcune deserte luy viendront supplier que elle face leur paix ou se ilz ont a faire d'aucune grace ou d'aucun previliege la bonne princesse parlera a eulx sans nul refus ne sans trop grant magnificence de longue actente les recevera tresbenignement & orra a leur loysir & bien entendra tout ce qu'ilz vouldront dire & sera acompaignee de saiges preudhommes & de bonne vie qui seront de son conseil. Si fera sa responce sage & convenable par le bon advis d'iceulx excusera son seigneur et en dira bien si aulcunement pour quelque cas s'en tiennent mal contens dira que elle se charge de tout son pevoir de en faire la paix ou d'estre leur bonne amye en la peticion que ilz demandent & en toutes autres choses a son povoir les prira que tousjours soyent loyaulx & bons obeissans vers son seigneur et que a toutes heures pourront vers elle a leurs besoings recourir & que point ne leur fauldra de chose que elle puisse. Ainsi celle noble dame respondra tant sagement aux embassadeurs du peuple ou des subgetz que quant ilz s'en partiront ilz seront contens que se ilz avoyent devant aucune rancune rebellion ou murmure en courage ilz seront tous pacifiez & la bonne dame ne les fera mye muser en vaine esperance ains leur tiendra bien ce que promis leur aura sans longue dilacion parlera a son seigneur bien & saigement & y appellera des autres sages se mestier est treshumblement suppliera pour le peuple. Monstrera les raisons dequoy elle sera tresbien informee comment il est necessaire que prince se longuement il veult regner en paix & glorieusement soit amé de ses subgetz & de son peuple luy ramentera parolles selon la forme que senecque dit ou troisiesme livre de ire / qu'il dit que quoy qu'il soit bien seant a toute personne d'avoir benignité par espicial il est advisant a prince l'avoir vers ses subjetz & a brief dire tant fera & tant pourparlera que elle aura tout ou partie de sa requeste et si sagement le raportera ausdictz subgetz que ilz se tiendront pour contens du prince & d'elle & treshumblement l'en mercieront.

¶ Ce devise comment la sage princesse ou dame se pourra de mettre la paix entre le prince & les barons s'il y a aucun discord. chap. viii

Ou s'il advient cas que aucun prince voisin ou estranger vueille mouvoir guerre pour aucune chalange a son seigneur ou que son seigneur la vueille mouvoir a autruy la bonne dame pesera moult ceste chose en pensant les grans maulx et infinies cruaultés pertes occision de pays et detraction de pays & de gens qui a cause de guerre viennent a la fin que souventesfois en est merveilleuse / & advisera de toute sa puissance se elle pourra tant faire en gardant l'honneur de son seigneur que ceste guerre puisse estre eschevee & en ce vouldra travailler et labourer songnousement en appellant dieu a son ayde et par bon conseil & tant fera si elle peut que voye de paix sera trouvee Ou s'il advient que aucun des princes du royaulme ou pays ou des barons ou des chevaliers ou subgetz qui ayt puissance se soit d'aucune chose meffait mesmement contre la magesté de son seigneur ou que il en soit en coulpe. Et elle voit que de le prendre & pugnir ou movoir contre luy guerre peut venir grant mal en la terre sicomme en cas pareil on a veu maintesfois en france et ailleurs par les contes d'ung bien petit baron ou chevalier au regard du roy de france qui est ung grant prince sont venus mains grans maulx & dommages au royaulme sicomme racomptent les cronicques de france du conte de corbeil du seigneur de montlehery & de plusieurs autres. Et mesmement advint n'a pas long temps de messeir robert d'artoys lequel par le contenus que le roy ot a luy dommaiga moult le royaulme de france a l'ayde des angloys. Et pource la bonne dame qui aura regard a ces choses et pitié de la destruction du peuple se vouldra travailler d'y mettre paix si admonnestera le peuple son seigneur & son conseil d'avoir sur ceste chose regard avant que on l'entreprengne veu le mal qui en pourroit venir & ce que tout prince doit a son povoir eschever effusion de sang & par especial sur les subgetz. Si n'est mye peu de chose d'entreprendre nouvelle guerre qui ne se doit faire sans grant advis et meure deliberation & que mieulx vauldroit adviser aulcune plus convenable voye pour traire a accord par aucuns bons moyens. Ceste dame ne s'en souffrira mye a tant ains fera tant qu'elle parlera ou fera parler gardant son honneur et celle de seigneur a celluy ou ceulx qui auront commis le meffait & les en reprendra en pongnant & en oygnant disant que le meffaict est moult grant et que a bonne cause en est le prince indignes & que sentence est de s'en venger sicomme il est raison mais non pourtant elle qui tousjours vouldroit le bien de paix en cas que ilz se vouldroyent amender ou en faire amende convenable mettroit voulentiers peine d'essaier se pacifier les pourroit vers son seigneur par telz voyes ou par telz parolles ou semblables la bonne princesse sera tousjours moyenne de paix a son povoir sicomme estoit jadis la bonne royne blanche mere de sainct loys qui en ceste maniere se penoit tousjours de mettre accord entre le roy & les barons sicomme elle fist du conte de champaigne & d'autres laquelle chose est le droit office de saige & bonne royne & princesse d'estre moyenne de paix et concorde de travailler que guerre soit eschevee pour les inconveniens qui advenir en pevent & ad ce doyvent adviser principallement les dames. Car les hommes sont par nature plus courageulx & plus chaulx & le grant desir qu'ilz ont d'eulx venger ne leur laisse aviser les perilz ne les maulx qui advenir en pevent / mais nature de femme est plus poureuse & aussi de plus doulce condicion. Et pource si elles sont saiges si elles veullent elles pevent estre le meilleur moyen a pacifier l'homme. Et a ce propos dit salomon es proverbes au. xxvi chapitre. Doulceur & humilité assouagist le prince & la langue mole. C'estadire la doulce parolle fleichist & brise sa dureté. tout ainsi comme l'eaue par sa moisteur & froidure estaint la chaleur de feu. O de quans grans biens ont maintesfois esté cause au monde roynes & princesses en mettant paix entre ennemys entre princes & barons & entre peuple rebelle & leurs seigneurs les escriptures en sont toutes plaines. Si n'est en terre si grant bien que de princesse & haulte dame bonne & saige. Eureux est le païs & la contree qui telle l'a & de ce donnasse plusieurs exemples / mais de ce est assez parlé a ce propos ou livre de la cité des dames Et que advient il de tel princesse / il advient que tous les subgetz qui la sentent de tel sçavoir & bonté afuient a elle a refuge non mye seulement comme a leur maistresse mais ce semble a leur deesse en terre a qui ilz ont souveraine esperance & fiance & elle est cause de maintenir la contree en paix. Si ne sont mye ses oeuvres sans charité / ains sont tant meritoires que plus grant bien ne pourroit estre fait.

¶ Cy devise des voyes de devote charité que la bonne princesse tendra. Chap. ix.

Par ceste voye qui est de charité cheminera la bonne princesse. mais avec ce encores fera elle plus sicomme si elle reputast en sa personne dicte la parolle que dit saint basille ou y dit au riche ainsi si tu te congnois & confesses que ses biens temporelz te soyent venuz de dieu & tousjours tu scés bien que tu as plus largement que n'ont assez d'autres qui sont meilleurs de toy penserois tu pour ceste cause que dieu ne fist pas justice qui ne les a partis esgaument. Mais ce ne doit mye pourtant estre pensé. car il a fait affin que en donnant & distribuant aux povres tu puisses desservir / que dieu le te rende & que le povre puist estre par sa souffrance & couronné du diademe de pacience. Si gardes que le pain du fameilleux ne moisisse en ta huche que le costé du nu tu ne laisses mengier aux vers que tu ne tienges enclos le soulier du deschaulx & que tu ne possides l'argent du souffreteux. Car saches de vray que les biens dont tu as trop grant largesse sont aux povres & nonpas tiens si es larron ou laronnesse & embles a dieu si tu peux secourir ton prouchain & tu ne le secours Et pour ce la bonne princesse de ce bien advertie / affin que elle acomplisse les euvres de misericorde nonobstant soit elle seant en sa magesté garde la vertu de son estat elle aura tresbons ministres environ soy. car quoy qu'on die des princes que ilz ont mauvais conseil ou mauvaise gent ou mauvais ministres / je croy que ceulx de qui la voulenté est toute bonne leurs conseilliers ne les oseroyent mesconseiller Et communement le maistre quiert servant selon la condicion si le conseillent bien ou mal selon qu'ilz sentent la voulenté du seigneur Pource ceste dame toute bonne aura servant selon elle. A ceulx elle commetra que ilz sachent & enquierent par la ville & par tout ou elle sera ou sont povres honteux povres gentilz hommes ou povre gentis femmes malades ou dechus de leur estat povres vefves mesnagiers souffreteux povres pucelles a marier femmes acouchees escolliers prestres ou religieux en povreté a ceulx par son aulmosnier que elle aura sceu devot charitable preudhomme & sans couvoitise ains que en tel estat l'ait mis non mie comme plusieurs seigneurs qui font du plus larron maistre. Car dieu scet comment il en va du gouvernement d'aulcuns aulmosniers de seigneurs ou de prelatz par icelluy ou par ung autre a ce commis evoyera a iceulx bonnes gens tout secrettement sans que les povres mesmes saichent dont l'aumosne leur vendra a l'exemple de monseigneur saint nicolas Et mesmement n'aura mye honte la bonne princesse de visiter aucuneffois les hospitaulx & les povres a tout son estat acompaignee grandement comme il appartient parlera aux povres & aux malades les couchera & les reconfortera doulcement en faisant son aumosne. & en ce fera elle son aumosne souveraine & fleurie. car le povre est trop plus reconforté & plus prent en gré la doulce parolle la visitacion & le reconfort d'une grant & puissant personne que d'une autre / la cause si est qu'il luy est avis et il est vray que tout se monde le desprise & luy semble que quant personne puissant la daigne visiter ou la reforcer qu'il a recouvré aucun honneur qui est chose que naturellement chascun desire & ainsi la princesse ou grant maistresse en ce faisant acquiert plus grant merite que une maindre en cas semblable ne feroit pour trois principalles raisons. La premiere est que de tant que la personne est plus grant & plus se humilie de tant plus croist sa bonté. La .ii. que elle donne plus grant reconfort aux povres sicomme dist est. Et la tierce qui dit que ce n'est mie petite raison que elle donne bonne exemple a ceulx qui la voient faire telle euvre & si grant humilité. Car il n'est riens que les subgetz et le peuple tire tant en exemple comme ce que faire vois a son seigneur ou a sa dame. & pource est grant bien quant seigneurs & dames & toutes gens qui ont a seigneurir autruy sont bien moriginez & grant meschief du contraire. Et ne cuide point nulle tant soit grant maistresse que se soit honte ne contre son estat d'aler elle mesmes devotement & humblement aucunesfois visiter les pardons les eglises & les sainctes places ne telz pensees ne sont que abusions / car se elle a honte de bien faire elle a honte de soy sauver. mais tu me diras comment fait la grant dame ses aulmosnes & ces choses se elle n'a argent. car devant est dit que il y a peril a amasser tresors si te respons a ce que n'est point de mal que la princesse ou grant dame amasse tresor de l'argent ou de la revenue ou pension qui luy peut venir licitement de son droit & sans extorcion faire. mais de ce tresor que fera elle. Sans faille elle n'est point tenue mesmement selon dieu se elle ne veult de donner tout aux povres. Mais en peult garder licitement pour ses necessaires pour son estat et pour payer ses servans faire deux quant il est expedient et payer ce qui est prins pour elle et ses debtes doibvent estre payees. Car neant vauldroit faire aulmosne de l'autrui / mais si la bonne dame restraint des superfluités que elle pourroit bien faire si elle voulloit de tant de robbes / et de tant de joyaulx qui ne luy sont necessaires pour employer en telz usaiges la ou est la pure et droicte aulmosne et le grant merite. O comme est grant et bien conseillee celle qui se fait celle peut par exemple estre comparee a ungz sages hommes de qui il est escript que une fois il fut esleu pour estre maistre gouverneur d'une cité luy qui estoit prudent et saige advisa que plusieurs autres hommes qui avoyent esté mis & eslus en ce mesme office en avoyent depuis esté deposez bennys povres & mis de tous biens en exil en une certaine povre contree ou ilz mouroient de fain. Si dist a soymesmes que il pourvoiroit tellement a celluy inconvenient que ou cas que il seroit la envoyé. Il n'y mourroit pas de fain Si ordonna tellement l'argent & l'avoir qui luy venoit de ses gaiges & de sa revenue tandis que il fut en l'office que aprés son estat ric a ric tenu. mettoit tout le demourant apert en lieu sauf. Si fut a la parfin fait de luy comme des autres / mais la saige provision qu'il avoit espergnee le sauva & garda de necessité. Tout ainsi l'avoir que on restraint de superflu doit estre pour donner aux povres & bien faire C'est le tresor qui est mis apart en saincte huche qui sert aps la mort / et garde l'exil d'enfer & ceste chose chante l'evangille qui ne fait que crier. Thesaurisés en terre ou thesaurisés ou ciel Helas autre chose on en emporte que iceluy tresor. C'est chose vroye si que tesmoigne la saincte escripture. Si est sans faille souverainement bonne mesnagere la princesse & toute femme qui entent a icelluy espargner. Et a brief dire ceste noble vertu de charité qui ainsi comme dit est sera entee au cueur de la bone princesse avec les autres choses dessusdictes la rendra de si tresbonne voulenté envers toutes gens qu'il luy sera avis que chascune personne vaille mieulx que elle Et pource son cueur s'esjoyra du bien d'autruy comme du sien propre & la bonne renommee des aultres luy sera tresdelectable chose a oÿr et a son povoir en toutes choses donnera occasion aux bons de perseverer & au maulvais pour eulx retraire.

