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L’aube ne s’était pas encore montrée. La base tout entière restait plongée dans une torpeur que la rumeur des explosions, au loin, ne perturbait plus. Frewin revint à lui par paliers. D’abord les sens qui s’éveillent, la sensation du froid au-delà des couvertures, des sons multiples – trop tôt pour les comprendre – et le confort Spartiate du lit de camp. Son esprit reprit contact avec la réalité. Mais pourquoi émergeait-il maintenant ? Pas de trompette du lever, pas de sonnerie de son réveil mécanique. Et il était fatigué. Alors pourquoi avait-il ouvert les yeux ?
Le souvenir auditif, soudain. Un bruit particulier. Un cliquetis. Il fut aussitôt en alerte, focalisé sur le son qu’il avait entendu. Un cliquetis... progressif, à l’instar de taquets qui s’emboîtent... Une fermeture à glissière ! Une tente ! Il avait entendu la porte d’une tente s’ouvrir. Qui dormait à côté ? Matters. Et Conrad un peu plus loin. Aux aguets, Frewin rajusta la couverture sur ses épaules pour conserver la chaleur. Il ne put se rendormir. Et c’est de mauvaise humeur qu’il retrouva bientôt ses hommes en train de se raser au-dessus du baquet d’eau froide.
— Matters, Donovan et Conrad, vous partez faire le point sur la nuit comme hier, lança-t-il.
Il se prépara un café, le temps que Matters et Conrad reviennent, avec un constat de calme. RAS. Donovan se fit attendre une demi-heure de plus et, lorsqu’il arriva, ce fut pour transmettre les incertitudes du QG :
— Rien sauf l’absence d’un soldat à l’appel, dans la compagnie Dog. Il n’est pas dans sa tente. Il ne manque rien sauf les vêtements qu’il portait hier.
— Un déserteur ?
— Possible. J’ai croisé le major général, il a ordonné au capitaine Stanley d’enquêter.
— Stanley ? répéta Frewin.
Il le connaissait, un officier de la PM qu’il jugeait plus préoccupé par ses velléités carriéristes que mû par le culot, mais qui faisait du bon travail sur le terrain, pour peu qu’il ne faille pas bousculer les protocoles.
— Bon, je lui demanderai de me tenir au courant. Rien d’autre ? Donovan répondit par la négative.
— Dans ce cas on se prépare, et avant de patrouiller, assurez-vous que vos bardas soient prêts. La compagnie Raven va vraisemblablement décoller aujourd’hui. En cas de départ, vous serez rappelés immédiatement ici.
Frewin retrouva sa tente en début de matinée pour y prendre son calot, à côté de son casque. Il le plia et le glissa sous la patte d’épaule de sa chemise. Il n’aimait pas le porter.
Un bourdonnement attira son attention.
Des mouches. Plusieurs dizaines.
Interloqué, Frewin se pencha vers le pan de tente où elles s’agglutinaient. Elles se nourrissaient sur une trace fine et longue. En y regardant mieux, la trace formait une courbe... des pointillés... une croix.
Frewin sortit le briquet qu’il utilisait pour allumer sa lampe à pétrole et leva la flamme devant lui. Les traits bruns formaient un dessin. Du sang ! Un plan...
On avait pris soin d’établir une sorte de carte avec du sang, à l’intérieur de sa tente.
Et tout s’emboîta dans la tête de Frewin. Le bruit de glissière ce matin. Le tueur. C’était lui, il en était convaincu. Il était entré ici. Pour dessiner cette carte. Il était venu là ! Tout près ! Pour jouer avec Frewin. Pour le narguer jusque dans son intimité, dans son sommeil.
Et à présent il l’appelait par une croix grossière à le suivre dans la forêt. Les insectes grouillants lui montraient la voie.