Chapitre 14

Avant d’avoir pu prendre Sinclair à part pour lui dire ma façon de penser sur… toute la situation, ou m’expliquer avec Jessica, quelqu’un sonna à la porte.

— Jessica, même si j’aimerais continuer cette conversation, je dois te demander de nous excuser, dit Sinclair.

— Oooooh ! s’exclama-t-elle. Encore une affaire de vampires ? (La soirée m’apportait choc après choc. Je n’avais jamais entendu autant de « Oooooh ! » sortir de sa bouche.) Qui est-ce ?

— Personne que je désire te présenter. (Il désigna la porte qui menait à l’escalier d’un geste de la tête.) Si tu veux bien te donner la peine…

Je ne savais pas quoi faire et, vu son expression, Jessica non plus. Après quelques minutes de silence tendu, elle haussa les épaules et s’éclipsa.

— Tu auras tout le loisir de crier plus tard, me lança-t-il en se dirigeant vers la porte d’entrée.

J’étais terrifiée à l’idée de découvrir qui se cachait derrière… mais comme d’habitude, mon imagination s’était emballée. Il s’agissait seulement d’une dame à l’air très gentil – et très belle, en toute honnêteté. Avec son chemisier lilas, sa jupe grise, ses bas adéquats et ses escarpins noirs, elle ressemblait à une bibliothécaire. Ses chaussures en cuir n’avaient pas la moindre éraflure.

Elle devait avoir la cinquantaine, comme en témoignaient les quelques mèches argentées dans ses cheveux noirs et les pattes d’oie au coin de ses yeux.

Ses yeux…

Il y avait quelque chose qui clochait chez eux. Parfois, Sinclair avait un regard similaire. Quand la situation l’énervait – c’est-à-dire quand un méchant vampire essayait de me tuer –, ses yeux se transformaient. Ils devenaient si noirs qu’on se voyait dedans, un peu comme ces lunettes de soleil que les flics portent. C’est difficile à expliquer, mais je n’y discernais que mon propre reflet. La plupart du temps, le regard de Sinclair débordait de tendresse, d’amour, voire d’inquiétude. Parfois, j’y lisais ce qui le faisait rire… De bonnes choses, en soi. Lorsque tout ceci disparaissait, j’étais généralement trop occupée pour m’en rendre compte et m’en soucier.

Vaguement terrifiée, j’observais la vieille dame devant moi. Elle fit la révérence en débitant rapidement une phrase en français, si mes souvenirs sont bons.

Sinclair lui adressa un sourire dont le taux de sincérité ne dépassait pas les 85 %.

— Bonsoir, Marjorie.

— Majestés !

— Je suis heureux de vous revoir.

— De même, monsieur.

Sinclair se pencha pour lui baiser la main, à l’européenne. Je lui tendis ensuite la mienne pour qu’elle la serre avant que quiconque puisse l’embrasser. Elle s’exécuta en souriant, pourtant, je faillis la repousser aussitôt. Sa peau était froide : rien d’étonnant à cela. En revanche, ce que je n’avais pas prévu, c’était de ne rien voir d’autre dans ses yeux que mon reflet.

Il devait s’agir d’une vampire très ancienne. Quelqu’un qui avait tout vu… absolument tout. Et qui, à présent, se foutait complètement du reste du monde. Je la plaignais autant que je la craignais. Je me sentais triste pour ce genre de personnes.

— Je suis ravie de vous rencontrer, mentis-je.

Elle pencha la tête.

— Majesté, nous nous sommes déjà rencontrées.

— Bien sûr que non.

Je n’aurais jamais pu oublier ces yeux. Même ceux de Nostro n’avaient rien de comparable. Non, c’était la première fois que je la voyais et, après ce jour-là, j’espérais ne plus jamais la croiser.

— Je faisais partie d’un groupe qui est venu vous présenter ses respects après le… euh, l’accident de Nostro sur ses terres. Peut-être ne m’avez-vous pas remarquée.

— Non, visiblement pas.

Comme je ne voulais pas la décevoir – difficile à dire : elle exprimait autant d’émotions qu’un robot –, j’ajoutai :

— Désolée de ne pas vous avoir repérée dans la foule.

