4
Première lumière
Kelly dormit presque huit heures et fut à nouveau réveille par le cri des mouettes, pour découvrir que Pam n’était plus là. Il sortit et la vit sur le quai, contemplant les eaux, encore lasse, encore incapable de trouver le repos dont elle avait tant besoin. Le calme matinal habituel régnait sur la baie, la surface vitreuse n’était ponctuée que par les rides circulaires des bluefish, le loup local, chassant les insectes. Des conditions qui semblaient idéales pour commencer la journée, une douce brise d’ouest sur son visage, et cet étrange silence qui vous permettait de percevoir le grondement d’un moteur de bateau bien avant qu’il ne soit visible. C’étaient ces instants qui vous permettaient d’être seul avec la nature, mais il savait que Pam se sentait simplement toute seule.
Kelly s’approcha d’elle le plus doucement possible et prit délicatement sa taille entre ses mains.
— Bonjour. Elle resta un long moment sans répondre et Kelly ne bougea pas, se contentant de la tenir, à peine, qu’elle sente juste sa présence. Elle portait une de ses chemises et il n’avait pas envie que son contact soit sexuel, uniquement protecteur. Il avait peur de s’imposer à une femme qui n’avait que trop souffert de ce genre d’abus et il n’était pas certain de savoir définir la ligne de démarcation invisible.
— Alors tu sais, maintenant, dit-elle, tout juste assez fort pour briser le silence, incapable de se retourner pour le regarder en face.
— Oui, répondit Kelly sur le même ton calme.
— Qu’en penses-tu ? Sa voix était un murmure douloureux.
— Je ne suis pas certain de saisir, Pam. Kelly sentait le tremblement commencer et il dut résister à l’envie de la serrer plus fort.
— De moi.
— De toi ? Il se permit de se rapprocher un peu, changeant de position jusqu’à ce que ses bras lui encerclent la taille, mais toujours sans serrer. Je pense que tu es belle. Je pense que je suis heureux qu’on se soit rencontrés.
— Mais je me drogue.
— Les deux toubibs disent que t’essaies de décrocher. Moi, ça me suffit.
— Il y a pire. J’ai fait des choses… Kelly l’empêcha de poursuivre.
— Peu m’importe, Pam. J’en ai fait, moi aussi. Et une des choses que tu as faites pour moi m’a beaucoup touché. Tu m’as redonné un but dans l’existence et cela, je n’aurais jamais cru que cela pourrait encore m’arriver. Kelly la serra plus fort. Tout ce que tu as pu faire avant, je m’en fiche. Tu n’es pas toute seule, Pam. Je suis là pour t’aider, si tu m’y autorises.
— Quand tu sauras…, avertit-elle.
— Je suis prêt à courir le risque. Je crois déjà savoir le plus important. Je t’aime, Pam. Kelly s’étonna lui-même.
Il avait eu trop peur pour oser, même dans l’intimité de ses réflexions, formuler une telle idée. C’était par trop irrationnel mais une fois encore, l’émotion prima sur la raison et la raison, pour une fois, se surprit à être d’accord.
— Comment peux-tu dire ça ? demanda Pam. Kelly la fit doucement pivoter et lui sourit.
— Si je le savais ? Peut-être à cause de tes cheveux emmêlés… ou de ton nez qui coule. Il effleura sa poitrine sous la chemise. Non, je crois que c’est à cause de ton cœur. Peu importe ce qu’il y a eu dans ta vie, ton cœur est très bien.
— Tu es sincère, hein ? demanda-t-elle, en fixant son torse. Il s’écoula un long moment, enfin Pam leva les yeux et sourit, et ça aussi, ce fut comme une aube nouvelle. La lumière jaune orangé du soleil levant illumina son visage, souligna ses cheveux blonds.
Kelly essuya les larmes de son visage et l’humidité de ses joues, élimina le peu de doutes qu’il aurait encore pu nourrir.
— Il va falloir qu’on te trouve des habits. Ce n’est pas une façon de se vêtir, pour une dame.
— Qui dit que je suis une dame ?
— Moi.
— J’ai tellement peur !
Kelly l’attira contre sa poitrine.
— C’est très bien d’avoir peur. J’avais tout le temps peur. L’important, c’est de savoir qu’on va y arriver. Ses mains lui massaient le dos de haut en bas. Il n’avait eu aucune arrière-pensée d’ordre sexuel mais il se surprit à être excité jusqu’au moment où il se rendit compte que ses mains étaient en train de caresser des cicatrices laissées par des hommes armés de fouets, de cordes, de ceinturons ou autres accessoires odieux. Alors, il détourna les yeux pour regarder droit vers les eaux et il valait mieux en cet instant qu’elle ne voie pas son visage.
— Tu dois être affamée, dit-il en s’écartant et en la prenant par les mains.
Elle acquiesça.
— Je meurs de faim.