¶ Cy commence a parler des enseignemens moraulx que prudence donna a la sage princesse. Chap. .x.

Nous autres assés devise ce qui touche principallement les enseignemens que l'amour & crainte de nostre seigneur donne & amonneste a la bonne princesse ou haulte dame / si que devant fut touché. Si nous convient doresnavant parler de la leçon & des enseignemens que prudence mondaine luy admonneste lesquelz enseignemens & amonicions ne se despartent de ceulx de dieu ains en viennent & dependent. Si parlerons du sage gouvernement & maniere de vivre qui luy advisent selon prudence premierement enseigne a la princesse ou haulte dame convient sur toutes les choses de ce bas monde doit aimer honneur & bonne renommee & luy dira il ne desplaist mye a dieu que creature vive en ce monde moralement & si elle vit morallement elle aymera le bien de renommee / qui est honneur & ce tesmoigne saint augustin ou livre de correction qui dit que deux choses sont necessaires a bien c'est conscience & bonne renommee. Et a ce s'accorde le saige ou livre de ecclesiastique qui dit ayes euvre de bonne renommee car elle te demourra plus longuement que quelconques autre tresor / pource dira la saige princesse a soy mesmes. Sur toutes choses terrestres n'est nulle qui autant affiere a haulte gent que fait honneur & quelz choses dira elle convient il a droit honneur. Certes a proprement dire ce ne sont mye richesses mondaines au moins si elles y servent selon la commune maniere du monde toutesvoyes a aller au droit ce doit estre toute la maindre partie qui serve a parfaire l'honneur. Et quelle chose doncques y sont plus convenables en verité ce sont bonnes meurs elles parfont la creature noble & la font estre bien renommee. et la est le droit parfait honneur / car il n'est point de doubte que quelconques richesses qui soyent en prince ou en princesse ou d'autre se il ne maine vie par laquelle on acquiert par bien faire bonne renommee et los honneur ne luy affiert / ne il ne l'a que pour luy blandir & avoir du sien quoy que on luy face acroyre. car droit honneur doit estre sans reproche. Et combien doit aymer la haulte dame cest honneur Certes plus que sa vie. Car plus chier a perdre la devroit que honneur La raison y est bonne. car qui bien meurt il est sauvé. mais qui est deshonnoré il reproche mort et vif a tousjours tant que de luy sera memoire. O le tresgrant tresor de princesse & de toute autre dame que bonne renommee. Certes nul si grant en ce monde ne pourroit avoir ne que elle doie tant aymer amasser. Car le tressor commun ne le peut servir que environ elle mais celuy de bon renom luy sert & pres & loing qui eslieve son honneur par toute la terre. & est ainsi de bonne renommee en une personne comme se il estoit possible que du corps d'une creature yssist si grant odeur que elle s'espandist par tout le monde si que toutes gens le fleurassent. Tout ainsi par l'odeur de la renommee qui par tout court d'une vaillable personne toute gent peut avoir le goust & le flair de bon exemple. De ces choses advertira prudence la saige princesse & que fera elle pour les mettre a oeuvre elle disposera son vivre principalement en deux choses l'une appartiendra aux meurs qu'elle vouldra tenir & excercer. & l'autre en la maniere & ordre de vivre en quoy elle vouldra estre riglee. Et quant aux meurs ensuyvans les vertus dessusdictes deux autres par especial sont necessaires a princesse & a toute haulte dame voire a toute femme qui desire grans honneurs avoir & sans lesquelles ne le pourroit avoir vouldra tressingulierement en especiaulté avoir / l'une est sobresse & l'autre est chateté. Icelle sobresse qui est la premiere ne s'estendra pas seullement en boire ne en menger / mais en toutes autres choses / esquelles elle pourra servir & restaindre & de rapeticier superfluités. Icelle sobrieté la fera estre non dangereuse a servir. Car elle ne vouldra point de service plus que raison ne demande / nonobstant son grant estat elle le fera estre contente de telz vins & de telles viandes que on luy administrera. Car en ce n'aura tant soit petite son entente & encores ne prendra fors ric a ric tant que necessité de vivre peut requerir elle la gardera de trop dormir / pource que prudence luy dira que trop grant repos engendre pechié & vice / & la gardera du vice d'avarice Car le pou d'avoir luy donnera grant souffisance Superflus & oultrageux habis joyeulx a tous & estat plus que raison luy deffendra a avoir sur toutes riens par l'admonnestement de prudence qui ainsi luy dira sans faille il appartient bien que toute princesse ou dame terrienne selon son degré que elle soit richement atournee / tant de vestemens d'atours de paremens & de joyaulx comme de grant court & de gent ou d'estat pour l'honneur de l'office ou dieu l'a assise. mais ne doubtes pas que se toy ou aultre n'estoyes contente de tel estat & abillemens que tes nobles davanciers ont porté que tu voulsisses avoir plus grant ou commencer nouvelles choses tu mesprendroyes & ferois contre ton honneur & contre le bien de sobresse si ne le feras mye Car il n'appartient pas a nulle de ainsi faire / voire se ce n'est par tel si que son seigneur par qui elle doit estre riglee le voulsist a toutes fins ne doit riens entreprendre sans bon advis ne conseil & ne juste cause. Ceste dicte sobresse monstre en tous les sens de la dame aussi bien que es faitz & habitz par dehors. Car elle luy rendra le regard tardif arresté & sans vaqueté la gardera de curiosité de moult de souefves odeurs en quoy assés de dames ont mis grant cure & despendu foison d'argent pource qu'elle luy dira que l'on ne doit mye procurer ne donner au corps tant de delices et que mieulx vault que tel argent soit donné aux povres et aux indigens. Et avec ce ceste sobresse corrigera & chastira tellement & ordonnera la bouche & le parler de la dame saige qu'elle la gardera principallement de trop parler / qui moult est messeant chose a haulte dame. voire en toute femme de value luy fera haïr de tout son cueur le vice de mensonge & aymer verité laquelle sera tant acoustumement en sa bouche que on croyra ce qu'elle dira & y adjoustera l'on foy comme a elle que jamais on n'orra mentir / laquelle dicte vertu de verité affier plus en bouche de prince & de princesse que en autres gens. pource que il appartient que on le croye luy deffendra qu'elle ne dye parolle par especial en lieu ou elle puisse estre pesee & raportee qu'elle n'ayt avant bien examinee prudence & sobreté aprendront a la dame a avoir parler ordonné & sage eloquence. & non pas mignote / mais rassise & quoye assez basse & beaulx traitz sans faire mouvement du corps des mains & grimaces du visaige la gardera de trop rire & non pas sans cause luy deffendra sur toute rien que nullement ne mesdie d'autruy ne parolle en blasmant / mais en exaulçant le bien & voulentiers tiengne en frain parolles vagues & non honnestes ne luy souffrira a dire & en ses joyeusetés luy conviendra a garder toute mesure & honnesteté luy appartiendra a dire entre ses femmes & autre part quant il escherra et sera bien seant parolles vertueuses & de bon exemple & telles que ceulx & celles qui les orront ou seront raportees diront que c'est parolle yssue de tresbonne sage & honneste dame la gardera de parler a ses femmes & a ses servans maulgratieusement ne en tençant ne disant villanie / mais les enseignera doulcement & les reprendra de leurs deffaulx courtoisement les menaçant de les mettre hors s'ilz ne se corrigent ou de les pugnir / ou par quelque autre maniere. mais toutesvoyes le parler d'elle sera tousjours quoy & sans villanye. car la vilanie yssue de bouche de dame ou de quelconque femme retourne plus a elle mesmes que a ceulx a qui elle la dit fera ses commandemens raisonnables en lieu et en temps et a ceulx a qui il appartient chascun en son office. Ceste dame lira voulentiers livres d'enseignemens et de bonnes meurs. et aucuneffois de devotion et ceulx de deshonnesteté et lubreté harra parfaictement et ne les vouldra avoir a sa court ne souffrir que ilz soyent portés ne leuz devant fille parente ne femme qu'ilz elle ait Car ce n'est point de doubte que les exemples soit de bien ou de mal atraient les cueurs couraiges et voulentés de tous ceulx ou celles qui les voyent ou oyent. & si ceste noble dame prent plaisir en recorder bonnes parolles & dire fera semblant de les ouÿr & par especial la parolle de dieu. Car elle qui sera de dieu orra voulentiers la parolle en la maniere qui le tesmoigne en l'evangelle ou il dit. Ceulx qui me ayment oyent voulentiers ma parolle & la gardent. Si orra souvent par notables & bons clercz sermons & collations aux festes annees & en tous temps. Et semblablement vouldra que ses filles & femmes & toute sa famille y soit vouldra estre bien informee de tout ce qui touche a nostre foy des articles & des commandemens & de tout ce qui acquiert a sauvemen Et de ce qui appartient aux choses mondaines orra voulentiers parler des vaillans gens / des preux chevaliers & gentilz hommes de leurs faitz & de leurs proesses / de grans clercz & de leurs sciences. de tous preudes hommes & de toutes preudes femmes / de leur sens & de leur belle vie & iceulx aymera & leur fera grant honneur & bonne chiere & beaulx dons leur donnera. Item avecques ce de gens de belle & esleue vie en fait de devotion s'acointera & vouldra avoir leur amitié humblement les recevera & parlera a eulx a secret / & moult voulentiers les orra se recommandera a leurs prieres. Et ainsi par ceste voye la vertu de sobresse reglera la bonne princesse. Si s'ensuyvra de ceste regle. La .ii. des deux vertus que nous avons dit qu'elle vouldra singulierement avoir / c'est assavoir chasteté de laquelle elle sera par ceste maniere de vivre tant remplye & ramenee a telle purté que en fait n'en dit semblant atour ne contenance maintien estat regard n'aura riens ou il y ait a redire ne reprochier.

¶ La maniere de vivre par l'admonnestement de prudence. chap. .xi.