— Il n’y a aucun problème, ma reine. Dernièrement, vous avez eu… un emploi du temps bien rempli.

J’éclatai d’un rire sans joie. Ce robot avait été programmé pour faire des remarques amusantes !

— On peut dire ça.

— Vous voulez boire quelque chose ? Nous avons un Château Leoville Poyferré que vous apprécierez sûrement.

Ah bon ?

— Mon roi, c’est la proposition la plus tentante que l’on m’ait faite cette année. Malheureusement, je dois retourner à mes obligations. Je suis simplement venue demander une faveur à notre reine.

Ah bon ? Remarquez, au moins, elle parlait la même langue que moi.

— Très bien, dis-je. Mettez-vous à l’aise.

— Merci, ma reine.

 

Pour gagner du temps, on s’installa dans le salon adjacent au hall d’entrée où cette bonne vieille Marje nous suivit rapidement.

— Comme vous le savez, je m’occupe de la bibliothèque du centre-ville.

J’avais raison : elle était bien bibliothécaire ! Je hochai la tête pour lui faire croire que je le savais déjà.

— Je compte mettre en place une newsletter pour la communauté vampirique.

— Vraiment ?

— C’était votre idée, ma reine. « C’est pas possible à la fin ! Pourquoi vous ne mettez pas en place une newsletter ou un truc dans le genre, bordel ? »

Sinclair sourit jusqu’aux oreilles.

— Voilà qui est flagrant d’authenticité !

— Quand est-ce que j’ai dit ça ?

— Lors de notre première rencontre dont vous ne vous souvenez pas.

— Désolée, mais je devais avoir deux ou trois choses en tête ce jour-là ! Si vous n’êtes pas capable de venir vous présenter personnellement, ne vous plaignez pas qu’on ne se souvienne pas de vous !

— Je vous demande de nouveau pardon, répondit Marjorie d’une voix monotone, pour tous mes défauts.

— Et en plus, vous piquez des répliques d’Autant en emporte le vent !

Le robot sembla enfin se détendre. Elle réussit même à sourire légèrement.

— Vous avez vu le film ?

— Seulement huit mille fois. Cette scène n’est pas dans le livre, mais elle est vraiment réussie… Rhett se fait traiter de lâche. Pourtant, il refuse de céder à la provocation parce qu’il sait très bien qu’il peut tous les battre à plate couture. Comme tuer Charles Hamilton serait un gros gâchis, il se contente de faire la révérence et de partir.

— Je pense que ça annonce un sujet beaucoup plus large qui est présent à la fois dans le livre et le film, répondit Marjorie d’un air pensif, croisant les chevilles comme une dame de la haute société. On nous montre souvent les défauts de Rhett. Ses bons côtés n’apparaissent généralement que lorsque Scarlett est impliquée.

— Oui, comme lorsqu’il lui apporte son chapeau après le renforcement du blocus et vole un cheval pour qu’elle puisse rendre visite à sa mère hors de la ville. Alors qu’elle est déjà morte, mais Scarlett l’ignore, bien sûr.

Marjie sourit patiemment en écoutant mon interruption passionnée.

— À ce moment-là, il a l’occasion de tuer un homme appartenant à la même classe de planteurs que lui, dans un duel qui serait acceptable par la société. Pourtant, il…

— … s’enfuit dans la bibliothèque où il rencontre Scarlett et toute l’histoire commence.

— Amour. Mort. Guerre, soupira-t-elle. C’était le bon temps !

Je choisis de passer outre à l’étrangeté révoltante de la bibliothécaire et continuai sur la même, euh, veine :

— Vous savez, je n’avais jamais vu les choses sous cet angle-là ! Dès le début, il aurait pu se racheter, en fait.

Marjorie haussa les épaules.

— Je lis ce roman depuis qu’il existe. Pourtant, je découvre chaque fois quelque chose de nouveau. Quelle œuvre extraordinaire !

Pas possible ! Quelqu’un qui aimait Autant en emporte le vent ne pouvait pas avoir un mauvais fond, n’est-ce pas ? En tout cas, j’avais envie d’y croire.

— Écoutez, je suis désolée que l’on soit parties sur de mauvaises bases. Je ne suis pas douée pour me souvenir des noms et des visages. Excusez-moi de ne pas vous avoir remise.