— Je peux arranger ça. Kelly la prit par la main pour la ramener à la casemate. Il appréciait déjà son contact. Ils retrouvèrent Sam et Sarah qui revenaient de l’autre côté de l’île, de retour de leur promenade et de leurs étirements matinaux.
— Comment vont nos deux tourtereaux ? demanda Sarah avec un sourire radieux, parce qu’elle devinait déjà la réponse en les apercevant à cinquante mètres de distance.
— On la saute ! répondit Pam.
— Et ensuite, on en aura deux belles à enfiler, ajouta Kelly, avec un clin d’œil.
— Quoi ? s’écria Pam.
— Je parlais des hélices neuves, expliqua Kelly. Pour le bateau de Sam.
— Les enfiler ?
— Les emmancher sur leur arbre, si tu préfères. Il lui sourit, mais elle se demanda si elle devait ou non le prendre au sérieux.
*
— Ça en aura pris, du temps, observa Tony en sirotant un café dans une tasse en carton.
— Où est le mien ? demanda Eddie, que le manque de sommeil rendait irritable.
— Tu m’as dit de foutre dehors ce putain de réchaud, tu te souviens ? Va le chercher.
— Tu crois que j’ai envie d’avoir toute cette merde et cette fumée à l’intérieur ? Y a de quoi s’asphyxier, râla Eddie Morello.
Tony était crevé, lui aussi. Trop crevé pour discuter avec cette grande gueule.
— D’accord, vieux, de toute façon, la cafetière est dehors. Les tasses aussi.
Eddie grommela mais sortit. Le troisième homme, Henry, était en train d’emballer la marchandise et se tenait à l’écart de la discussion. En fait, ça avait marché un peu mieux qu’il ne l’avait escompté ; ils avaient même gobé son histoire concernant Angelo, ce qui avait permis d’éliminer un partenaire potentiel et un problème. Il y avait au bas mot pour trois cent mille dollars de drogue raffinée qu’il finissait de peser et de sceller en sachets de plastique qu’ils revendraient aux dealers. Les choses ne s’étaient pas déroulées exactement comme prévu. Les « quelques heures » de travail envisagées s’étaient en définitive muées en un marathon qui s’était prolongé jusqu’à l’aube, lorsque les trois hommes avaient découvert que la tâche qu’ils payaient d’autres à faire n’était pas aussi facile qu’en apparence. Et les trois bouteilles de bourbon qu’ils avaient amenées n’avaient pas aidé non plus. Cela dit, plus de trois cent mille dollars de bénef au bout de seize heures de boulot, ce n’était pas si mal. Et ce n’était qu’un début. Tucker leur avait simplement donné un avant-goût.
Eddie se tracassait malgré tout des éventuelles retombées dues à l’élimination d’Angelo. Mais il n’était pas question de faire machine arrière, pas après le meurtre, et il avait été contraint de soutenir le plan de Tony. Il grimaça tout en contemplant par un hublot dégagé une île au nord de ce qui avait été jadis un navire. Le soleil se reflétait sur les vitres de ce qui était sans doute un élégant gros yacht à moteur. Ne serait-il pas chouette d’avoir un de ces engins ? Eddie Morello aimait pêcher et peut-être qu’il pourrait ainsi emmener ses gosses, des fois. Ce serait une excellente couverture, non ?
Ou peut-être élever des crabes. Après tout, il savait comment ils se nourrissaient. L’idée suscita chez lui un éclat de rire silencieux, bientôt suivi d’un bref haussement d’épaules. Était-il en sécurité, acoquiné avec ces hommes ? Ils venaient de liquider – il venait de liquider – Angelo Vorano moins de vingt-quatre heures plus tôt. Mais Angelo ne faisait pas partie de la bande, Tony Piaggi, oui. Il était leur couverture, leur débouché sur la rue, et cela le rendait sûr – enfin, pour un temps. Aussi longtemps qu’Eddie garderait l’œil ouvert.
— Quelle pièce c’était, à ton avis ? demanda Tucker à Piaggi, histoire d’entretenir la conversation.
— Comment ça ?
— Quand c’était un bateau, ce devait être une cabine, quelque chose comme ça, dit-il en collant la dernière enveloppe avant de la placer dans la glacière. Je n’y ai jamais vraiment réfléchi. Ce qui était la pure vérité.
— La cabine du capitaine, tu crois pas ? demanda Tony. C’était une façon de passer le temps, et il était complètement écœuré après ce qu’ils avaient fait toute la nuit.
— Bien possible, je suppose. Elle est tout près de la passerelle. L’homme se leva, s’étira, en se demandant pourquoi c’était à lui de se taper tout le sale boulot. La réponse était assez évidente. Tony avait été « introduit ». Eddie aurait bien voulu l’être, lui aussi. Mais il ne le serait jamais, pas plus qu’Angelo, songea Henry Tucker, pas mécontent en définitive. Il n’avait jamais fait confiance à Angelo et désormais, il ne serait plus un problème. Un bon point pour ces mecs, en tout cas, c’est qu’ils semblaient être de parole – et ça allait durer, aussi longtemps qu’il serait leur lien avec la matière première, et pas une minute de plus. Tucker ne se faisait aucune illusion. Angelo avait été bien bon de faire le lien avec Tony et Eddie, et la mort d’Angelo avait fait exactement le même effet sur Henry que pourrait avoir la sienne vis-à-vis des deux autres : absolument aucun. Chaque homme avait son utilité, se dit Tucker, en refermant la glacière. Et il fallait bien que les crabes bouffent.