Prudence sicomme j'ay dit devant avertira la sage princesse comment l'ordre de son vivre sera riglé et par elle par son ennortement tiendra telle maniere elle se levera tous les jours assez matin & seront les premieres parolles adressans a dieu en disant. Daigne nous sire garder huy ceste journee de pechié de mort soudaine & de toute mauvaise aventure ainsi soit il a tous nos parens & amys aux tespassés pardon & a nos subjectz paix & transquilité amen. pater noster. Et au surplus d'oraisons ce que devotion luy administrera ne requerra avoir entour elle moult grant affaire de service. & ceste voye tenoit n'a pas moult de temps qu'elle vivoit la bonne & saige royne Jehanne femme jadis du roy charles de france .v. de ce nom qui se levoit tous les jours devant le jour / allumoit ellemesmes sa chandelle pour dire ses heures & ne souffroit que femme qu'elle eust se levast ne perdist son somme. Aprés qu'elle sera preste ira ouÿr ses messes tant et en telle maniere & quantité que sa devotion sera & que temps & loysir luy donnera. Car n'est mie doubte que ceste dame a qui sont commis grans gouvernemens comme plusieurs seigneurs font & ont fait a leurs femmes quant les voyent bonnes & saiges & ilz alloyent hors ou estoyent occupés ailleurs ilz bailloyent la charge a elles & auctorité de gouverner le fait de leur seigneurie et estre chief du conseil. Et telles dames sont plus a excuser mesmes depuis devers dieu se tant n'emploient de temps en longues oraisons que celles qui plus ont loisir ne elles n'ont pas moins de merite de bien et justement entendre a la chose publicque a leur povoir qu'elles auroient de plus longuement vacquer en oraisons se ce n'estoit qu'elles voulsissent du tout entendre a la contemplative & laisser la vie active. Si que j'ay devant dit / car la vie contemplative peut bien sans l'active. Mais la droicte bonne active ne peut sans aucune partie de la contemplative. Ceste dame aura donné ordonnance / que a l'issue de la chapelle soyent aulcuns povres a qui elle mesmes par humilité & devotion / & en memoire & signe que elle ne doye mie despriser les povres donnera de sa main l'aumosne & la endroit se aucunes piteuses requestes luy sont affaire / elles les orra benignement et donnera a chascun gracieuse responce & ceulx qu'elle pourra en brief temps expedier ne tiendra pas longue dilation / & de ce faire croistra l'aumosne & aussi la renommee Si y aura aulcuns preudhommes / pource qu'elle ne pourroit par adventure entendre a toutes les requestes qui luy viendront. Lesquelz preudhommes seront commis a y entendre. Et vouldra que iceulx soyent charitables & tost expediens / & ellemesmes de leurs meurs s'en prendra garde. Ces choses faictes si elle est dame qui se mesle du gouvernement / comme dit est / elle s'en ira au conseil aux jours que tenir se devera / l'aura a tel port telle maniere et telle contenance quant en son hault siege sera assise que elle semblera bien estre dame & maistresse de tous. Et chascun l'aura en grant reverence comme leur sage maistresse de grant auctorité. Et si orra diligemment ce qui sera propice et l'oppinion de tous et tant bien y mettra son entente qu'elle entendra les principaulx pointz des matieres & des conclusions & bien notera lesquelz diront mieulx & par la meilleur consideration & advis & qui luy apperront les plus saiges & de la plus vive oppinion. Et aussi notera en la diversité des oppinions quelz causes & quelz raisons pourroyent mouvoir les disans. Et ainsi en toutes choses sera advisee / & quant viendra a elle a parler ou respondre selon le cas qui escharra si sagement se advisera du faire que elle ne puisse estre reputee simple ygnorante / & se advant la main elle peut estre informee de ce qu'on devera & que proposer sur ce se choses pesantes sont & elle se pourvoit par sage conseil de responce ce n'est que bien. Avec ce ceste dame establira certains preudhommes saiges en certaines quantités qui seront de son conseil qu'elle sentira bons loyaulx de bonne vie & non trop couvoiteux / car c'est ce qui honnit tout en tout plusieurs princes & princesses que conseilliers remplis de couvoitise. Car selon leur inclinacion ilz induysent & ennortent ceulx qui conseillent / & sans faille ceulx qui habondent en tel vice ne pourroyent bien loyaument ne au proffit de l'ame & honneur du corps conseiller & qu'ilz soyent de bonne vie & de ce doit bien enquerir la prudente dame a ceulx elle se conseillera par chascun jour a certaine heure des besongnes qu'elle aura a faire aps ce conseil du matin ira a table qui sera par especial aux jours solennelz & aux festes voire le plus communement en salle ou seront assises les dames & damoiselles & les personne a qui il appartiendra par ordre selon leur estat / la sera servie selon qu'il appartient a tel estat / & tandis que l'assiete durera selon la belle ancienne coustume des roynes & des princesses aura ung preudhomme en estat au chief du doy qui dira d'anciennes gestes d'aucuns bons trespassés ou d'aucunes belles moralités ou exemples / la n'aura mye grant noyse menee. Et aprés les tables levees & graces dictes s'il y a princes ou seigneurs dames ou damoiselles ou d'aultres estranges vers elle. Adonc celle qui sera en toutes choses enseignee & aprinse recepvra chascun en tel honneur comme il luy appartiendra. Si que tous se tendront pour contens parlera a eulx par maniere rassise a joyeulx visaige aux anciens d'une guise plus pesante aux jeunes d'une aultre plus riant et ce adonc vient la a parler ou a ouÿr d'aucuns esbatemens ou d'aucunes joyeusetés elle s'i saura contenir par si plaisant maniere que tous diront que c'est une gratieuse dame & qui bien scet son maintien en tous endrois. Aps les espices prises & qu'il sera temps de retraire la dame s'en ira a sa chambre la ung petit se reposera se besoing en a / puis aprés se il est jour ouvrier & elle n'a aucune autre plus grande occupacion pour eschever oysiveté a aucun ouvraige se prendra & environ elle fera semblablement ouvrer ses filles & ses femmes & la a privé vouldra que chascune devise hardiment de toutes honnestes joyeusetés si que il luy plaira & elle mesmes rira avecques elles & s'esbatra en devisant si familierement que toute loueront sa grant priveté & benigneté & l'aymeront de tout leur courage ainsi fera jusques a heure de vespres que elle les yra oÿr en sa chapelle se il est jour de feste se aucune grande occupation ne les empesche ou les dira sans faillir avecques la chapellaine & aps ce fait s'il est esté s'en ira esbatre en aucun jardin jusques a heure de souper l'en viendra & ira pour sa santé. Si vouldra que si aucuns ont a besongner a elle pour certaines causes que ilz soyent lassez entrer & les orra. Vers le coucher sera a dieu en oraisons & ainsi se finera l'ordre des communes journees de la prudente princesse vivant en bonne & saincte activeté. quant est d'autres esbatemens a quoy dames seulent prendre esbatemens & plaisir sicomme de aller a la chasse aucunesfois voler en riviere ou a autres jeux. Ces choses nous ne mettons point en l'ordre de nostre discipline & enseignement. Car nous les laissons en la distribution & vouloir de leurs maris & du leur aussi desquelles choses aucune licence peut bien estre donnee en temps & en luy mesmes aux dames tresvertueuses sans mesprendre mais que ce soit sans trop et que mesure soit gardee.

¶ Cy commence a parler des sept principaulx enseignemens de prudence qui sont necessaires a retenir a toute princesse qui ayme honneur & est premier comment se contiendra vers son seigneur generallement & particulierement. Chapitre .xii.

Or avons assez devisé en termes generaulx & particulierement aussi tant ce qui touche vers dieu premierement & les bonnes meurs comme la maniere & ordre de leur vivre. Si nous plaise encores a deviser pour leur ennortement sept principaulx enseignemens lesquelz selon prudence leur sont necessaires a celles qui desirent sagement vivre et honneur veulent avoir. Si prions & enjoingnons a elles & semblablement a toutes femmes grandes moyennes & petites a qui se pourra apartenir que ces sept enseignemens veullent bien retenir noter & mettre a effet car pour neant oit doctrine qui ne la met a oeuvre. Le premier de ces sept pointz & rigles que nous enseignons & que toute dame & semblablement toute femme estant en ordre de mariage il appartient que elle ayme son mary & vivre en en paix avecques luy ou autrement elle a ja trouvé les tourments d'enfer ou n'a fors que toute tempeste. Et pource qu'il n'est point de doubte que assez de femmes de tous estatz non obstant que elles les ayment chierement ne scevent pas toutes les rigles ou par jeunesse ou aultrement de le bien demonstrer vecy nostre leçon qui leur aprendra / la noble princesse qui en toutes ces choses vouldra suyvre la rigle d'onneur si maintiendra vers son seigneur vieil ou jeune en toutes les manieres que en tel cas bonne foy & vraye amour commande. C'est assavoir se rendre humble vers luy en fait en reverence et parolle l'obeyra sans murmuration et gardera sa paix a son povoir curieusement par la maniere que faisoit la bonne & sage royne hester sicomme il est escript en la bible au premier chapitre. Et pource tant aymee & honnouree de son seigneur que il n'estoit chose que elle voulsist que il luy veast avecques ce demonstrera l'amour en ce que elle sera soygneuse et curieuse de toutes les choses qui pourront appartenir au bien de sa personne tant a l'ame comme au corps. A l'ame elle tiendra en amour son confesseur parquoy se elle voit en son dit seigneur aucune tache de lait peché duquel la coustumance luy peut tourner a dampnation & elle ne luy osast dire de doubte que il ne luy en despleust & aussi qu'il ne luy appartient pas elle luy fera dire par icelluy & luy dira que il luy admonneste bien d'estre tousjours serf de nostreseigneur. Et aussy en toutes ses aumosnes & biens fais dira priés Dieu pour monseigneur & pour moy. Avecques la pourvoyance de l'ame sera ceste dame tressoygneuse du corps de sondit seigneur. C'est assavoir qu'il soit en santé maintenu & conservement de longue vie. Si vouldra souvent parler a ses phisiens / leur enquerre de son estat & comme saige que elle sera vouldra ouÿr de leurs oppinions & que present elle soyent faictes aucunesfois leurs collations sur le fait de la dicte santé. Item vouldra sçavoir comment il sera servy & de ce n'aura pas honte de s'en prendre garde soygneusement quelques autres qui y soyent commis. Et pource que ce n'est mie l'ordre d'estat royal que les dames soyent si communement entour eulx que aultres femmes sont vers leurs marys elle enquerra souventesfoys aux chambellans & aux autres d'environ luy de son estat verra le plus souvent que elle pourra & du veoir sera tresjoyeuse & quant elle sera vers luy dira a son povoir toutes choses qui plaire luy devront & a joyeulx visaige se contiendra. mais pource que aucunnes nous pourroyent par adventure icy respondre que nous comptons sans rabatre. C'est assavoir que nous disons a toutes fins que les dames doyvent tant aymer leurs seigneurs et en monstrer les signes. Mais nous ne parlons mye se tous deservent vers leurs femmes que on le doye ainsi faire Pource que on scet bien que il en est de telz qui se portent vers elle tresfelonneusement & sans signe de nulle amour ou bien petite. Si respondrons a icelles que nostre doctrine en ceste presente euvre ne s'adrece point aux hommes quoy qu'il en fust besoing a plusieurs que ilz fussent bien endottrinez. Et pource que nous parlons aux femmes tant seulement tendons a leur prouffit pour enseigner les remedes qui pevent estre vaillables a eschever deshonneur & donner bon conseil d'ensuyvre bonne voye qui ne face le contraire & du bien & du mal leur prouffit. Poson que le mary fust de merveilleuses meurs pervers et rudes malamoureulx vers sa femme de quelque estat qu'il fust ou desvoyé en amour d'autre femme qui que elle soit quant elle scet tout ce porter & dissimuler sagement faire semblant que elle ne s'en apperçoit & que elle n'en scet riens voirement s'il est ainsi que elle n'y peust mettre remede. Car elle si pensera comme saige si tu luy disoyes rudement tu n'y gaigneroys riens & s'il t'en menoit male vie tu poindroyes contre l'aguillon il t'en eslongneroit par adventure & tant plus les gens s'en mocqueroyent & croistroit la honte & le diffame & t'en pourroit encores estre de pis il fault que tu vives & meures avecques luy quel qu'il soit. Ces choses considerees la saige dame mettra peine par bel & par doulceur de l'atraire a soy & se elle congnoist que ce soit le meilleur de luy en dire quelque chose elle luy en touchera apart doulcement & benignement une fois l'amonnestera par devocion / autre fois par pitié qu'il doit avoir d'elle / autre fois en riant comme si elle se jouast / avec ce luy fera dire par bonnes gens et par son confesseur / & avec ce autre vertus ceste noble dame l'excusera se elle en ot parler aux autres ne pourra souffrir ouÿr dire mal de luy ne aura cure que on luy en raporte riens & elle deffendra. Car elle comme sage pensera que du savoir n'aura fors tristesse et riens n'y gaigneroit / et quant toutes ses voyes elle aura ung temps tenues & verra que il ne s'en vouldra amender son refuge sera a dieu mettra toute peine de s'en mettre en paix sans plus luy en parler Et celle dame ou femme qui qu'elle soit qui ainsi fera soit certaine que ja l'homme si pervers ne sera que a la parfin conscience & raison ne luy dye tu as grant tort & grant peché contre ta bonne & honneste femme & que il ne s'amende & l'ayme plus ou tant que font ceulx qui oncques ne se desvoyerent en ainsi aura sa cause gaignee par bien souffrir. Et s'il advient que ledit seigneur voyse en aulcun voyage loingtain ou perilleux ou en quelque guerre la bonne dame priera dieu devottement & fera prier pour luy en processions & oblations tressongneusement & croistra le nombre de ses aulmosnes se tendra humblement et simplement d'estat de maintien & d'abit en tandis & a son retour en grant joye & honneur le recevera et a toute sa compaignie fera chiere joyeuse & bien vouldra estre informee des meilleurs de ses gens des plus preux & des plus vaillans & comment ilz se seront portés & tresvoulentiers en orra racompter si les recevera a grant honneur & beaulx dons leur donra aussi vouldra sçavoir comment ceulx qui avoyent la garde de son corps auront fait leur devoir & se seront vers luy portez. Si guerdonnera les biensfaitz aux bons & aux plus songneux & cestes manieres tenir sont de grant honneur a dames. Et pource quoy que elle les face de bon cueur. Et vouldra elle bien toutesvoyes que elles soyent manifestees & sceues au monde & non mye celees la cause si est que elle ayme honneur & le bien de renommee comme dit est si luy aprendra prudence que plus grant honneur ne peut estre dit de dame & de toute femme que dire que elle soit vraye & loyalle vers son seigneur & que bien fait semblant que elle l'ayme & par consequent luy est loyalle. Car il est a penser a ung chascun que femme qui bien ayme son mary ne luy fera ja faulceté. si ne peut faire autre certification de sa loyaulté fors par l'amour qu'elle luy monstre & les signes de par dehors par lesquelz on juge communement du couraige. Car autrement ne peut on juger de l'entention des gens fors par les oeuvres lesquelles si elles sont bonnes tesmoigne la personne bonne & aussi au contraire. Si souffise quant a ce premier enseignement lequel est convenable a toute preude femme que qu'elle soit.