— Ne vous en faites pas, ma reine, répondit-elle. (Cette fois, elle semblait vraiment le penser.) Je suis ici pour vous demander une faveur. Je ne suis pas en position de vous en vouloir.

— C’est vrai… mais, personnellement, ça ne m’en a jamais empêché. Qu’est-ce qui se passe ?

— Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je travaille à la bibliothèque locale.

La bibliothèque locale ? Il en existait plusieurs ?

— Bien sûr, je m’en souviens.

Sinclair m’adressa un regard sceptique que je fis semblant de ne pas remarquer. Même s’il n’avait pas prononcé un seul mot depuis plusieurs minutes, il semblait soulagé de ne pas avoir à nous empêcher de nous arracher les yeux.

— Et comme je l’ai dit également, je vais mettre en place une newsletter. Elle sera consultable en ligne, uniquement par les vampires qui auront les mots de passe adéquats, etc.

— Vous n’avez pas peur que quelqu’un vous pirate ?

Son sourire se fit forcé.

— Absolument pas.

— D’accord. Continuez.

— J’aimerais que vous y participiez, ma reine.

— Y participer ? Vous voulez dire écrire quelque chose ?

— Oui, madame. Tous les mois.

— Mais… Marje !

— Marjorie, me corrigèrent Sinclair et Marjorie simultanément.

— Il existe sûrement des millions de gens qui pourraient s’en charger.

— Ce n’est pas le problème, ma reine. Vous n’êtes pas sans savoir que certains de vos sujets ont un peu de mal à accepter votre… nouveau statut.

— Quel tact ! Je suis bluffée.

— Merci, ma reine, dit-elle avec un petit sourire. Je pense, et beaucoup de mes semblables sont de mon avis, que vous devriez vous servir de ce médium pour vous faire connaître de votre communauté. Cela leur permettrait d’apprécier celles de vos qualités qui ne sont pas… apparentes au premier abord.

— Waouh ! m’exclamai-je en secouant la tête, muette d’admiration. Vous devriez travailler pour les Nations unies ! Quand c’est lui qui me dit un truc pareil, je me mets tout de suite en colère.

La mère Marje hocha la tête modestement tandis que Sinclair se contentait de m’adresser un regard assassin.

— Que voulez-vous que j’écrive ?

— Ce qu’il vous plaira. Des observations sur le voisinage, des essais sur le conflit éternel qui oppose les humains et les vampires, les avantages et les inconvénients d’avoir des moutons…

— J’ai compris !

— Ah ! le problème des moutons ! J’admets qu’il peut être controversé…

— La ferme, Marje ! (Je vis Sinclair tressaillir, mais ça m’était égal.) Je sais ce que je vais faire : lancer une lettre ouverte à Betsy ! Quelle est la chose dont j’ai toujours rêvé depuis que je me suis réveillée en vampire ?

— Un mouton ?

— Marje, ta gueule ! Non, j’aurais simplement voulu que quelqu’un réponde franchement à mes questions concernant les vampires. Qu’on arrête avec ces conneries politiques du genre : « Tu peux tuer des innocents du moment que tu te ranges du côté de machin ou de truc ». Il nous faut du concret. Ma page s’appellera « Chère Betsy ». J’écrirai l’équivalent du courrier du cœur pour les vampires !

« Oooooh ! », comme le disait si bien Jessica : j’étais tellement excitée que j’avais du mal à rester assise.

Sinclair se frottait les yeux. Marjorie se tourna vers lui pour trouver un appui, mais se rendit rapidement compte qu’elle n’en aurait pas. Alors, elle reporta son attention sur moi.

— Ma reine… je vous avoue que j’avais en tête une approche plus… universitaire.

— Alors, vous vous êtes plantée d’adresse. Je n’ai pas fini la fac.

— Oh !

— Mais je suis sûre que vous, si.

— Je possède quatorze doctorats.

— Oh ! la grosse tête ! (Quatorze ?! Pas étonnant que je l’aie confondue avec un robot !) Revenons à moi. Quand avez-vous besoin de mon premier article ?