Avec de la veine, ce serait la dernière élimination avant un bout de temps. Tucker ne crachait pas sur la besogne, mais il détestait les complications qui accompagnaient souvent les assassinats. Un bon bizness devait tourner rondement, sans faire de vagues, et rapporter à tout le monde, comme ça tout le monde était content, même les clients tout au bout de la chaîne. Et pas de doute que cette cargaison les rendrait heureux. C’était de la bonne héroïne asiatique, raffinée scientifiquement et coupée raisonnablement avec des substances non toxiques pour donner aux usagers un flash canon suivi d’une gentille redescente en douceur vers ce réel auquel ils cherchaient à échapper. Le genre de flash qui vous poussait à renouveler l’expérience, et donc à vous retourner vers votre fournisseur, toujours enclin à réclamer un petit supplément pour cette excellente came. Sur le trottoir, elle avait déjà trouvé un nom : « La Douce asiatique ».
Ce qui représentait d’ailleurs un danger, en fournissant un indice à la police, un nom à traquer, des questions précises à poser, mais c’était le risque à courir quand on disposait d’un produit extra ; c’est pour cette raison qu’il avait choisi ses associés pour leur expérience, leurs relations, leur sécurité. De même, le site du laboratoire avait été choisi en tenant compte de la sécurité. Ils disposaient d’une visibilité de près de huit kilomètres et d’une vedette rapide au cas où il faudrait fuir. Certes, il y avait du danger, sans aucun doute, mais la vie était pleine de dangers, et il fallait mesurer le risque à l’aune des gains. Le gain d’Henry Tucker pour moins d’une journée de travail s’élevait à cent mille dollars en liquide, non imposable, et il était prêt à risquer beaucoup pour ça. Il était même prêt à risquer bien plus pour ce que pouvaient apporter les relations de Piaggi, surtout à présent qu’il avait réussi à les intéresser. Bientôt, ils deviendraient aussi ambitieux que lui.
*
Le bateau de Solomons arriva avec cinq minutes d’avance, muni d’hélices neuves. Le couple de médecins n’avait pas dit à Kelly de distraire Pam mais c’était une prescription évidente, compte tenu de ses problèmes. Kelly ramena le compresseur portable sur le quai et le mit en route, puis il expliqua à la jeune femme comment régler le débit d’air en gardant l’œil sur le manomètre. Ensuite, il prit les clefs dont il allait avoir besoin et les disposa également par terre sur le quai.
— Un doigt, celle-ci, deux doigts, celle-là, et trois doigts, cette dernière, d’accord ?
— D’accord, répondit Pam, impressionnée par la maîtrise professionnelle de Kelly. Il en rajoutait un brin, les autres s’en rendaient bien compte, mais personne n’y voyait rien à redire. Kelly descendit l’échelle et s’enfonça dans l’eau. Le premier boulot était de vérifier le filetage sur chaque arbre d’hélice ; ils lui parurent dans un état correct. Il sortit la main hors de l’eau, un doigt levé et reçut en échange la première clef ; il s’en servit pour dévisser les écrous de fixation, qu’il lui tendit un par un pour qu’elle les récupère. L’ensemble de l’opération de remplacement ne prit qu’un quart d’heure. Il termina de serrer les boulons neufs, puis inséra dans leur logement les nouvelles anodes protectrices. Il prit son temps pour jeter un coup d’œil sur le gouvernail et estima qu’il pourrait tenir jusqu’à la fin de l’année, même si Sam avait intérêt à le surveiller. C’était un soulagement, comme toujours, de ressortir de l’eau pour respirer à nouveau de l’air sans relents de caoutchouc.
— Qu’est-ce que je vous dois ? demanda Rosen.
— Pour quoi ? Kelly ôta son attirail et coupa le compresseur.
— Je paye toujours un homme pour son travail, répondit le chirurgien avec un rien de suffisance.
Kelly ne put s’empêcher de rire.
— Vous savez quoi, si jamais j’ai besoin d’être opéré du dos, j’espère que vous me ferez une faveur. Comment vous appelez ça, dans votre branche ?
— Échange de bons procédés – mais vous n’êtes pas médecin, objecta Rosen.
— Et vous n’êtes pas plongeur. Vous n’êtes pas marin non plus, mais ça, on va y remédier dès aujourd’hui, Sam.
— J’étais le premier de mon escouade ! tonna Rosen.