¶ Cy devise le deuxiesme enseignement de prudence qui est comment la saige princesse se contiendra vers les parens & amys de son seigneur. Chap. .xiii.

Le deuxiesme point & enseignement que prudence demonstre a la princesse & generallement a toute femme saige est qui se elle a chier honneur par quoy bien veult que on sache que elle ayme son mary si que dit est cy devant elle aymera & honnorera les parens de son seigneur & demonstrera en tel maniere elle leur fera honneur & tresbonne chiere de toutes pars que ilz vendront & devant les gens meilleur que aux siens propres si mettra peine en toutes manieres raisonnables & licites de les complaire & faire leur gré les attrayra amyablement & a chere joyeuse sera procureresse pour eulx vers son seigneur si besoing est & s'il advenoit qu'il y eust aucun contens entre eulx elle se mettra en peine d'en faire la paix elle dira bien de eulx & les essaucera. si gardera bien d'y prendre estrif de parolles & en toutes manieres eschevera a son povoir que contens ne aucune rancune naisse ou sourde entre elle & eulx. Poson que aucun feust dangereux & maltraictable mettra peine a le sçavoir avoir par la meilleur voye selon sa condicion en gardant toutes voyes l'honneur que a elle appartient si n'aymera mie seullement les parens de son seigneur. mais aussi tous que elle sçaura qu'il ayme. suppose ores qu'elle sceust qu'il en y eust de maulvais si leur fera elle bonne chiere la cause si pource que elle ne les pourroit faire estre bons ne aussi par adventure empescher ne destourner l'amour & la hantise que son seigneur y a Si ne seroit que riote & noise s'elle leur monstroit mauvais semblant & acqueroit tant plus d'ennemys. Et si diroit on que voirement est il vray que femme n'aimera ja personne que son mary ayme / bien est la verité que se elle sçait que son seigneur soit encliné a la croire & elle soit certaine que iceulx soyent vicieulx & mauvais & que mal en faict ou en murs puisse venir a sondit seigneur par les hanter elle luy dira & monstrera appert coyment & doulcement ou fera dire. Et de tenir ces manieres sondit seigneur luy sçaura tresgrant gré aura la grace & benivolence de ses parens qui moult luy pourra valoir & garder de mains autres perilz & encombriers & plus seure sera quand elle aura la seureur des parens de son seigneur. Car on a veu maint mal avoir a femmes maintes fois a cause des parens de leurs maris. Et cestuy signe avec les autres donnera plus grant certification de l'amour & loyaulté que elle a son seigneur.

¶ Cy devise du .iii. enseignement de prudence qui est comment la saige princesse sera songneuse de se prendre garde sur l'estat et gouvernement de ses enfans. chap. .xiiii.

Le troisiesme enseignement de prudence a la princesse saige est que s'elle a enfans de se prendre garde d'eulx & de leur gouvernement aux filz non obstant qu'il appartiengne au pere de leur querir maistre & bailler telz gouverneurs qui soyent bons & convenables toutesvoyes la dame qui maine par adventure tant de charge de diverses choses & que aussi nature de mere est communement plus encline au regard de ses enfans doit moult adviser tout ce qui leur appartient & plus a ce qui touche discipline de meurs & d'enseignemens que au gouvernement du corps. Et pource la saige princesse prendra garde comment on les ordonnera quelz sont ceulx qui les auront en gouvernement & comment ilz en feront leur devoir et non mye s'en attendre au rapport d'autruy / mais elle mesmes souvent les visitera en leurs chambres les verra coucher & lever & comment ilz seront ordonnés & telle chose faire a princesse n'est ce honneur non. Car c'est le plus grant port seureté & parement que elle puisse avoir que enfans & tel par aventure souvent avient vouldroit bien nuyre a la mere qui n'endureroit pour la doubte des enfans si les dois bien tenir chierement & est grant los de dire que elle en soit soigneuse. Car c'est signe que elle est sage & bonne. doncques la sage dame qui chierement les aymera sera diligente que ilz soyent endoctrinés & que ilz aprengnent tout premierement a servir dieu soyent enseignes en lettres & que le maistre soit songneux de les faire aprendre aux heures competentes mettra peine la saige dame qu'il plaise au pere qu'ilz soyent introduitz en latin & que aucunement s'entendent es sciences. Laquelle chose est moult convenable a enfans de princes et de seigneurs. Elle vouldra aussi quant leur aage croistra & qu'ilz auront entendement qu'ilz soyent admonnestés des choses du monde du gouvernement qui leur affiert / et de toutes choses qui a sçavoir a princes appartiennent que tous admonnestemens de vertus leur soyent dis & demonstrés enseigner la voye de fuyr les vices. Ceste dame se prendra bien garde des meurs du maistre & de la sapience aussi des autres qui seront entour eulx. Si les fera oster s'ilz ne sont bons & mettre nouveaulx / vouldra que lesditz enfans soyent souvent menez vers elle. Considerera leurs manieres & faitz & ditz & les reprendera ellemesmes tresfort s'ilz mesprennent / se fera craindre a eulx & vouldra qu'ilz luy portent grant honneur / elle les arraisonnera pour sentir de leur entendement & de leur sçavoir saigement les enseignera. Ses filles fera gouverner par bonnes & sages dames & ainçois qu'elle commette a nulle le gouvernement sera bien informee du sens des moeurs & de la vie d'elle. Car a ceste chose doit bien prendre garde & que la dame ou damoyselle a qui baillera en gouvernement sa fille soit de bon renom & devote envers dieu & de sens & honneur mondain sage & prudente affin qu'elle luy sache bien monstrer le bien & la contenance & maintien qui appartient a fille de prince a avoir & sçavoir / & doit estre icelle assez agee / affin qu'elle soit plus saige en meurs & plus prisee & doubtee mesmes de l'enfant qu'elle gouvernera / & aussi de tous les autres de la court plus auctorisee & crainte. Car il appartient a dame qui a tel charge qu'elle se prengne bien garde que environ la fille du prince ne repaire fille ne femme ou y ait reproche ne qui soit mal conditionee legiere ou folle ne de layde maniere affin que l'enfant n'y peust prendre aucun maulvais exemple. Et vouldra la princesse que quant elle sera en aagee qu'elle apreigne a lire aprés qu'elle sçaura ses heures & son service qu'on luy baille et administre livres de devotion et contemplation / ou qui parlent de bonnes meurs / ne nulz de choses vaines de folies ou de dissolution ne souffrera que devant elle soyent portés pour ce que la doctrine & enseignement que l'enfant retient en sa premiere jeunesse il en est communement recors toute sa vie aussi saige princesse se prendra bien garde du gouvernement et de la doctrine de ses filles & autant que leur aage croistra tant plus en sera songneuse. Si les aura le plus du temps environ soy les tiendra en crainte & le saige maintien & vaillance d'elle sera exemple aux filles de semblablement eulx gouverner.

¶ Cy devise le .iiii. enseignement de prudence qui est comment la princesse tiendra discrete maniere vers ceulx qui ne l'aymeront pas et qui auront envye sur elle. Chapitre .xv.