— Euh… Quand il vous plaira. La lettre d’information sera publiée selon votre emploi du temps…

— Il sera prêt à la fin de la semaine. Il n’y a pas une minute à perdre. Au moment où l’on parle, il y a probablement un nouveau vampire qui ne sait pas comment agir.

— Et vous allez tous les infecter…

— Quoi ?

— Je disais que nous allons avoir quelque chose à fêter. Je ferais mieux de retourner à la bibliothèque pour… me préparer.

— Génial ! fis-je en me levant d’un bond.

Sinclair, lui, se leva lentement, comme un très vieil homme. Marjorie l’imita. Étrange. Ils paraissaient tous deux anéantis et résignés à la fois.

Il lui baisa de nouveau la main.

— Merci.

— Je ne fais que mon devoir, mon roi.

— Merci d’être passée.

— Je suis à votre service, monsieur.

— Oui, merci, les interrompis-je. (J’avais le mauvais pressentiment qu’ils parlaient de tout autre chose que le sujet apparent.) Envoyez-moi votre adresse e-mail et je vous ferai parvenir mon article dans quelques jours. La mienne, c’est : LaReinel@yahoo.com.

Était-ce un frisson d’horreur qui venait de la parcourir ? Non, impossible. Mon imagination me jouait des tours.

Soudain, j’entendis Marc garer son épave et remonter l’allée d’un pas vif. Je n’avais jamais réussi à comprendre comment il pouvait rester aussi énergique après quinze heures à travailler debout aux urgences.

Il ouvrit la porte et nous aperçut dans le vestibule. Quand il couvrit la distance qui nous séparait d’une de ces grandes enjambées dont il avait le secret, ses yeux verts s’illuminèrent.

— Salut les gars !

J’étais tiraillée. Comme Marc était un peu dépressif et accumulait les problèmes – gay, père mourant, perte de cheveux avant l’âge –, ça me faisait toujours plaisir de le voir heureux. Lors de notre première rencontre, il avait été sur le point de sauter du toit de l’hôpital dans lequel il trimait. Je l’en avais dissuadé et l’avais ramené avec moi à la maison. Depuis, il vivait avec nous. Durant ces derniers mois, il avait installé son père dans un hospice de grande qualité. Il s’agissait d’une petite maison privée où l’infirmière ne s’occupait que de trois personnes : rien à voir avec une maison de retraite habituelle, en somme. Quoi qu’il en soit, il avait réussi à caser son père quelque part et lui rendait visite aussi souvent qu’il pouvait le supporter – je supposais que leurs relations étaient tendues –, avait un nouveau chef de service au boulot, s’était laissé pousser les cheveux et avait même eu un rendez-vous galant durant ces cinq dernières semaines !

Toutefois, je ne me réjouissais pas à l’idée de le savoir dans la même pièce que Marjorie. Aux yeux des vampires, Marc ressemblait à un petit chiot… Il n’avait aucune idée du danger qu’ils représentaient.

— Comment ça va ? Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce qui se passe ?

Ouaf, ouaf, sniff, sniff, sniff !

Les narines délicates de Marjorie se dilatèrent.

— Votre animal de compagnie sent l’hémoglobine.

— Ouais, un gamin est tombé d’un arbre. Il ne s’est pas raté ! répondit Marc sans prêter attention à la façon dont elle l’avait appelé – à moins qu’il ne l’eût pas entendue. Il m’a mis du sang partout ! J’ai déjà changé de blouse, mais j’ai besoin d’une bonne douche. Bonjour, au fait, ajouta-t-il en lui tendant la main. Je m’appelle Marc Spangler. J’habite ici avec Betsy et Éric.

Lorsqu’elle observa la main tendue vers elle comme un serpent mort, j’écarquillai tellement les yeux qu’ils faillirent tomber de leurs orbites. J’étais prête à lui botter le cul (Non, mais c’est vrai, quoi ! Pourquoi est-ce que les vieux vampires ont toujours un comportement de merde face aux gens normaux ?) quand Sinclair me serra la main… très fort.

Je gémis au moment où Marjorie se décida à saluer Marc.

— Vous vivez ici avec eux ? demanda-t-elle.

— Ouais, répondit-il gaiement. C’est mon modeste chez-moi. Bon, ce n’est ni modeste ni chez moi, mais c’est encore mieux.