— Toubib, quand on héritait des gamins à la sortie de l’école de guerre, on leur disait toujours, « c’est très bien, fiston, mais ici, c’est la flotte ». Laissez-moi le temps de ranger mon matériel, et on va voir ce que vous valez aux commandes de cet engin.
— Je parie que je suis meilleur pêcheur que vous, proclama Rosen.
— Si ça continue, ils vont vérifier qui des deux pisse le plus loin, observa Sarah, acide, à l’adresse de Pam.
— Et ça aussi, rit Kelly en regagnant son atelier. Dix minutes plus tard, il s’était lavé et changé pour passer un T-shirt et un jean coupé.
Il monta sur la passerelle et regarda Rosen préparer son bateau au départ. À vrai dire, le chirurgien impressionna Kelly, en particulier par son habileté à manier les bouts.
— La prochaine fois, vous laissez tourner les ventilos quelques instants avant de lancer les moteurs, dit Kelly après que Rosen eut démarré.
— Mais c’est un diesel.
— Première consigne : c’est une bonne habitude à prendre. Le prochain bateau que vous aurez à piloter sera peut-être à essence. La sécurité d’abord, toubib. Ça vous est déjà arrivé de louer un bateau pour les vacances ?
— Oui, bien sûr.
— En chirurgie, vous faites toujours la même chose de la même manière, chaque fois ? demanda Kelly. Même quand vous n’y êtes pas vraiment obligé ?
Rosen hocha la tête, songeur.
— Je vois ce que vous voulez dire.
— Quittez le quai. Kelly agita la main. Rosen obéit, avec pas mal d’habileté, estima le chirurgien. Kelly ne partageait pas son avis :
— Moins de barre, plus de gaz. Vous n’aurez pas toujours de la brise pour vous aider à quitter le bord. Les hélices chassent l’eau, le gouvernail ne fait que la dévier légèrement. On peut toujours compter sur ses moteurs, surtout à petite allure. Et il arrive que la barre casse. Apprenez à faire sans.
— Oui, capitaine, grommela Rosen. C’était comme s’il recommençait son internat et Sam Rosen avait pris l’habitude que les internes lui obéissent au doigt et à l’œil. Quarante-huit piges, songea-t-il, c’est un peu vieux pour être étudiant.
— C’est vous le capitaine. Moi, je ne suis que le pilote. Ce sont mes eaux, Sam. Kelly se retourna vers le pont à coffre, en contrebas. Ne riez pas, mesdames. Ce sera votre tour ensuite. Alors, soyez attentives ! Puis, plus doucement : Vous vous débrouillez bien, Sam.
Un quart d’heure après, ils dérivaient paresseusement avec la marée, après avoir jeté leurs lignes sous un chaud soleil de vacances. La pêche intéressait modérément Kelly, aussi décida-t-il de prendre le quart sur la passerelle tandis que Sam enseignait à Pam comment fixer à sa ligne un appât. L’enthousiasme de la jeune femme les surprit tous. Sarah s’assura qu’elle était largement tartinée de Coppertone pour protéger son teint pâle et Kelly se demanda si le hâle n’allait pas faire ressortir ses cicatrices. Seul avec ses pensées sur la passerelle, il se demandait quel genre d’homme pouvait violenter une femme. Les paupières plissées, il lorgnait la surface clapotante piquetée de navires. Combien d’individus de ce style étaient dans son champ visuel ? Pourquoi était-on incapable de les distinguer au premier coup d’œil ?
*
Charger le bateau n’était pas difficile. Ils avaient en stock une bonne quantité de produits chimiques, qu’ils devraient réapprovisionner périodiquement, mais Eddie et Tony avaient leurs entrées dans une entreprise de fournitures pharmaceutiques dont le propriétaire avait plus ou moins des liens avec leur organisation.
— Je veux voir, dit Tony tandis qu’ils larguaient les amarres. La manœuvre n’était pas aussi aisée qu’il l’aurait imaginé, car il fallait faufiler leur sept mètres dans les hauts-fonds marécageux, mais Eddie se rappelait à peu près l’endroit exact et les eaux étaient encore limpides.
Tony étouffa un cri.
— Doux Jésus !
— Ça promet d’être une bonne année pour les crabes, nota Eddie, ravi de voir Tony en état de choc. Une bonne façon de se venger, songea-t-il, mais le spectacle n’était agréable pour aucun d’eux. Il y avait déjà un demi-boisseau de crabes sur le corps. Le visage était entièrement recouvert, de même qu’un bras, et ils voyaient déjà d’autres créatures arriver pour la curée, attirées par l’odeur de pourriture qui se diffusait dans l’eau aussi efficacement que dans l’air : c’est ainsi que la nature faisait sa publicité. Sur terre, Eddie le savait, ce seraient des buses et des corbeaux.
— Qu’est-ce que t’en penses ? Quinze jours, trois semaines, et plus d’Angelo.
