XXI

 

« Ma pauvre Annie… » Heureusement, elle n’est ni mienne, ni pauvre, et ce n’est pas ma pitié qui s’exhale ainsi, mais mon remords, un vague et mesquin petit remords de rien du tout… Je la tyrannise ou l’oublie avec une méchanceté de sauvage, un sans-gêne de Huron, jusqu’à ce que je sente, derrière ses paupières brunes et allongées comme des coques d’aveline, les larmes prêtes à jaillir… Elle ne me reconnaît pas, ni moi. Où sont nos journées oisives de l’automne finissant, et les siestes sans paroles, contre le mur tiède, assises à même la terre friable, la terre que protège l’auvent de tuiles de l’espalier et qui s’effrite, poudreuse et blanche, presque jamais mouillée ! Une abeille que sa mémoire égarait, cherchait au-dessus de nous, têtue, les fleurs absentes de l’abricotier… Décoiffée, sa queue d’étalon mal ficelée lui battant la nuque, Annie attendait, les yeux clos, que mon bon plaisir fût de parler…

 

L’ombre d’un homme a changé tout cela. Ma basse petite femelle d’Annie, ingénu chausson à figure de vierge, se range tout du côté de la culotte. Culotte fallacieuse, trompeux écrin, Annie ! Espérez-vous changer la face, si j'ose dire, des choses ? Je connais en bas de la côte un petit vigneron taché de rousseur qui ferait bien mieux votre affaire – à moins que vous n’ayez flairé de près Francis le jardinier, sa moustache couleur blé, ses bras qui sentent le copeau neuf et l’étable ?…

 

En somme, mon beau-fils a tout gâté ici, depuis qu’il y traîne son oisiveté de prisonnier, son pas mou et léger, son regard désert de tante Anne, – je veux dire de sœur Anne, qui ne voit rien venir.

 

Non, il ne voit rien venir, le petit misérable ! – et il filerait joyeux par le premier train… Mais je ne veux pas lui donner d’argent, je ne dois pas. Et puis je ne peux pas. Il s’agit d’une somme assez ronde, et il faudrait prévenir mon mari, le fatiguer d’explications…

La retraite sentimentale
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