— Hmm ! On dirait une citation d’Olivia Goldsmith…

— Oui ! s’exclama Marc. Vous aimez ses livres ?

— C’est celle qui est morte par liposuccion, n’est-ce pas ?

— Non, corrigea-t-il, elle est morte suite aux complications d’une liposuccion, c’est différent.

— Je vois. Si vous vivez ici avec eux, pourquoi allez-vous travailler ?

— Euh… (Il prit quand même le temps de réfléchir à la question quelques secondes.) Parce que je ne suis pas un parasite ?

— Hmm…

Elle l’attrapa par le col pour l’attirer à elle. Il se pencha avec un croassement. Il faisait vingt centimètres et quinze kilos de plus qu’elle, mais elle le jugulait – sans mauvais jeu de mots – avec facilité, comme s’il était un mannequin poids plume.

— Vous n’avez jamais été mordu ! dit-elle en inspectant son cou. Pas encore, en tout cas. Mmm…

J’ouvris la bouche. « Enlève tes sales pattes de lui, tout de suite ! » était sur le point d’en sortir lorsque Sinclair resserra sa prise. Alors, je me contentai de grogner. Je pouvais sentir les petits os de mes mains craquer les uns contre les autres. Il ne me faisait pas mal, mais bon, je n’aurais pas passé la journée dans cette position.

— Marjorie, n’avez-vous pas des affaires pressantes à régler ? lui demanda-t-il calmement.

Tirée de sa transe, elle releva la tête. Je fus choquée de voir que ses canines s’étaient allongées.

— Hein ? Oh ! (Quand elle relâcha Marc qui se redressa d’un bond, il était clair qu’elle était extrêmement déçue par la tournure des événements.) Oui, bien sûr ! Veuillez me pardonner. Je n’ai pas encore soupé ce soir. J’en oublie mes manières. Permettez-moi de me retirer.

— Ravi de vous avoir rencontrée, lança Marc.

Tandis que Marjorie disparaissait dans la nuit après nous avoir salués une dernière fois, j’observai Marc et compris : il n’avait aucun souvenir des quelques minutes qui venaient de s’écouler. Il ne s’était pas aperçu du danger, ni d’une quelconque cruauté ou incorrection de la part de Marje. Pour lui, il avait simplement rencontré une gentille vieille dame en rentrant du travail, et maintenant, il allait prendre une douche.

— Je crois que je vais aller prendre une douche, annonça-t-il. À plus tard, vous deux !

Je commençais vaguement à comprendre pourquoi Sinclair 1) s’était débarrassé de Jess, 2) était resté poli malgré des provocations extrêmes et 3) m’avait empêchée de me jeter dans la gueule du loup.

— J’espère que tu l’as bien regardée, me dit-il en écoutant la voiture qui s’éloignait. Car tu ne rencontreras sûrement jamais de vampires plus âgés qu’elle.

— C’est une connasse.

Il haussa les épaules.

— Elle est âgée. Peu de choses la… surprennent encore. Pourtant, toi, tu as réussi. (Son sourire ressemblait au lever du soleil le dernier jour de l’hiver.) Tu as été parfaite.

— C’est difficile de détester quelqu’un qui a si bon goût en matière de cinéma. Mais si elle avait essayé de toucher Marc, j’aurais été forcée de lui donner une bonne fessée…

Il avait cette expression bizarre, comme s’il se retenait de rire.

— Surtout pas ! Ou en tout cas, si tu décides de faire une chose pareille, parles-en avec moi d’abord. Ne t’en prends jamais à elle seule. Jamais, tu m’entends ?

— Bien sûr, Sinclair : c’est tout moi ! Pourquoi ne pas créer un comité, aussi, et voter pour tout et n’importe quoi ?

Il plissa les paupières sans se départir de son sourire pour autant.

— Écoute-moi, s’il te plaît. Elle est très âgée, et, comme je te l’ai dit, elle a beaucoup d’amis… qu’elle a transformés elle-même, si tu vois où je veux en venir. Elle est… je suppose qu’on peut dire qu’elle a ses habitudes. De vieilles manies.