— Si jamais quelqu’un…
— Pas grand risque, intervint Tucker sans chercher à y regarder de trop près. Les fonds sont trop hauts pour qu’un voilier s’y hasarde et les canots à moteur n’ont rien à faire dans le coin. Ils ont un chenal large comme une avenue à un demi-nautique plus au sud, la pêche y est meilleure, ce sont eux qui le disent. Je parie que les pêcheurs de crabes n’aiment pas trop le coin non plus.
Piaggi avait du mal à détourner les yeux du spectacle, même si son estomac, lui, s’était déjà retourné. Armés de leurs pinces, les crabes bleus de la baie de Chesapeake étaient en train de mettre en pièces le corps déjà ramolli par les eaux tièdes et les bactéries, petit bout par petit bout, déchirant les chairs avec leurs pinces, saisissant les morceaux avec leurs palpes, et fourrant le tout dans leur bouche étrangement extraterrestre. Il se demanda s’il y avait encore un visage là-dessous, des yeux pour contempler un monde abandonné, mais les crabes le recouvraient et il avait comme l’impression que les yeux avaient été les premiers à servir de festin. Le plus terrifiant, bien sûr, c’était que si un homme pouvait mourir ainsi, alors un autre pouvait subir le même sort, et même si Angelo était déjà refroidi, Piaggi était presque sûr que se débarrasser de vous de la sorte devait être pire encore que la mort. Il aurait volontiers regretté le décès d’Angelo, hormis que c’était le bizness… et qu’Angelo l’avait bien mérité. Il était même regrettable, en un sens, que son horrible destin dût être tenu secret mais ça aussi, c’était le bizness. C’était ainsi qu’on empêchait les flics de découvrir quoi que ce soit. Difficile de prouver un meurtre sans corps, or ils venaient de trouver, par accident, le moyen de dissimuler un certain nombre de meurtres. Le seul problème était d’amener les corps jusqu’ici – et sans dévoiler à des tiers leur méthode car les gens parlent, se dit Tony Piaggi, tout comme Angelo avait parlé. Une chance encore qu’Henry l’ait découvert.
— Qu’est-ce que vous diriez d’une bonne tourte au crabe quand on sera revenus en ville ? lança Eddie Morello en rigolant, juste pour voir s’il arrivait à faire gerber Tony.
— Merde, tirons-nous d’ici, répondit tranquillement Piaggi, en se rasseyant. Tucker remit des gaz pour les faire sortir des marais et regagner les eaux fibres de la baie.
Il fallut deux ou trois minutes à Piaggi pour que la vision s’efface de son esprit et il espérait pouvoir oublier l’horreur pour ne se rappeler que l’efficacité de leur méthode d’élimination. Après tout, ils auraient peut-être à y recourir encore. Peut-être que d’ici quelques heures, il verrait l’humour de la chose, se dit Tony en lorgnant la glacière. Sous la quinzaine de bidons de National Bohemian, il y avait une couche de glace sous laquelle étaient planqués vingt sachets scellés d’héroïne. Au cas improbable où ils se feraient intercepter, il y avait bien peu de chance qu’on regarde plus loin que la bière, le vrai carburant qui faisait marcher les navigateurs de la Baie. Tucker avait mis cap au nord ; les autres apprêtèrent leurs filets comme s’ils essayaient de trouver un bon site pour taquiner le loup de la Chesapeake.
— C’est la pêche à l’envers, observa Morello après un moment, puis il éclata d’un rire si bruyant que Piaggi l’imita.
— File-moi une bière ! commanda Tony entre deux rires. C’était lui le chef et il méritait le respect.
*
Les idiots, se dit Kelly, à voix basse. Ce sept mètres filait trop vite, trop près des autres bateaux de pêche. Il risquait d’intercepter quelques lignes et, en tout cas, son sillage allait déranger les autres navires. C’était contraire aux usages maritimes, usages que Kelly prenait toujours soin d’observer. Il n’était que trop facile de… Merde, même le mot « facile » était excessif. Tout ce que vous aviez à faire, c’était vous acheter un bateau et vous aviez le droit de naviguer avec. Sans examen, sans rien. Kelly trouva les jumelles 7 × 50 de Rosen et les braqua sur le bateau qui s’apprêtait à les croiser. Trois connards, dont un levait une boîte de bière en un salut narquois.
— Dégage, tête de nœud, murmura-t-il en réponse. Des crétins en bateau, avec leur bière, déjà sans doute à moitié pintes, et il n’était même pas onze heures du matin. Il les regarda avec insistance et fut vaguement satisfait de ne pas les voir passer à moins de cinquante mètres. Il nota le nom : Henry VIII. Si jamais il retombait dessus, il faudrait qu’il pense à se tenir à l’écart.
— J’en ai un ! s’écria Sarah.
— Gaffe ! Une vague de sillage nous arrive par tribord ! Elle arriva une minute plus tard, faisant rouler le gros Hatteras de vingt degrés de part et d’autre de la verticale.
— Voilà, dit Kelly en regardant les trois autres, ce que j’appelle ne pas savoir se conduire en mer !