Le quatriesme enseignement de prudence a la sage princesse est tout d'autre matiere & tout soit il differencié du dessusdit se n'est il mye de moindre maistrise a le sçavoir bien conduyre / car l'autre est naturel comme ce soit chose acoustumee que toute saige mere a soing du gouvernement & de la doctrine de ses enfans / mais cestuy qui est de sçavoir vaincre & corriger le propre couraige & voulenté de soy mesmes est chose comme par dessus nature. Et pource de tant que plus est fort a faire de tant est plus digne de recommandation / & la personne qui bien en scet user en fait plus a louer. Car c'est signe de tresgrant force & constance de courage qui est entre les vertus cardinalles de grant excellence & toutesfois n'est mye doubte qu'il est necessité a toute sage princesse qui ayme le pris d'honneur & de renommee sçavoir user de ceste force ou autrement sa prudence ne se peut bonnement ne du tout monstrer ne faire congnoistre n'estre parfaicte. Si nous convient plus particulierement declarer a ce que nous voulons dire. Il n'est point de doubte que selon le corps du monde & les mouvemens de fortune il n'est nul si grant prince en ce monde / tant soit juste ne fut oncques prince seigneur ne dame ne aultre homme ne femme qui ayt peu estre ne soit de tous aymé. Car posons que une creature fust toute parfaicte si ne souffiroit point la despitable envie qui se fiche en cueur humain que la personne fust au gré de tous ne aymee de chascun. Et ce povons veoir par la personne de Jhesucrist qui fut seul tout parfait / & toutesfois envye le fist mourir / & si a elle faict mains autres bons vaillans que je pourroye traire a exemple. Et de tant que la personne est meilleure & plus vertueuse de tant plus fait envye bien souvent greigneur guerre & si n'est nul ne nulle tant puissant ne oncques ne fut fors dieu qui de tous se peut venger. Et pource a nostre propos la saige princesse & semblablement toutes celles que vouldront ouvrer de prudence sera de ce tresbien avertie & pourveue de remede / dont s'il advient que fortune la vueille assaillir par aucun endroit si qu'elle a fait & fait mainte bonne gent et elle apperçoyve & saiche que aucun ou aulcunes personnes puissans ne luy veullent point de bien l'ayent en male grace & qu'ils luy nuyroyent s'ilz povoyent & s'eslongeroyent de l'amour & de la grace de son seigneur qui les croyroit par adventure pour leurs blandices & flateries ou la mettoyent par les faulx rapors mal des barons des subgetz ou du peuple elle ne fera de ce nul semblant qu'on s'en aperçoive ne que on les repute ne tienne ses ennemys Ainçois pour la bonne chere qu'elle leur monstrera donnera a croyre qu'elle tient grandement ses amys & jamais ne croyroit que aultrement fust & que plus que en autre y a fiance / mais il conviendra que celle de bonne chere soit ordonnee par tel sens et si rassise que nul ne puisse appercevoir que sainctement le face. Car si une fois estoit trop grande & autre fois a yeulx felons sicomme de cueur qui est plain qu'on voit bien que le ris en est a force tout seroit honny pource est le sens a garder mesure en cest endroit & fault bien que le courage en soit pourveu avant le coup / si faindra qu'elle se veult gouverner par eulx & par leur conseil & les appellera en ses estroitz conseilz comme elle monstrera a semblant leur dira des choses communes par grant secret & fiance qui seront contre sa pensee / mais conviendra que ce soit fait par bonne maniere qu'ilz ne s'en donnent de garde & qu'elle soit maistresse de sa bouche. Car se aucun mot disoit d'eulx en derriere contraire a ses semblans qui fust raporté ce seroit peril / car il n'est si grant seigneur ne si grant dame a qui tous ses servans soyent loyaulx. Si doit on bien regarder devant qui on parle / mais cueur qui est gros & plain a peine seuffre la bouche tousjours taire de ce qui luy desplaist Et la est la maistresse elle gasteroit tout son affaire. Car ce seroit sa honte & amenuisant sa grandeur que ces ennemys apperceussent que elle sceust qu'ilz ne l'aymeroyent pas & leur fist tel semblant. Car ilz penseroyent que elle le fist par crainte. Si en seroyent plus orgueilleux et plus hardis de luy nuyre. Et l'en priseroyent moins / si se sçaura bien de ce garder. Et se aucune personne luy en rapporte riens et elle pense que a iceulx sa responce puist estre raportee / elle blasmera les rapporteurs & dira qu'elle scet bien que ceulx de qui ilz parlent vouldroyent son bien & son honneur / & qu'ilz sont tresbons et loyaulx & ses amys. Et pensons que iceulx ennemys fissent ou dissent aucune chose a son prejudice de la chose se peut couvrir nullement que pour aucune autre cause que pour mal d'elle l'ayent fait ou dit. Encores fera elle si la simple ou ygnorante que ne l'aperçoyve & monstrera semblant que ce ne luy touche point & qu'elle n'a nulle pensee ne suspecion contre eulx / mais nonobstant toutes ces choses & ses grans dissimulations se guettera d'eulx de tout ce qu'elle pourra & sera dessus ses gardes. Ainsi la sage dame usera de ceste discrete dissimulation & prudence cautelle laquelle chose ne croye nul que ce soit vice mais c'est grant vertu quant faicte est pour cause de bien & de paix & sans faire a nul injure pour eschever greigneur inconveniens. Et voicy le mal qu'elle eschevera et le bien qui luy en suyvra se semblant faisoit qu'elle apperceust leur crisme. Ce seroit raison qu'elle print debat & contens a eulx & mist peine a s'en venger. Si conviendroit qu'elle en emeust grant noise & mist en guerre & en peril ses amys / & peut estre que son seigneur les croyroit mieulx que elle ou les autres barons & subgetz. Si engregeroit adoncques le contens & viendroit a plus grant meschief & si ne s'en verroit ja par adventure vengee / si auroit de tant plus grant dueil / & par la susdicte voye de souffrance & dissimulation est a presumer qu'elle appaisera l'ire et le maltalant de ses ennemys / & a tout le moins n'auroient ilz jamais le cueur de tant luy nuyre comme s'elle se monstroit ennemye. Car trop seroit desloyal celluy qui vouldroit faire mal a la personne qui le reputast son amy. Et posons qu'ilz ne s'en souffrissent leur trahyson & leur maulvaistie sera de trop plus grande & de plus apparoit au monde / si en seroyent de tant plus reprins & plus deshonnorez & moins viendroyent a leur entente. Car chascun leur donneroit le tort / & ne peut a toutes fins que la dame ne gaigne plus en tel cas a tenir si saincte maniere que par voye de rigueur & n'est pas doubte que cest enseignement affiere a tenir / non mye seullement aux princesses & dames / mais aussi generallement a toutes femmes. car en mains contens viennent en mariage par faulx rappors de flateurs aux maris que maintes ne scevent pas bien ou ne pevent dissimuler / ce scet dieu aussi font autres.

¶ Cy devise le v. enseignement de prudence qui est comment la saige princesse mettra peine comment elle soit en la grace & benivolence de tous les estatz de ses subgetz Chapitre .xvi.

Pource qu'il appartient a la sage princesse qui par prudence veult ordonner tous ses faictz qu'elle quiere et tienne toutes les voyes que honneur demander vouldra pour ceste cause qui est le cinquiesme enseignement estre bien du clergié / & en leur grace tant de gens des religions & des docteurs comme des prelatz & des gens du conseil & aussi des bourgois & mesmes de ceux du peuple. Mais aucuns se pourroient merveiller pourquoy nous disons plus nommeement de ceulx icy que des barons & des nobles. Si est la responce pource que nous suposons qu'elle en ja en soit bien si que c'est plus de commun usaige que lesditz barons & nobles elle frequente Si vouldra estre des dessus nommés bien pour deux principaulx causes L'une si est affin que les bons & devots prient dieu pour elle. & l'autre pource qu'elle soit louee d'eulx en leurs sermens et collations si que leurs voix & parolles luy puissent estre se mestier est escu & deffence contre les murmures & rappors de ses ennemys mesdisans. & les puissent estaindre par quoy elle en ait mieulx l'amour de son seigneur & aussi du commun peuple qui bien leur dame orra dire & qu'elle fust soustenue des plus puissans se besoing luy en venoit. Si sera bien informee lesquelz des clercz & des maistres tant des religieux comme d'autres seront les plus souffisans & de la greigneur auctorité & a qui on adjouste plus de foy a leurs ditz Iceulx mandera de fois a autre vers elle puis les ungs puis les autres parlera a eux moult amyablement vouldra avoir leur conseil & en user les fera aucunefois disner a sa court acompaignés de son confesseur & des gens de sa chappelle qui tous seront honnorables gens leur portera grant honneur / & vouldra que des siens soient honnorés qui est chose qui bien affiert. Car vrayment ceulx qui sont anoblis de science doivent estre honnorés / leur fera du bien de sa puissance donnera a leurs colleges & a leurs convens. Et combien que aulmosne doye estre faicte secrettement la cause si est telle / affin que la personne qui la fait n'en puisse monter en vaine gloire qui est trop mortel peché. mais se ladicte personne n'en n'avoit nulle elevation en son cueur mieulx seroit la donner publicquement que en secret pource qu'elle donneroit bon exemple a aultruy. & qui en celle intencion le fait double son merite & fait bien / dont ceste sage dame qui bien se sçaura garder d'icelluy vice vouldra bien que les dons & aulmosnes qu'elle fera par celle voye soyent sceuz & registrez s'ilz sont notables comme pour refaire leurs eglises & leurs convens ou autres necessaires en perpetuelle memoire en tableaulx en leurs eglises / affin que les gens prient dieu / ou autres registres ou ilz le dient publicquement / si y prendront exemple de pareillement donner d'avoir accointance mieulx pour avoir renommee par eulx s'il semble qu'elle touche aucun rain d'ypocrisie ou qu'elle en prengne le nom. toutesfois se peut elle nommer par maniere de parler juste ypocrisie. Car elle tend affin de bien & eschevement de mal. Car nous n'entendons mye que soubz umbre de ceste chose maulx et pechiez se doivent commettre ne que une grant vaine gloire en doyve sourdre en courage. Si disons de rechief que ceste maniere de juste ypocrisie est comme necessaire par especial a princes & princesses qui ont a dominer autruy a qui plus reverence affiert que a autre & certainement aussi ne messiet elle point a toute personne qui desire honneur le faisant a cause de bien. Et a ce propos il est escript au livre de valere que anciennement les princes faignoient qu'ilz fussent parens aux dieux affin que leurs subgetz les eussent en plus grant reverence & plus les craingnissent. Aussi vouldra la sage dame estre bien des gens du conseil de son seigneur soient prelatz chanceliers ou autres ordonnera qu'ilz viennent vers elle / les recevera honnorablement & parlera a eulx par sages parolles & le plus qu'elle pourra les tiendra en amour et ceste maniere de tenir luy sera vaillable en plusieurs choses. C'est assavoir car ilz loueront le sens & gouvernement d'elle qu'ilz verront notable. Aussi s'il advenoit que aucun envieux voulsisse quelque chose machiner contre elle ilz ne souffreroient passer en conseil riens a son prejudice et desmouveroyent le prince s'il estoit mal informé par aucuns autres / & aussi s'elle desiroit aucune chose estre passee en conseil ilz luy seroyent amys & plus favorables. Avec ce ladicte dame vouldra avoir la bien vueillance des clercz qui se meslent des causes comme du peuple comme nous dirions a paris avocas en parlement & ailleurs de tieulx semblables deffendeurs des causes si vouldra veoir a certains jours les presidens & principaulx d'entre eulx & des autres plus notables avec eulx & devisera a eulx amiablement & vouldra qu'ilz sachent & voyent de son honnorable estat non mye qu'elle leur die par maniere de vengence mais qu'ilz apperçoyvent par l'effet de son maintien & grant sçavoir & telle maniere tenir pourra estre vaillable a l'acroissement de son honneur et los / & la cause si est pource que tous estatz & de toutes manieres de gens de justice les principaulx bourgois des cités & villes de sa seigneurie de son seigneur & aussi des gros marchans & mesmement aucuns des plus honnestes des gens de mestier vouldra qu'ilz viengnent de fois a autre vers elle si leur fera tresbonne chere & mettra peine a estre bien d'eulx affin que s'elle avoit aucun affaire qu'ilz fussent devers elle & que se necessité leur venoit de quelque finance faire qu'elle peust par lesditz marchans de leur bon gré & voulentiers estre secourue laquelle chose il convient qu'elle emprunte se elle veult bien garder tous les termes & pointz de honneur doit rendre sans faillir a jour nommé affin que la verité de sa parolle soit tousjours tenue en toutes choses entieres & sans faillir & que plus grant foy on y adjouste. Pource que nous avons dit en cestuy chapitre .v. des .vii. enseignemens comment la saige princesse doit estre bien de ses subgetz si que dit est & pourroit sembler a aulcuns mal advisés que chose superflue soit de ce dire & que il n'appartiengne que princesses prengne cure de atraire ses subgés ains doit commander baudement ses plaisirs & que ilz doivent obeir & mettre peine de l'attraire a amour & non mye elle eulx ou autrement ne seront ilz mye subgés & elle maistresse mais a ce nous respondrons que sauve la grace des diseurs ce appartient a faire non mye seulement a princesses mais aux princes par maintes raisons / mais de deux nous passerons. Car moult se pourroit ceste matiere plus eslargir. L'une si est que quoy que le prince soit seigneur maistre des subgetz / toutesfois les subgetz font le seigneur & non mye le seigneur les subgetz. Et trouveroient trop plus legierement qui les reputeroit a subgetz se ils luy vouloyent estre mauvais que il ne trouveroit qui le recepveroit a seigneur & pour celle cause & aussi qu'il ne pourroit luy tout seul forçoyer contre eulx si luy estoient rebelles / & s'il avoit ores la puissance de les destruyre il mesmes se deffendroit. Et s'il est necessité que il les tiengne a amour en telle maniere que de celle amour viengne crainte plus que par rigueur ou autrement sa seigneurie est en balence. Si est vray le proverbe commun que l'en dit / il n'est mye sire de son païs qui de ses hommes est haÿs. Et de les tenir en amour vrayement plus grant sens ne pourroit faire se a droit veult estre nommé seigneur Car il ne pourroit avoir cité ne forteresse d'aussi grant deffence force & puissance comme luy peut estre l'amour & benivolence des vrays subgetz. L'autre raison si est pource que poson que subgetz ayent bonne voulenté vers prince & princesse si n'auroyent ilz jamais le hardement d'aler familierement vers eulx se ilz ne les mandoient ne il n'appartiendroit aussi. Si doit doncques venir le premier acueil du prince ou de la princesse mais il est bien raison que les subgetz facent de ce tresgrant joye & feste & qu'i s'en tiennent bien honnorez & en doit doubler en eulx leur amour & loyaulté tant que plus de doulceur & trouvent. Et a ce propos dit ung saige qu'il n'est chose qui plus suprengne le cueur des subgetz ne qui tant les tire vers leur seigneur comme quant ilz treuvent benignité et doulceur en luy si que il est escript d'un bon empereur qui disoit qu'il vouloit estre tel a ses subgetz que eulx mesmes desiroyent qu'il leur fust. & de ceste chose bien advisee la sage princesse le fera ainsi leurs femmes la visiteront aucunesfois & elle leur fera tresbonne chere et parlera a toutes si amyablement que tres contentes se tendront & loueront son sçavoir et sa tresgrant court tiendra et feste a ses gesines et aux nopces de ses enfans vouldra que elles soyent en la compaignie des dames & des damoiselles. Pour laquelle chose elle acquerra moult amour de tous & de toutes.