— Oui, oui, j’ai compris. Elle est vieille ; elle est têtue comme un pou ; elle voit les humains comme des paniers-repas sans cervelle ; elle a des millions d’amis, et si elle ne m’aime pas, elle pourrait me causer beaucoup d’ennuis.

— Nous causer beaucoup d’ennuis, me corrigea-t-il. Il est important de rester en bons termes avec Marjorie et ses semblables. Lorsque je suis allé en Europe en automne dernier…

Il ne m’avait jamais vraiment parlé de ce voyage. Il s’était contenté de me ramener un joli cadeau et de mentionner quelques amis.

— Oui ?

— Disons simplement que le nombre de vampires qui nous sont défavorables m’a consterné.

— Oui, mais tu as arrangé les choses, pas vrai ? Tu t’occupes toujours de tout. Comme ce soir. Oh ! Au fait… (J’étirai ma main. Si j’avais été vivante, elle m’aurait fait un mal de chien.) La prochaine fois, fais-moi plutôt un dessin. J’ai encore besoin de mes mains.

— Pour écrire ta colonne « Chère Betsy ».

— Tu ne viendrais pas de lever les yeux au ciel, par hasard ? demandai-je. Tu oses lever les yeux au ciel devant moi, M. Éric Sinclair ?

— Oh ! non, ma bien-aimée ! Je ne serais jamais irrespectueux envers ma reine.

J’éclatai de rire.

— Tes répliques sont tellement merdiques que tu en as les yeux marron !

— Ils sont toujours marron, admit-il en me prenant dans ses bras.

Il m’embrassa tendrement et pendant si longtemps que j’en oubliai l’existence de Margaret. Marje. Quelle importance ?

— Ce n’est vraiment pas le bon moment ni le bon endroit, marmonnai-je contre sa bouche tandis qu’il m’allongeait sur l’un des canapés incroyablement inconfortables du salon.

— Si quelqu’un approche, je l’entendrai de loin, dit-il.

Après avoir ouvert mon chemisier, il baissa mon pantalon jusqu’à mes genoux.

— Et si c’est moi qui viens ? le taquinai-je en caressant la bosse qui tendait son pantalon.

Il grogna.

— Ne fais pas ça, si tu ne veux pas que je finisse avant d’avoir commencé.

— Éric, tu parles comme un homme qui a été négligé.

Appuyé contre le canapé, il ouvrit sa braguette, écarta ma culotte et s’enfonça en moi… comme par magie.

— Je suis négligé, me murmura-t-il à l’oreille. Quand je ne suis pas à l’intérieur de toi, je me sens négligé.

— Elle est nulle, ta repartie, murmurai-je à mon tour. (Je posai le pied contre l’accoudoir du canapé pour répondre à ses mouvements.) Et on va finir par casser ce canapé !

Rien à foutre du canapé !

Cette pensée – froide et insensible, mais terriblement sexy – fut le déclencheur. J’entendis quelque chose craquer sous moi quand une vague de plaisir me submergea. Tandis que je m’accrochais à Éric comme si ma vie en dépendait, sa voix résonna dans mon esprit, comme un murmure de désir pénétrant.

Ô mon Elizabeth ma reine je t’aime t’aime t’aime t’aime…

Personnellement, j’espérais qu’il aimait aussi réparer les canapés, parce qu’on allait bientôt devoir s’y coller. Il se laissa aller contre moi en grognant, ce qui provoqua un gémissement de ma part.

— Me tuer ! marmonna-t-il. Je suis un vieil homme et tu essaies de me tuer !

— Hé ! C’était ton idée, je te signale. Et puis, tu es toujours dans la fleur de l’âge… pour un immortel, précisai-je en gloussant.

— Tu n’oserais pas te moquer de moi, ma chérie ?

— Jamais de la vie, Éric, répondis-je gravement en me mordant les lèvres pour ne pas recommencer.

— Tu blesserais mes sentiments si tu osais te moquer de moi lors d’un moment de vulnérabilité comme celui-ci.

— Je ne ferais jamais une chose pareille, Éric. Au fait, l’invention du télégraphe, c’était comment ?

Alors qu’il s’élançait après moi dans l’escalier, je pris note d’appeler quelqu’un le lendemain pour jeter un coup d’œil au divan.

Vampire et Irrécuperable
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