25
Le Marquis, le Vénatore et le cabaretier sont portés disparus
Victoria s’en revenait tout juste d’une soirée à Grantworth House quand la missive lui parvint.
Tout au long du repas elle avait esquivé les questions de sa mère qui ne comprenait pas pourquoi le marquis ne l’avait pas accompagnée, puis s’était déclarée trop fatiguée pour pouvoir se soustraire aux mondanités d’après-dîner. Apparemment, les cernes bleuâtres sous ses yeux avaient suffi à convaincre lady Melly qu’elle n’était pas en état de veiller. Et tant pis si sa mère pensait que sa lassitude était due à l’attente d’un heureux événement, Victoria était trop épuisée pour la détromper.
Elle venait à peine de défaire son chignon, quand le messager arriva avec une lettre.
L’écriture ne lui disait rien, mais le sceau doré gravé d’un V majuscule entouré de ramages et de calices ne laissait aucun doute sur l’identité de ... Vite, elle déchira l’enveloppe.
Je suis en possession d’une chose qui semble vous être précieuse, même si votre comportement lorsque vousétiez dans ma voiture me laisse perplexe. Je le garde en sûreté jusqu ‘à votre venue. Vous avez ma parole.
S.
Sa parole ?
Jetant la lettre sur sa coiffeuse, elle appela Verbena pour qu’elle l’aide à se changer. Une visite à St Giles requérait quelques préparatifs.
Mais lorsque Victoria se présenta au Calice d’argent, ou plutôt ce qui avait été jadis le Calice d’argent, elle comprit que les préparatifs étaient inutiles.
Il était trois heures du matin, et alors que la taverne aurait dû être pleine à craquer de clients allant et venant, tout était parfaitement silencieux. Une odeur âcre de fumée, de sang frais et de peur l’assaillit dès qu’elle s’engouffra dans l’escalier.
La salle était en ruine, jonchée de tables, de verres, de chaises et de bouteilles brisés... sans parler des cadavres à demi brûlés et du piano renversé. L’endroit empestait la cendre et le pétrole.
Victoria embrassa la pièce du regard, espérant trouver quelque chose... un indice qui puisse expliquer ce qui était arrivé.
Elle se souvint soudain que Max aurait dû être là.
Avait-il été pris dans cette tourmente ? Était-il... ?
Et Phillip ? Sébastien lui avait donné sa parole qu’il était en sûreté.
Une profonde sensation de froid s’empara d’elle.
Max. Phillip. Sébastien.
Tous étaient là au moment du drame.
Max ouvrit les yeux.
La pièce était surchauffée, et la seule source de lumière provenait des torchères qui léchaient le mur. Tout d’abord, il crut qu’il était arrivé en enfer... puis réalisa qu’il n’avait pas cette chance.
— Maximilian.
Il essaya de rester sourd à sa voix... mais il était à bout de force. Il ne se sentait pas capable de résister. Surtout à elle.
— Regarde-moi, Maximilian, susurra-t-elle d’une voix qui glissait sur sa peau comme une caresse.
Il ferma les yeux.
— Pourquoi résistes-tu ? Tu sais bien que tu ne peux pas te refuser à moi.
Il se redressa de sa position couchée. Du moins ses mains n’étaient-elles pas attachées. Précaution inutile puisqu’il était impuissant en sa présence.
— Il y avait longtemps que tu n’étais pas venu me voir, Maximilian.
La façon dont elle avait prononcé son nom le fît se révulser comme si une armée de mille-pattes grouillait sur son corps... et pourtant, l’écho de sa voix persistait dans l’air, son nom sur ses lèvres était comme une chaîne qui les liait l’un à l’autre.
— Je ne suis pas venu te voir, Lilith, dit-il en déployant un effort de volonté surhumain pour prononcer son nom d’une voix posée où ne perçait aucune appréhension.
Son rire, à peine plus fort qu’un souffle, s’enroula autour de lui.
— Tu as toujours eu besoin d’un peu de persuasion. Viens Max. Viens à moi.
Il se leva, obligeant ses muscles à lui obéir... et s’adossant au mur, posa une main sur sa poitrine pour tâter la vis bulla sur le mamelon de son sein gauche. Dieu soit loué, même elle, la reine de la nuit, ne pouvait pas la toucher.
Il sentit une vague d’énergie déferler en lui au contact de l’amulette sacrée. Il se concentra, aspirant toute la force contenue dans l’anneau d’argent.
Puis il se retourna vers elle et s’adossa au mur. Elle était étendue sur une méridienne blanche. Ses yeux, qu’il ne put regarder qu’un très court instant, étaient taillés en amandes et bordés de longs cils séduisants... avec des iris bleus cerclés de rouge.
— Ah, te voilà revenu à toi, Maximilian ! Je te préfère ainsi. Hier soir quand mes serviteurs t’ont ramené et qu’ils t’ont jeté à terre, tu n’étais qu’une masse inerte, l’ombre de toi-même.