¶ Cy devise comment la saige princesse tiendra en belle ordonnance ses femmes de sa court. Chapitre xvii.

Le vi. enseignement de prudence est que la saige princesse tout ainsi que le bon pasteur se prent garde que ses brebis soyent maintenues en santé & se aucune en devient rongneuse il la separe du troupel de peur qu'elle peust empirer les autres elle se prendra garde sur le gouvernement de ses femmes lesquelles aura terres a son povoir toutes bonnes & honnestes car aultres ne vouldra avoir en tour elle. Et pource que c'est chose assez acoustumee que chevaliers et escuyers et tous hommes qui frequentent en tour femmes par especial les aucuns ont maniere de les prier d'amours & de les attraire se ilz pevent / la saige princesse par ses ordonnances tiendra telle maniere qu'il n'aura nul repairant a sa court si hardy qui a nulle de ses femmes ose conseiller apart ne faire semblant d'atrait & se il le fait ou que il soit apperceu en aucun signe que tantost telle chere luy soit monstree qu'il ne s'i osera plus embatre. Et ainsi selon seigneur maisgnee duicte la dame qui toute honneste sera vouldra que toutes ses femmes le soyent sur peine d'estre mises hors de sa compaignie si vouldra qu'elles s'ebatent a jeulx honnestes & non tieulx que hommes s'en puissent mocquer ne tenir leurs parolles ainsi que voulentiers font de femmes quoy qu'ilz s'en rient & jouent avecques elles se contiennent entre chevaliers & escuyers & tous hommes par beau maintien dient leurs parolles coyment & simplement s'esbatent & solacent soit en dances ou autres esbatemens gracieusement & sans liberté ne soyent baudes saillans n'effrayees en parolles contenance maintien ris & ne voysent la teste levee comme cerfz ramages lesquelles contenances seroyent trop mal seans & grant mocquerie a femmes de court ou plus doibt avoir honnesteté bonnes meurs & courtois maintiens que en nulles autres. Car la ou est le plus d'onneur doivent estre les plus parfaictes meurs & maintiens & de ce deceveroient trop les femmes de court se aucun païs en avoit de telle opinion qui cuydassent que plus leur apartenist a estre baudes & saillans que autres femmes / mais pource que nous esperons que yceste nostre doctrine soit portee par le temps advenir en mains royaulmes affin que en tous lieux ou il auroit en cest endroit aucune deffaulte peust estre vaillable. Nous disons generaument a toutes & de tous pays que il appartient a toute dame & damoiselle de court estre plus saige plus rassise & mieulx moriginee en toutes choses soit jeune ou vieille que autre. Car elles doyvent estre exemplaire de tout bien & de tout honneur aux autres femmes & se autrement le foisoient point ne feroyent d'honneur a leur maistresse ne a elle mesmes. Avecques ce vouldra la sage princesse affin que toutes choses en honnesteté se correspondent que les robes & les atours de ses femmes quoy qu'ilz soyent beaulx & riches comme il appartient bien soyent d'honneste façon bien mis & bien seans honnestement & nettement maintenus mais n'y ait nulle desguisure ne deshonnesteté de trop grans collectz ou d'autres oultaiges & en toutes choses la saige princesse ordonnera ses femmes / tout ainsi que la prudente & bonne abbesse fait son convent en telle maniere que mauvais rapport en estranges contrees ne aval la ville ne autre part n'en puisse estre fait / & sera ladicte princesse tant crainte & redoubtee par le sage gouvernement que on luy verra tenir que nul ne nulle ne sera si hardy aucunement desobeir a ses commandemens ne lever l'ueil senestrement ne mal apoint / car il n'est nulle doubte que une dame est plus crainte & doubtee & tenue en plus grant reverence quant on la voit saige & de pesans meurs & honneste / & posons que elle soit benigne & doulce que ne seroit male & diverse / car le seul regard de la saige & chiere attrempee est assés souffisant signe pour corriger ceulx & celles qui mesprennent & les faire craindre.

¶ Cy devise comment la sage princesse se prendra garde sur ses revenues & de ses finances & de l'estat de sa court.

Le .vii. enseignement de prudence a la sage princesse est que elle prendra garde soigneusement au fait de sa revenue & de sa despence laquelle chose doyvent adviser nonpas seullement princes & princesses / mais semblablement toutes gens que veulent vivre par ordre de saigesse n'aura point de honte elle mesmes de vouloir sçavoir la somme de ses revenues ou de ses pensions & que les comptes de ses receveurs & despenciers de ses finances soyent a certains jours fais devant elle vouldra sçavoir comment ses maistres d'ostel gouvernent ses gens & ordonnent son commun & distribuent les viandes & semblablement des autres offices de sa court dont elle ne vueille bien estre informee que ilz soyent prudens de bonne vie & prudens hommes ains que les prengne & se le contraire scet que tost ne les mette hors si sçaura combien monte la despence de son hostel vouldra sçavoir ce que on a prins des marchans & sus le peuple pour elle & pour sa despence & ordonnera qu'il soit bien payé a certain jour / car nullement ne vouldra leurs mauldissons ne estre a leur haine. si ne vouldra riens devoir mieulx aimera se passer a moins & plus sobrement despendre. deffendra qu'on ne prengne riens sus le peuple maulgré eulx & que ce ne soit a juste pris tantost payer & non mye faire aller les povres gens des villaiges & d'ailleurs a leur grant coust & destourbier & frais. Cent fois et plus a tout une cedule en sa chambre aux dames & a ses receveurs ains qu'ilz puissent estre payés ne vouldra point que ses tresoriers ou distributeurs de finances usent du stille commun / c'est assavoir soyent menteurs ne pourmenans les gens de terme en terme comme ilz pourront penser que ilz puissent payer. Ceste sage dame ordonnera l'avoir de ses revenues en la maniere qui s'ensuyt. Elle le partira en cinq parties. La premiere sera la part & porcion que elle vouldra mettre en aulmosnes & donner aux povres. La seconde en la despence de son hostel la somme elle sçaura que elle monte / voire s'il est ainsi que sur sa revenue & pention la doye querir et que son seigneur ne luy administre sans que elle s'en mesle. La tierce a payer ses officiers & ses femmes. La quarte en dons a estrangiers ou autres qui luy auront desservy extraordinairement. Et La .v. mettra en tresor & dessus prendra a sa plaisance ce que elle vouldra mettre pour elle en joyaulx robes & autres abillemens & sera chascune part & portion de telle quantité comme elle verra que elle puisse faire selon sa revenue. Et ainsi par ceste voye tenir riglement pourra avoir droit ordre en toutes ses choses sans confusion ne que argent faille pour assovyr aucunes des dessusdictes choses parquoy il convient faire finances estranges ou chevances non licites a grans dommaiges & frais. En ceste maniere par les sept dessusditz enseignemens de prudence tenir avec les autres vertus lesquelles choses ne sont mye fortes a faire / ains embellissent & sont plaisans mais que bon cueur s'i vueille disposer & que ung petit l'ait acoustumé pourra la saige dame acquerir la gloire renommee & grant honneur au monde & a la fin paradis qui est promis aux biens vivans.

¶ Cy devise en quelle maniere se doit estendre la largesse & liberalité de la saige princesse. Chap. .xix.

Et pource que nous avons parlé des autres vertus convenables a princesse assés au long & plus en brief avons touché la largesse mondaine qui en dons luy affiert a avoir hors l'ordre commune de sa despence & extraordinairement comme ce soit chose advisant a princesse que en ce soit advisee en parlerons plus au large la saige princesse qui vouldra qu'il n'y ait riens a reproucher en ses faitz se gardera bien que le vice de chetiveté & de non deue echarceté ne soit point veu en elle & aussi de folle largesse qui n'est mye maindre vice. Et pourtant par grant discretion & prudence usera & fera de ces dons / car c'est une des choses du monde qui plus exaulce la renommee des grans seigneurs & dames que largesse & ce tesmoigne jehan de sabberieuse en policraticion ou tiers livre ou .xiiii. chapitre a demonstrer que la vertu de largesse soit necessaire a ceulx qui ont le gouvernement sur la chose publicque. exemple de titus le noble empereur qui acquist telle renommee par sa largesse que on l'apelloit le secours & l'aide de toute personne & il avoit tel amour a ceste vertu de largesse que le jour qu'il n'avoit fait don aucun il ne povoit estre joyeulx & pour ce aquist la generalle amour de tous. Si demonsterra la sage dame sa largesse en telle maniere se elle a puissance de donner & il luy vient a congnoissance se que elle soit bien informee que aucuns gentilz hommes estrangiers ou aultres aient par longue prison ou rançon moult perdu du leur ou soient a grant souffreté elle leur aidera voulentiers du sien & de bon usaige largement selon son povoir. & pource que largesse ne s'estend mie tant seulement en dons comme dit ung saige / mais aussi en reconfort de parolles en leur donnant esperance elle les confortera de meilleur fortune & ce reconfort par adventure leur fera autant ou plus de bien que l'argent que elle leur donra car moult est chose agreable a personne si que ja est touché si devant quant prince ou princesse luy donne reconfort & mesmes de sa parolle. Et aussi si ceste dame voit aucun gentilhomme soit chevalier de bon couraige qui ait grant voulenté de soy avancer en honneur. mais n'ait mye grant chevance pour soy habiller si qu'il affiert & elle voit que de luy ayder soit bien employé & que il le vaille la gentille dame qui aura en soy toutes nobles meurs pour honneurs de gentillesse & pour tousjours eslever noblesse de vaillance luy aidera. Et ainsi en divers cas qui peut advenir s'estendra la saige & bien ordonnee largesse de ceste dame & s'il advient que aucuns presens ou dons luy soyent faitz de par aucuns grans seigneurs elle donnera si grandement aux messagiers que ilz s'en puissent louer & plus se ilz sont estrangiers que aux autres affin que en leurs païs en facent mention a leurs seigneurs & vouldra que tous soyent expediez. Et se les presens viennent de grans dames elle leur envoyera semblablement de ses joyaulx & de ses belles choses plus largement Mais se povre ou simple personne luy fait aucun service ou luy presente quelque chose estrange par bon vouloir elle regardera la faculté de la personne & son estat & la grandeur du service ou la value ou bonté ou beaulté ou estrangeté du don selon le cas si le remunerera quoyque ce soit si grandement que l'en s'en puisse & doye louer & avec ce par si joyeuse chere recevra la chose que ce sera a pou moitié poiment. Et non mie sera sicomme nous veismes une fois & n'a pas moult de nos yeulx avenir dont moult nous pesa a une court du monde de prince ou de princesse que ce fust la fut mandee une personne que on reputoit a saige pour oÿr & congnoistre de son sçavoir. Si y frequanta plusieurs fois / & se tenoit on tresfort content de ses faitz & de ses ditz & de l'effect de son sçavoir duquel il avoit fait audit prince ou princesse aucuns services justes bons & loysibles dignes de recommandation & desserte. En cestuy mesmes temps & espace frequentoit a icelle mesme court une autre persone qu'on reputoit a folle qui a coustume avoit de servir les seigneurs & dames de bourdes & rappors de ce qu'on faisoit par tout & de parolles de nulle value sicomme par maniere de truffes & de faire rire. Advint que on voult remunerer & faire dons a la personne que on reputoit a saige & qui avoit desservy de son sçavoir & a la personne qu'on reputoit a folle qui avoit servy seulement de dire les bourdes / si fut donné a ladicte folle ung don qui fut extimé a la value de .vl. escus. & a l'autre ung don de douze escus / de laquelle chose quant ce vismes entre nous troys seurs / raison / doctrine & justice muçasmes nos faces de honte de veoir si desconvenable extimation et tant aveuglee descongnoissance en court que on dit autentique. non mye pour la value du don / mais pour l'extimation des personnes & de leurs faitz Si ne fera mye ainsi la saige princesse qui des folz ou des folles ou qui le contrefont / ou de raporteurs de parolles et de choses de nulle value gueres ne s'acointera ne la estandra mye ses dons mais aux vertueux & a ceulx a qui le bien est employé.