— Bien compris ! répondit Sam.
— Je l’ai toujours, annonça Sarah. Kelly constata qu’elle travaillait sa prise avec un art consommé. Et c’est un gros !
Sam saisit l’épuisette et se pencha par-dessus le bastingage. Un instant après, il se redressait. L’épuisette contenait un loup qui se tortillait, une prise de treize ou quatorze livres. Il renversa l’épuisette dans un seau rempli d’eau où le poisson pourrait tranquillement mourir. Kelly trouvait ça cruel mais enfin, ce n’était qu’un poisson, et il avait vu pire.
Pam se mit à pousser des cris peu après, quand sa ligne se tendit. Sarah reposa sa canne sur son support et vint lui donner des conseils. Kelly observa. L’amitié entre Pam et Sarah était aussi remarquable que celle qui s’était nouée entre lui et la fille. Peut-être Sarah prenait-elle la place d’une mère qui n’avait pas su lui témoigner son affection – son affection ou autre chose. Insouciante, Pam réagissait bien aux avis et aux conseils de sa nouvelle amie. Kelly les regardait avec un sourire que Sam surprit et lui rendit. Pour elle, c’était une découverte, et elle trébucha à deux reprises en ferrant le poisson. Là encore, Sam mania l’épuisette pour récupérer cette fois un bleu de huit livres.
— Remets-le à la flotte ! conseilla Kelly. Ils ont un goût dégueulasse !
Sarah leva les yeux. Rejeter sa première prise ? Vous êtes quoi, un nazi ? Est-ce que vous avez du citron, chez vous, John ?
— Bien sûr, pourquoi ?
— Pour vous montrer ce qu’on peut faire d’un blue fish, voilà pourquoi. Elle murmura quelque chose à l’oreille de Pam, provoquant son rire. Le bleu échoua dans le même seau et Kelly se demanda comment le loup et lui allaient s’entendre.
*
Memorial Day, le jour des Morts au champ d’honneur, songea Dutch Maxwell en descendant de sa voiture officielle au Cimetière national d’Arlington. Pour beaucoup, ce dernier dimanche de mai ne signifiait que le jour d’une course de cinq cents miles à Indianapolis, ou bien un jour férié, ou encore la date traditionnelle d’ouverture de la saison estivale sur les plages, comme pouvait en témoigner la circulation relativement fluide dans les rues de Washington. Mais pas pour lui ni pour ses compagnons. Ce jour était leur jour, un moment pour se rappeler les camarades tombés quand d’autres avaient des préoccupations différentes, à la fois plus et moins personnelles. L’amiral Podulski descendit avec lui et tous deux s’avancèrent avec lenteur, en rompant le pas, comme il sied à des amiraux. Le fils de Casimir, le sous-lieutenant Stanislas Podulski, n’était pas là, et il n’y serait sans doute jamais. Son A-4 avait été abattu par un missile surface-air, lui avait dit le rapport officiel, quasiment une frappe directe. Le jeune pilote avait sans doute été trop distrait pour le remarquer avant peut-être l’ultime seconde, quand sa voix avait lancé son ultime épithète de dégoût sur le canal « réservé ». Peut-être que l’une des bombes qu’il transportait avait explosé à l’unisson. En tout cas, le petit bombardier d’assaut s’était volatilisé dans un nuage graisseux de noir et de jaune, laissant bien peu de débris ; en outre, l’ennemi ne faisait pas d’efforts excessifs pour respecter les dépouilles des aviateurs abattus. Et c’est ainsi que le fils d’un brave s’était vu dénier l’honneur de reposer avec ses camarades. Ce n’était pas une chose dont parlait Cas. Podulski gardait ça pour lui.
Le contre-amiral James Greer était à sa place, comme les deux années précédentes, à une cinquantaine de mètres de l’allée pavée, en train de déposer une gerbe de fleurs près du drapeau, devant la pierre tombale de son fils.
— James ? dit Maxwell. Son cadet se tourna et salua ; il aurait voulu sourire pour témoigner sa gratitude pour leur amitié en un jour tel que celui-ci, mais il en était incapable. Tous avaient revêtu leur uniforme bleu marine car il était empreint d’une sorte de solennité. Les galons dorés sur leurs manches resplendissaient au soleil. Sans un mot, les trois hommes se mirent en rang devant la tombe de Robert White Greer, lieutenant du corps des Marines des États-Unis, et firent un salut impeccable. Chacun se souvenait d’un jeune homme qu’ils avaient jadis fait sauter sur leurs genoux, qui faisait du vélo à la base navale de Norfolk et à la base aérienne de Jacksonville, en compagnie des fils de Cas et de Dutch. Qui avait grandi pour devenir un jeune homme vigoureux et fier, toujours présent pour accueillir son père quand leur bâtiment revenait au port, et qui ne parlait que de marcher sur ses pas, mais pas de trop près, un jeune homme dont la chance n’avait pas su se montrer à la hauteur, ce jour-là, soixante-quinze kilomètres au sud-ouest de Danang. Chacun d’eux savait, mais sans jamais le dire, que la malédiction de leur métier était d’attirer leurs fils à leur tour, en partie par respect pour l’image du père, en partie par amour de la patrie, cet amour qu’on leur avait inculqué, mais surtout par amour pour leur prochain. De même que chacun des hommes présents ici au garde-à-vous avait pris ses risques, Bobby Greer et Stas Podulski avaient pris les leurs. Simplement, la chance n’avait pas souri à deux de leurs trois enfants.
