26 août
Pour information, juste au cas où, sache que tu restes toujours un merdaillon sans valeur. Tu n’es qu’une petite merde égoïste et sans tripes, un paresseux sans couilles. Ouais, bien sûr, tu prévoyais de sauver ton épouse, mais tu allais aussi la larguer. Putain de connard stupide au cerveau démoli que tu es. Doux et tendre toi stupide.
Mais aujourd’hui, Misty sait exactement ce que tu éprouvais.
Aujourd’hui est ton cent cinquantième jour de vie de légume. Et son tout premier à elle.
Aujourd’hui, Misty effectue ses trois heures de voiture pour aller te voir et s’asseoir à côté de ton lit.
Pour information, juste au cas où, Misty te demande : « Est-ce qu’il est acceptable de tuer des inconnus pour préserver un mode d’existence uniquement parce que les gens qui le vivent sont les gens que tu aimes ? »
Enfin, que tu croyais aimer.
Vu les foules qui débarquent sur l’île, de plus en plus nombreuses chaque été, on voit de plus en plus d’ordures. L’eau potable est de moins en moins disponible. Mais naturellement, il est impossible de contenir la croissance. C’est antiaméricain. Égoïste. C’est tyrannique. Le mal à l’état pur. Chaque enfant a droit à une vie. Chaque individu a le droit de vivre dans un lieu à la mesure de ses moyens. Nous sommes tous en droit de courir après le bonheur partout où nos pas peuvent nous mener, sur terre, sur mer et dans les airs, pour le traquer autant que faire se peut. Trop de monde qui se précipite au même endroit, et naturellement, tout se détruit – mais c’est là le système de l’équilibre des pouvoirs, le marché qui se réajuste lui-même.
De cette façon, bousiller un endroit est la seule manière de le sauver. Il faut le faire paraître horrible aux yeux du monde extérieur.
Il n’y a pas d’AOPL. Il n’y a que des gens qui luttent pour préserver leur monde d’un trop-plein de gens.
Chez Misty, une part d’elle-même hait les individus qui débarquent ici, ces envahisseurs, ces infidèles, qui se pressent en foule pour lui bousiller son mode d’existence, et l’enfance de sa petite fille. Tous ces étrangers à ce lieu, traînant derrière eux les échecs de leurs mariages, les enfants de leurs familles recomposées, leurs habitudes de drogués, leur éthique de ruisseau, leurs symboles bidon de statut social, ce n’est pas le genre d’amis que Misty veut donner à sa fille.
Ta fille.
Leur fille.
Pour sauver Tabbi, Misty pourrait laisser se produire ce qui toujours se produit. Misty pourrait simplement laisser faire, encore une fois. Le vernissage de l’exposition. Quelle qu’en soit la nature, elle pourrait laisser le mythe de l’île suivre son cours et s’accomplir. Et peut-être que Waytansea Island serait sauvée.
« Nous tuerons tous les enfants de Dieu pour sauver les nôtres. »
Ou alors peuvent-ils offrir à Tabbi quelque chose de mieux qu’un avenir sans défis, une vie d’apaisement, calme et sans danger.
Assise, là, en cet instant, avec toi, Misty se penche et embrasse ton front rouge tout boursouflé.
Ce n’est pas grave que tu ne l’aies jamais aimée, Peter. Misty, elle, elle t’aimait.
Au moins pour avoir cru qu’elle pourrait être une grande artiste, un sauveur d’âmes. Un peu plus qu’illustratrice technique ou artiste commerciale. Et même un peu plus qu’humaine. Misty t’aime pour cela.
Et ça, tu le sens ?
Pour information, juste au cas où, sache qu’elle regrette pour Angel Delaporte. Misty regrette que tu aies grandi baigné d’une légende aussi foireuse. Elle regrette de t’avoir jamais rencontré.