— Hier soir ?
Elle hocha la tête une seule fois, l’air majestueux.
— Rockley est mort ?
— Rockley ? Oh, mais non... non, mon cher, j’ai d’autres projets le concernant.
Max ferma les yeux. Si Phillip ne leur avait pas révélé son identité hier, quand la vampire lui avait demandé son nom, il serait mort à l’heure qu’il est. Et en paix.
Car jamais ils n’auraient pu faire le lien avec Victoria.
— Et maintenant, Max, viens à moi. Ne me fais pas languir, dit-elle d’une voix caressante, irrésistible.
Max sentit ses mains et ses pieds se mettre à trembler malgré lui. Un filet de sueur coula sur sa nuque glacée, s’insinua sous sa chemise. Les cicatrices sur son cou le brûlaient et palpitaient quand elle prononçait son nom.
Mais il tint bon. Il longea le mur, pour tenter de mettre de la distance entre eux.
Il sentit qu’elle se rapprochait. Il gardait les paupières fermées pour essayer de se concentrer, mais elle venait dans sa direction. Il s’arc-bouta, la joue et les mains plaquées contre la paroi, cherchant à s’y accrocher. Mais elle était trop lisse.
Lilith respirait dans son cou. Sa présence l’enveloppait, le brûlait, le paralysait... et pourtant elle ne le touchait même pas. Elle leva une main, car il sentit l’air bouger – puis toucha ses cheveux, les lissa, les caressa, en respirant lentement, à grands traits langoureux...
Elle lui tira doucement la tête en arrière, sans brusquerie. Il la laissa faire.
Elle se tenait si près qu’il sentait le galbe de ses seins contre son dos, la saillie de son pubis au creux de ses reins. Passant une main entre la paroi et son torse, il toucha sa vis bulla en inspirant profondément.
Son cou était offert à elle. Car elle était sullisammenl grande, pour pouvoir poser ses lèvres, l’une chaude cl l’autre froide sur sa nuque. Il frissonna lorsqu’elle le loucha Il ferma les yeux. Attendit.
Elle était d’humeur joueuse. Il sentit son rire vibrei sur sa peau tandis qu’elle inspirait sa transpiration, frotta il une canine sur son cou. Son cœur et le sien battaient a l’unisson. Il avait l’impression qu’elle se fondait en lui.
Soudain, elle laissa courir ses ongles crochus dans sa chair depuis les épaules jusqu’au bas du dos. Sa chemise déchirée tomba en lambeaux, et lorsqu’elle pressa son corps contre son dos nu, il se sentit à deux doigts d’abandonner le combat.
L’odeur du sang sous ses ongles emplit ses narines... elle ferma les lèvres sur le bord de son épaule, là où les griffures étaient le plus profondes et se mit à lécher le sang qui sourdait des crevasses.
Elle soupira, et il sentit ses lèvres se révulser de plaisir sur sa peau.
— Maximilian... tu as un goût à nul autre pareil.
— Je ne le prends pas comme un compliment, répondit-il en rassemblant ce qui lui restait de force.
Riant de plaisir, elle se mit à lui sucer vigoureusement l’épaule.
— Tiens, goûte, dit-elle en lui tirant brutalement la tête en arrière et en plaquant ses lèvres sanguinolentes sur les siennes.
Un goût épais de fer lui envahit la bouche lorsque sa langue froide franchit ses lèvres. Il reçut son baiser avec avidité. Il en voulait encore. Damnation.
Lilith passa ses mains sous ses bras et lui caressa le ventre, puis ses doigts remontèrent et s’enfouirent dans la toison qui recouvrait sa poitrine. Il se cambra en gonflant sa poitrine d’air, puis rejeta la tête en arrière pour se soumettre à ses caresses. Quand ses mains effleurèrent ses mamelons, elle fit un saut en arrière, puis les ôta en riant.
— Ce qui me plaît en toi, Max, c’est que tu me donnes à la fois du plaisir et de la souffrance.
Puis elle s’éloigna. D’un seul coup, la chaleur dans son dos disparut.
Il inspira profondément, le front appuyé contre le mur. Lorsque sa main avait frôlé sa vis bulla et qu’elle avait sursauté, il avait éprouvé un regain de vigueur. Chaque fois, c’était la même chose... les petites décharges douloureuses qu’elle éprouvait au contact de sa croix d’argent lui procuraient du plaisir. Elle aimait la puissance que lui conférait sa vis bulla, ce supplément de vitalité qui l’aidait à résister à ses caresses.
Car, de toute façon, elle savait qu’elle serait toujours la plus forte.
Le brouillard de la volupté s’était dissipé. Réalisant soudain qu’elle était en train de parler avec quelqu’un, Max se retourna juste à temps pour voir le sourire radieux de Lilith.
— Je crains que nous ne devions interrompre notre petit jeu, mon cher Maximilian. Mon invitée est arrivée et je dois la recevoir.