Greer et Podulski se disaient aussi que tout cela avait eu son importance, que la liberté avait un prix, un prix que certains devaient payer, autrement il n’y aurait ni drapeau, ni Constitution, ni jour férié dont les gens après tout avaient bien le droit d’ignorer la signification. Mais dans l’un ou l’autre cas, ces paroles informulées sonnaient creux. Le mariage de Greer s’était brisé, en grande partie à cause du chagrin causé par la mort de Bobby. La femme de Podulski ne serait plus jamais la même. Même si chacun des hommes avait d’autres enfants, le vide créé par la perte d’un seul était comme une faille à jamais impossible à combler et, pour autant qu’ils pouvaient s’avouer que oui, cela en valait le prix, nul homme capable de trouver une raison à la mort d’un enfant ne pouvait véritablement mériter le nom d’homme, et leurs vrais sentiments étaient renforcés par cette même humanité qui les avait poussés à une vie de sacrifice. C’était d’autant plus vrai que chacun nourrissait à l’égard de la guerre des sentiments que les plus aimables qualifieraient de « doutes », et que pour leur part, ils qualifiaient autrement, mais uniquement entre eux.
— Tu te rappelles le jour où Bobby avait sauté dans la piscine pour récupérer la petite-fille de Mike Goodwin… en lui sauvant la vie ? demanda Podulski. Je viens de recevoir un mot de Mike. Eh bien, la petite Amy a eu des jumelles, la semaine dernière. Elle a épousé un ingénieur de Houston, il bosse pour la NASA.
— Je ne savais pas qu’elle était mariée. Quel âge a-t-elle, maintenant ? demanda James.
— Oh, ça doit lui faire dans les vingt… vingt-cinq ans ? Tu te souviens, ses taches de rousseur, comment elles se multipliaient au soleil, à Jax ?
— La petite Amy, répéta doucement Greer. Comme ça pousse… Peut-être qu’elle ne se serait pas noyée, après tout, en ce jour torride de juillet, mais c’était un souvenir de plus attaché à son fils. Une vie sauvée, trois peut-être ? C’était quelque chose, ça, non ? se demanda Greer.
Les trois hommes se retournèrent et quittèrent la tombe sans un mot, pour regagner l’allée à pas lents. Là, ils durent s’arrêter. Un cortège funèbre gravissait la colline, les soldats du 3e régiment d’infanterie, la « Vieille Garde » rendant gravement les honneurs, pour porter en terre un autre homme. Les amiraux se mirent à nouveau au garde-à-vous pour saluer le drapeau recouvrant le cercueil et l’homme qu’il contenait. Le jeune lieutenant qui commandait le détachement fit de même. Il vit que l’un des officiers généraux portait le ruban bleu pâle de la Médaille d’Honneur et la raideur de son geste traduisait la profondeur de son respect.
— Et voilà, un de plus, remarqua Greer avec une calme amertume après le passage du convoi. Dieu du ciel, pourquoi devons-nous ensevelir tous ces gosses ?
— Payer tous les prix, porter tous les fardeaux, affronter toutes les épreuves, soutenir tous les amis, s’opposer à tous les ennemis…, cita Cas. Ça ne remonte pas à si longtemps, non ? Mais quand l’heure est venue de mettre cartes sur table, où étaient-ils passés, ces salauds ?
— Les cartes, c’est nous qui en tenons lieu. Cas, observa Dutch Maxwell. La table, elle est ici.
Des hommes ordinaires auraient versé une larme, mais ces hommes-là n’étaient pas ordinaires. Chacun d’eux embrassa du regard le terrain parsemé de pierres blanches. Ce terrain jadis avait été la pelouse de la propriété de Robert E. Lee – la maison se dressait encore au sommet de la colline – et son choix pour y installer le cimetière traduisait le geste cruel d’un gouvernement qui s’était senti trahi par cet officier. Et pourtant, en définitive, Lee avait légué la maison de ses ancêtres à la mémoire de ces hommes qu’il avait tant aimés. C’était bien l’ironie la plus douce de cette journée, songea Maxwell.
— Comment ça se présente, là-bas dans la vallée, James ?
— Ça pourrait être mieux, Dutch. J’ai reçu l’ordre de nettoyer la baraque. Je vais avoir besoin d’un sacré balai.
— T’as eu des détails sur l’opération VERT BUIS ?