¶ Cy devisent les excusations qui affierent aux bonnes princesses qui ne pourroyent pour aucunes causes mettre a effect les choses dessusdictes. Cha .xx.

Or avons dit ce qui appartient & touche a la largesse de la saige princesse / mais avant que nous passions oultre affin que oblié ne soit nous convient icy toucher par especial questions qui nous pourroient estre faictes sur deux pointz que touchié avons cy devant C'est assavoir l'un que nous avons dit & devisé comme il appartient que la saige princesse se face accointer des gens de tous les estatz & subgetz. Et l'autre a la liberalité que doit avoir. si que dernierement avons dit du premier point. Pourroit souldre telle question vous dictes qu'il appartient a saige princesse d'avoir la benivolence des subgetz pource se doit d'eulx accointer. Mais comment pourroit cestuy enseignement servir a toutes car il n'est point de doubte qu'il est assés que quoy qu'elles soyent tressaiges & prudentes si ont elles maris de merveilleuses meurs & qui si court les tiennent que a peine osent elles parler mesmes a leurs serviteurs et aux gens de leur ostel. si ne se pourroient icelles femmes de nul acointer & ne sert a nul envers elle cestuy enseignement. Item a l'autre point semblablement qu'il est assés de princes & d'autres hommes qui tant tiennent leurs femmes courtes d'argent qu'elles n'ont ung denier. Si ne pourroient celles par effect quelque bon vouloir qu'elles eussent user de celle vertu de largesse. Si respondrons a ces deux questions ensemble tout en unemesmes sentence. c'est assavoir que nous n'entendons mye de celles qui sont gardees par telles extremités. Car aux dames & princesses ou autres tenues en tel servage prudence ne peut donner autre enseignement & sil n'est il pas petit fors prendre en pacience faire tousjours bien a leur povoir & obeir pour avoir paix. Mais parlons a celles que nous supposons qui ayent auctorité sens & puissance de ce faire si que ja avons dit. Et aussi n'entendons mye des jeunes qui encores sont soubz l'administration d'autres dames vray est que cest nostre doctrine s'elles l'estudient & retiennent leur pourra servir d'aprendre a elles gouverner par telle prudence que quant seront en aage de plus grant discrection les maris & seigneurs qui les verront de semblable ordonnance & gouvernement leur pourront bien donner auctorité de faire & gouverner semblablement qu'il est dit & que nous dirons cy aps en temps & en lieu a leur ennortement & l'homme est trop fol de quelque estat qu'il soit quant il voit qu'il a bonne femme & saige s'il ne luy donne auctorité de gouverner se besoing est. combien qu'il en soit assés de si malostrus & de si descongnoissans qu'ilz ne sçavent veoir ne congnoistre / ou bonté & sens sont assis & se fondent sur l'oppinion que en sens de femme ne peut avoir grant gouvernement. de laquelle chose nous veons souvent le contraire. Si disons de rechief en concluant que se celles dames ainsi courtes tenues ne pevent en ces pointz mettre a effect leur prudence tant en ce qui touche d'elles faire a congnoistre a leurs subgectz & aussi en faisant largesse elles en sont a excuser. mais neant plus que une grant lumiere se pourroit si fort mucier que par aulcun anglet ne fust apperceue ne les pourront tant empescher leurs maris que s'elles sont bonnes saiges & de bon amour a leurs subgetz que elles ne soyent bien aymees de tous & reputé leur bonne voulenté pour faict pour les discretes et bonnes apparences qu'on verra d'elles / & que louees & renommees ne soyent en tous lieux Et souffice quant a ce propos.

¶ Cy devise du gouvernement a la saige princesse demouree vefve. chap. .xxi.

Parlé avons assés de ce qui touche les enseignemens des princesses mariees / mais affin que nostre doctrine soit en tous les estatz des dames vaillable dirons encore a ce propos parlant aux dames & princesses vefves tant aux jeunes comme aux anciennes en differences de leurs aages Si disons ainsi s'il advient que la saige princesse demeure vefve n'est point de doubte qu'elle plorera sa partie si que bonne foy le donne se tiendra close ung temps. aps le service & obseques a petite lumiere de jour en piteux & dolent habit selon honneste usaige. Si n'oubliera pas la bonne ame de son seigneur / ains en priera & fera prier tresdevottement par grant soing en mesmes services aulmosnes offrandes et oblations. & moult la fera recommander a toutes gens de devotion / et ne durera pas ung pou de temps ceste memoire & ses biensfaitz / mais tant comme elle vivra. Neantmoins a ceste dame qui sera de grant sçavoir prudente dira / & l'admonnesteront souvent son beau pere & ceulx a qui il appartiendra que nonobstant sa tresgrant perte & son grant dueil & regretz de la mort de son seigneur & de la bonne lealle amour qu'elle luy portoit il convient estre pacient de tout ce qui plaist au seigneur estre faist & que nous sommes nez pour aller celle voye quant il luy plaira. Si pourroit bien pecher & courroucer nostreseigneur de tant estre adolee & par si long temps & espace Si convient qu'elle prengne autre maniere de vivre ou grever pourroit son ame & sa santé. si n'en seroit mye de mieulx a ses nobles enfans qui encores ont tout mestier d'elle. Ceste dame ainsi admonnestee de raison & de bon conseil pour aucunement mieulx passer ceste grant tribulation se prendra a se donner de garde de ses besongnes. Tout premierement vouldra avoir congnoissance du testament de son seigneur & mettra toute sa peine au plustost que faire ce pourra pour allegier la benoiste ame de celluy qu'elle aymoit qu'il soit accomply. Apres s'elle a des enfans & le pere ne les a partis en son vivant prendra grant cure que les partaiges des terres et des seigneuries soyent faitz entre eulx par bon regard & advis des barons & des saiges du conseil si que au gré d'un chascun soit s'elle peut s'en travaillera de tout son povoir de les tenir en amour sans debat ensemble & que tous les moindres servent & honnorent l'aisné leur seigneur si que raison est. Avec ce advisera ce que a elle apartient tant au faict de meubles comme a son douaire. Et s'elle n'a nulz enfans & aucun luy vueille faire tort de ce qu'il luy appartient / sicomme souventesfois on fait aux dames vefves soyent grandes ou petites elle appellera bon conseil & en usera en gardant et deffendant son droit hardiment par droit & raison sans s'eschauffer en hastiveté de parolles vers nulluy. ains dira sa raison ou fera dire courtoisement a tous. mais elle gardera son droit & tant comme elle vivra tiendra en amour a son pouvoir les parens de son seigneur & grant honneur leur portera. & de ce faire sera grandement louee & prisee Mais s'il advient cas que la princesse demeure vefve a tout son aisné filz encores jeune & moindre de aage et que par adventure guerre & contens sourde entre les barons. et pour cause du gouvernement la convient il qu'elle employe toute sa prudence & son sçavoir pour les mettre & les tenir en paix. car nulle guerre d'estranges ennemys ne luy pourroit estre tant perilleuse comme ceste. Et pource la saige dame qui toute sera saige sera si bonne moyenne entre eulx par son prudent maintien & sçavoir pensant le mal qui pourroit venir de leurs debatz / veu son enfant encores petit & jeune que bien les sçaura apaiser. Et pource faire querre les plus convenables manieres & le plus qu'elle pourra le traictera par doulceur & par bel. & vouldra que tout soit fait par bon & loyal conseil / ou s'il advient que aulcunes terres se rebellent ou que la contree soit assaillie d'ennemys. sicomme souventesfois advient aps mort de prince a enfans moindres d'eage pourquoy conviengne avoir et maintenir guerre / bien aura besoing la prudente dame & princesse qui desirera a garder le bien des enfans que elle mette a oeuvre son grant sçavoir. Adonc luy aura mestier tenir en amour les barons chevaliers & seigneurs de son païs affin que tousjours soyent bons & loyaulx & de bon conseil a son enfant. Aussi les chevaliers escuyers & gentilz hommes / affin que de plus grant cueur voulentiers & hardiement se combatent se mestier est / & maintenant la guerre pour leur jeune seigneur le peuple aussi affin que plus voulentiers y aydent du leur se besoing est pour maintenir la guerre. Et pource affin qu'ilz soyent tousjours plus loyaulx subgetz & que autre ne les peust esmouvoir au contraire parlera a eulx aucunesfois par bel en disant par doulces parolles qu'il ne leur vueille ennuyer se adonc sont aucunement grevez pour la grant charge de la guerre & d'autres affaires que si dieu plaist ce ne durera mye longuement & que bien luy en souviendra et ramentevera a son filz le bien & la loyaulté qui est trouvee entre eulx Et telle maniere de parler leur dira la saige dame & princesse qui pourront estre vaillables en tel cas. Car ce les esmouvera a plus voulentiers y mettre du leur & a les garder de rebellion Lesquelles rebellions adviennent le plus souvent en peuple par estre trop oppressé de seigneurs & mené par rudesse. Et n'est pas de doubte que estre extimé ne pourroit le bien que telle princesse peut faire en royaulme & contree.

Cy dit de ce mesmes a l'enseignement des jeunes princesses vefves Chap. .xxii.