— Non. Greer se tourna et esquissa son premier sourire de la journée. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà ça, se dirent les autres. Est-ce vraiment nécessaire ?
— On aura sans doute besoin de ton aide.
— En sous-main ?
— Tu es au courant de ce qui est arrivé à CHEVILLE OUVRIÈRE, intervint Casimir Podulski.
— Ils ont eu une sacrée chance de s’en sortir, reconnut Greer. On a dû jouer serré, hein ?
— Tu l’as dit.
— Dis-moi au juste ce qu’il vous faut. Vous aurez tout ce que je pourrai trouver. Tu fais un boulot d’indice « trois », Cas ?
— Exact. Tout dossier dont le code se terminait par un trois indiquait qu’il émanait du service de planification des opérations, et Podulski était doué pour ça. Ses yeux brillaient avec le même éclat que les Ailes d’or de son insigne au soleil matinal.
— Bien, observa Greer. Puis se tournant vers son autre compagnon : Et que fait le petit Dutch ?
— Il vole pour Delta Airlines, à présent. Copilote, il finira capitaine un de ces quatre et je serai grand-père d’ici un mois à peu près.
— Vrai ? Félicitations, mon vieux.
— Je ne lui en veux pas d’avoir abandonné l’uniforme. Au début, oui, mais plus maintenant.
— Comment déjà s’appelait le SEAL qui est allé le récupérer ?
— Kelly. Il a raccroché, lui aussi, dit Maxwell.
— Tu aurais dû lui faire avoir la Médaille, Dutch, remarqua Podulski. J’ai lu la citation. Il s’en est vraiment fallu d’un cheveu.
— Je lui ai obtenu une promotion. La Médaille, ce n’était pas possible. Maxwell hocha la tête. Pas pour le sauvetage d’un fils d’amiral, Cas. Tu connais la politique.
— Ouais. Podulski regarda le haut de la colline. Le cortège s’était arrêté et les hommes déchargeaient le cercueil de l’affût de canon. Une jeune veuve contemplait la fin du séjour terrestre de son mari. Ouais, je suis au courant de la politique.
*
Tucker fit monter le bateau dans sa cale. Le hors-bord facilitait la tâche. Il coupa le moteur, saisit les amarres qu’il attacha rapidement. Tony et Eddie sortirent la glacière tandis que Tucker récupérait le reste de l’équipement avant de jeter quelques bâches sur l’embarcation et rejoindre ses compagnons sur le parking.
— Eh bien, c’était plutôt facile, remarqua Tony. La glacière était déjà à l’arrière du break Ford Country Squire.
— À votre avis, qui a gagné la course, aujourd’hui ? demanda Eddie. Ils avaient oublié d’emporter une radio pour leur sortie en mer.
— J’avais parié cent sacs sur Foyt, histoire de me marrer.
— Pas sur Andretti ? s’étonna Tucker.
— C’est le régional de l’étape, mais il a pas de pot. Parier, c’est une affaire sérieuse, remarqua Piaggi. Angelo, c’était du passé désormais, et la méthode employée pour l’éliminer avait après tout quelque chose d’amusant, même s’il ne pensait pas de sitôt remanger de la tourte au crabe.
— Bon, dit Tucker, vous savez où me trouver.
— T’auras ton fric, dit Eddie, sans qu’on lui ait rien demandé. Fin de semaine, à l’endroit habituel. Il marqua un temps. Et si jamais la demande s’accroît ?
— J’ai de quoi tenir, lui assura Tucker. Je peux t’obtenir tout ce que tu voudras.
— Merde, mais tu t’approvisionnes où ? demanda Eddie, insistant encore.
— Angelo aurait bien voulu le savoir, lui aussi, tu te souviens ? Messieurs, si je vous le disais, vous n’auriez plus besoin de moi, pas vrai ?
Tony Piaggi sourit.
— Tu nous fais pas confiance ?
— Bien sûr que si. Tucker souriait également. Je vous fais confiance pour fourguer la marchandise et partager l’argent avec moi.
Piaggi hocha la tête avec approbation.
— J’aime les partenaires intelligents. Continuez comme ça. C’est mieux pour nous tous. Vous avez un banquier ?
— Pas encore, on n’a pas trop eu le temps d’y réfléchir, mentit Tucker.
— Eh bien, commence à réfléchir, Henry. On peut vous aider à arranger tout ça, avec une banque à l’étranger. Un plan sûr, compte numéroté, tout le tremblement. Vous pourrez demander à quelqu’un de confiance de retirer le fric. Rappelez-vous, ils peuvent remonter la filière si vous n’êtes pas prudent. Et ne faites pas trop la belle vie. On a perdu pas mal d’amis comme ça.
— Je prends pas de risques, Tony. Piaggi hocha la tête.
— Excellent raisonnement. Il faut toujours être prudent dans ce métier. Les flics commencent à devenir malins.
— Pas encore assez.
Pas plus que ses partenaires, tout bien considéré, mais chaque chose en son temps.