MAis se la princesse demeure vefve sans enfans ou qu'elle vueille vivre plus a son aise et en paix quant revestue sera de ce qu'il appartient Et du douaire assigné elle ira demourer sur la terre & la advisera comment elle se gouvernera bien & sagement selon sa revenue. Si mandera tantost les principaulx de ses hommes & aussi tous les prevotz & baillifz de ses chastellenies. Si vouldra sçavoir par bonne enqueste comment ilz se seront gouvernez et portés le temps passé & s'ilz sont preudommes se informera des coustumes du pays & se iceulx officiers sont bons ilz ne se bougeront / & se mauvais sont les ostera & mettra nouveaulx desquelz elle aura bonne relation. Et ne vouldra nullement que ses prevostez soyent baillees pour argent aux plus offrans & derniers encherissans / sicomme on fait maintenant communement en france. Et pource en sieges en beaucop de lieux a de tresmauvaise ribauldaille mengeurs de gens & pires que ne sont larrons / car il n'est mauvaistie qu'ilz ne facent pour tirer argent Et pour sçavoir le vray / l'experience commune le demonstre & certifie. Pource ne vouldra la bonne dame qui sera informee & avertie que sesdictes prevostés soyent loués vendues ne baillees a ferme / mais baillees par election aux plus preudhommes & aux plus sages ainsi que faire se doit. si leur conviendra expressement qu'ilz gardent que justice soit bien gardee / ou que autrement elle les desposeroit & pugniroit / & avec ses officiers fera expresse deffence & aux gens de son hostel que nul ne soit si hardy de faire grief a nul de ses subgetz ne prengnent riens sans payer / car elle ne vouldra pas son ame charger de l'avoir des povres gens pource que toute informee sera des grans excions que preneurs de seigneurs & de dames font souvent sus le commun / desquelles extortions pourtant s'ilz ne le servent ne seront pas excusés vers dieu lesditz seigneurs & dames Car ilz le doivent sçavoir & ne le souffrir pas: les vouldra tenir en paix & garder de tous maulx a son povoir. Et a brief dire de toutes choses les tiendra en amour / vouldra estre par eulx & par leurs femmes visitee souvent & bonne chere leur fera. Les dames & damoiselles du pays & les bourgoises semblablement viendront vers elle si les recevra joyeusement & honnorera chascune selon son droit. & les mandera pour en estre acompaigniee quant seigneurs ou estrangiers vouldront venir vers elle a ceste noble dame mesmement les petites femmes de village qui l'aymeront de tout leur cueur luy apporteront de leurs petis presens comme fruytz ou autres choses. & elle les fera venir vers elle et les vouldra veoir / recevra leurs chosettes joyeusement & de pou de chose fera grand compte et grant feste / & dira qu'il n'est riens si bon ne si beau. si les remercira cherement parlera avec elle / & leur tiendra parolles du faict de leur nourriture de leur mesnage / parquoy les bonnes femmes quant seront a leurs maisons feront grant feste & parlement de la chere que leur dame leur aura faicte & moult honnorees s'en tiendront. & grant quaquet en meneront avecques leurs voisins. Ceste noble dame n'aura pas honte de visiter les acouchees & povres et riches. aux povres donnera pour dieu / & les riches honnorera / tiendra sur fons de leurs enfans / & a brief dire en toutes choses bonnes se tiendra & demonstrera tant charitablement tant doulce & humaine vers ses subgetz qu'ilz ne parleront que d'elle prians pour elle & de tout leur cueur l'aymeront. Ces voyes bonnes sçavoyent bien tenir les tresnobles roynes de france & princesses en leurs veufvages que j'ay cy devant nommés / c'est assavoir la royne Jehanne la royne blanche la duchesse d'orleans fille jadis du roy charles .iiii. & semblablement d'autres que en telle maniere se gouvernent en toute bonté & saigeté qu'a tousjoursmais pourront estre exemplaire de bien et sagement vivre a celles advenir. Et cy est la fin des enseignemens que prudence donne a la saige princesse qui est en aage de congnoistre bien & mal. Si dirons ung petit puis que entrees ou propos sommes de la jeune princesse vefve & puis dirons des jeunes mariees il apartient a jeune princesse vefve que tant qu'elle sera en tel estat soit soubz la baille de ses parens obeysse a leurs vouloirs & se gouverne toute par eulx & par leur ordonance ne riens n'entrepreigne sans leur sceu & voulenté. Tenir se doit simplement d'abit & d'atour selon les usaiges des pays ou elle est coyment & doulcement en contenance que maintien jeux trop renvoisiés toutes dances estroictes robes & toutes jolivetés luy sont deffendues & quoy qu'elle soit joyeuse par nature & que jeunesse l'amonneste de rire de jouer & chanter. Si convient il si elle veult garder son honneur qu'elle s'en deporte au moins se ce n'est bien a son privé & non devant hommes & doit par especial entre segneurs & dames ou chevaliers estranges ou autres gentilz hommes moult faire le sage avoir contenance rassise pour parler & simplement regarder. Et lors diront les gens que c'est moult belle chose a si jeune dame avoir si beau maintien & si asseuree contenance il ne luy apartient point de tenir parolles appart ne conseil a hommes quelz qu'ilz soyent ne que chevaliers escuyers ne autres frequentent trop ne sans raisonnables achoisons environ elle ne a sa chambre / car par telz choses son bien en pourroit estre desavencé & cheoir en aucunes parolles qui moult tost & a peu d'achoison sont levees & de ce doit bien prendre garde la principal dame qui l'a en gouvernement mais pour eschever ennuy & oyseuse elle se doibt aux festes esbatre et jouer aux martres avec ses femmes & autres jeux simples & cois et aux jours ouvriers a faire aucuns ouvraiges elle se doit bien garder que elle ne tiengne parolles de mariage a quelconque personne a part en recelé ne sans le sceu de ses amys ne qu'elle en escoute nulles parolles se on les vouloit dire. Car ce ne seroit mye son honneur & si pourroit bien estre deceue. Si s'en doit du tout attendre a sesdis amys & bien garder que riens n'en face sans eulx car de se marier a sa voulenté sans leur bon consentement acquerroit grant blasme & se elle assenoit a mauvaise partie & que mal luy en prensist jamais ne seroit plainte & si perdroit leur grace. Si doit penser que ilz sauront mieulx congnoistre ce que luy est bon que elle mesmes ne feroit

¶ Cy devise du gouvernement qui doit estre baillé & tenu a jeune princesse nouvelle mariee. Chapitre .xxiii

Nous commençasmes cy devant a dire le maniere comment la sage princesse veult & ordonne que ses filles soyent nourries & introduyctes en enfance & jeunesse. Si nous convient en continuant ceste matiere parler et deviser de l'ordonnance qui a la fille appartient a tenir c'est assavoir a la jeune princesse qui veult vivre si qu'il appartient depuis le temps qu'elle est mariee & hors le bail de ses parens si dirons ainsi il appartient a la jeune princesse qui de nouvel est mariee luy soit baillé estat d'hommes & de femmes tel & si grant comme a la haultesse du prince et seigneur a qui elle est donnee appartient. Si seront esleuz pour estre ses serviteurs gentilz hommes non mye trop jeunes ne trop emperlez ne mygnons mais sages & attrempés & preudhommes & s'ilz sont mariés tant mieulx vault & par especial ceulx qui la serviront a table & qui plus frequenteront environ elle & de ses femmes & se il eschiet est bien seant que leurs femmes demeurent semblablement a court les maistres d'hostel gens meurs & de bon sçavoir & pour la jeune princesse mieulx aprendre & endoctriner de ce qui apartient au sauvement de l'ame & de sa conscience luy doit on eslire confesseur religieux sage clerc en divinité prudent en meurs & de sens naturel preudhomme d'onneste & de bonne vie. Et au fait de ses femmes pource que c'est droit que des anciennes dames & damoyselles & aussi des jeunes y soyent mises doibt bien estre advisee quelles de quel sens et estat et vie sont & ont esté celles ains que mises y soyent trop plus y doit estre visité que a celles que on prent a court de plus ancienne princesse. Car nonobstant que en toutes cours soit bien seant que les femmes y soyent de honnestes meurs. Toutes voyes pourroit cheoir plus grant peril en compaignie de jeune princesse que en aultre pour deux especiaulx raisons. L'une que on juge communement a l'estat & maintien que on voit a la maisgnie de l'estre & condicion du seigneur ou de la dame pourquoy se les femmes n'estoyent de belle ordonnance aucuns pourroyent supposer que non feust la maistresse laquelle chose pourroit estre le descroissement de l'honneur d'elle. Item la deuxiesme raison est que mesmement ladicte maistresse jeune & enfant y pourroit prendre aucun enseignement & exemple non bien convenable entre ses femmes doibt avoir une dame ou damoiselle assez d'aage saige prudente bonne honneste & devote a qui on aura beillé par fiance le gouvernement de la jeune dame combien que par adventure en y aura a la court maintes de plus grant lignage & des parentes peut estre a ladicte princesse mises par honneur & compaignie & neantmoins ceste aura le soing & la garde principal d'elle. Si n'aura mye ceste dame cy se bien veult faire son devoir petite charge ne peu de soing ne regard. Car il convient que elle tende a deux choses principalles. L'une est qu'elle induyse & maintiengne sa maistresse en sage gouvernement & bonnes meurs & telles que nulles voix ne parolles puissent souldre contre son honneur & l'autre que elle la tiengne en amour & qu'elle ayt tousjours sa grace. Lesquelles deux choses c'est assavoir donner correction & enseignement a jeune gent & avoir ensemble leur amour & grace est souvent moult fort a faire si y convient ouvrer par grant discretion & ce peut faire par tel maniere. C'est trop plus fort chose d'estaindre le feu quant il a emprins & embrasé une maison / que il n'est a garder que il ne s'i esprengne Et pource la sage mesnagere qui a toutes heures est sur sa garde d'eschever les perilz qui pevent advenir cerche souvent par sa maison par especial au soir de paour que aulcune mesgnie mal songneuse ayt laissé chandelle ou moucheron ou autre chose dont dommage puisse venir tout ainsi ceste dame pourveue de ce qu'elle aura a faire en la maniere que on ploye la verge quant elle est jeune sicomme on veult adviser a son povoir de mettre en tel ploy sadicte maistresse se qu'a tousjours mais y puisse demourer. Et pource de loings & non mye tout a coup que la verge ne brise ira querre ses commencemens pour venir & attaindre a ses conclusions & a ce qu'elle vouldra mettre a fin. Car tout premierement elle prendra toute la peine qu'elle pourra par belle et courtoise maniere & par luy donner aucunes chosettes qui plaisent a jeunes gens & par ce monstrer amiable pour avoir l'amour de sa jeune maistresse & commandera que la bonne dame qui sera ja de aage ou ancienne aucunesfois en jeux ou esbatemens quant ilz seront a part & a prime ainsi que l'enfant & la jeune dira aucuneffois des fables & des comptes que on dit a enfans. Et tout ce fera elle pour attraire sa maistresse affin qu'elle prengne mieulx en gré quant il conviendra que elle la reprengne et corrige / car se elle se monstroit tousjours de pesant maniere sans ris & sans jeux jeunesse qui est encline a joye & soulas ne la pourroit souffrir & l'airoit en si grant crainte que desplaisance y prendroit & mal en gré ses corrections. Et quant elle verra que elle sera bien en sa grace & que elle sera ainsi que toute mignote sur elle / adonc selon l'eage ou le sentement que appercevera en elle luy prendra a compter comptes quant ilz seront en leurs chambres et a leurs devis de dames & damoiselles qui se sont bien gouvernees comment il leur est bien prins & l'onneur que elles en ont & par le contraire comment mal est ensuyvy a celles qui follement se sont portees dira que elle l'a veu advenir de son temps & les fera avant tous nouveaulx que elle n'en dye pour autre chose fors ainsi que l'en compte des aventures & de si bonne maniere les sçaura dire que elle mouvera le courage de sa maistre & des autres qui l'orront & seront toutes atroupelees entour elle & voulentiers l'escouteront dira aucunesfois histoires de sains & de saintes de leurs vies & passions & aucunesfois parmy pource que devis n'ennuye dira quelque truffe a rire & ainsi vouldra que les autres dient affin que chascune devise a son tour / icestes manieres tiendra la sage dame quant au fait d'actraire la jeune princesse a elle aimer / mais a ce qui touche a la correction & enseignement elle introduira par belles & courtoises parolles qu'elle se lieve assés de bonne heure. Si luy apprendra quelques bonnes & briefves oraisons et l'enortera qu'elle les dye en se levant. Salve premierement nostreseigneur & la vierge marie & dira que elle a ouÿ dire que personne qui a de coustume d'adresser ses premieres parolles de bon cueur a nostreseigneur en se levant n'aura ja la journee mauvaise adventure & de ce dira elle verité Car ainsi le tiengnent plusieurs & est la coustume moult bonne la fera vestir & atourner sicomme il appartiendra sans y mettre si longuement que assés de dames font qui est une si grant perte de temps & une coustume malordonnee aler a la messe & dire ses heures devottement & songneusement & avecques ses choses tout le bel maintien ou parler contenance atours & vestemens qui appartiennent a princesse de hault paraige luy ennortera a faire et maintenir en telle maniere qu'il n'y ait que redire & tant fera a brief dire par ses saiges ammonnestemens qu'elle la mettra en tel division que chascun dira que de son jeune aage on ne vit oncques dame de tel maintien ne mieulx aprinse. & diront d'elle les gens. O comment affiert grant louenge a jeune cueur estre viel & meur par bonnes meurs voire je supose que ladicte jeune dame soit de si bonne condicion que elle vueille et seuffre estre introduyte & vueille bien retenir. car estre pourroit si diverse que la dame seroit a excuser s'elle ne la povoit duire ne mettre en bonne rigle. Si doivent estre les menaces de la sage dame telles quant elle reprent sa maistresse de quelque faulte sicomme jeunes gens font. Il n'est si parfait si elle est bonne & doulce & que bien l'ait a main que se elle fait autrement ou que plus face ou die telles choses que la lairra & s'en ira chés elle ne jamais ne la servira & que ce n'est pas belle chose ne bien fait a telle dame comme elle est d'ainsi se gouverner & adonc se la jeune princesse est bonne & doulce & que elle aime la dame aura paour que elle la laisse & se chastiera de pou de menaces mais se elle est revesche & de diverses condicions despite & de pou d'amour elle luy dira a part tout asprement sache bon gré ou mal gré & que elle le dira a ses parens & amis ou son seigneur se besoing est se autrement ne se gouverne. Et quoy que ceste dicte dame ait la charge d'endoctriner & aprendre tel maintien qu'il convient a sa jeune maistresse nonpourtant elle qui sera saige sçaura bien qu'il convient jeunesse se joue & rie si luy en donra & souffrera assés espace convenablement a certaines heures avec les jeunes de ses femmes & qu'il n'y ait ame estrange selon la condicion & que elle verra encline sadicte maistresse. Car on ne peut mye ne ne doit on voer aux jeunes gens tous leurs plaisirs mais que ilz ne soyent mal honnestes ne desconvenables. Et de ce propos / c'est assavoir des meurs & contenances qui affierent a la bien ordonnee jeune princesse ne parlerons plus cy endroit pource que si aps en l'espitre que la dame ancienne envoye a sa maistresse se en sera parlé.