8

Où un visiteur impromptu vient semer la pagaille dans les plan de miss Grantworth

 

 

 

 

 

Et si je n’avais pas eu l’intention de tromper mon monde ? rétorqua Victoria. Et si je trouvais simplement plus confortable de porter des pantalons ?

Il rit et approcha sa jambe de la sienne sous la table. Victoria recula instinctivement. Il la dévisagea à nouveau avec insistance, mais sans faire de commentaire, fort heureusement.

— Bien, fit Victoria qui avait retrouvé son assurance maintenant qu’elle n’avait plus besoin de se faire passer pour un homme. Et maintenant, pourriez-vous me dire comment faire pour trouver le Livre d’Antwartha ?

— Si vous voulez bien avoir l’obligeance de baisser la voix... je pense pouvoir vous aider. A condition toutefois que nous nous retirions dans un endroit plus confortable.

A l’idée de se retrouver en privé avec cet homme, Victoria se sentit parcourue de drôles de frissons. Était-ce parce que Phillip l’avait embrassée aujourd’hui ? Toujours est-il qu’elle ne pouvait s’empêcher d’observer les mouvements et la forme de la bouche de Sébastien Vioget.

Une haute silhouette tourna au coin de l’escalier par lequel Verbena et elle étaient descendues. L’homme s’arrêta à une courte distance de leur table. Bien qu’il se tînt de dos, elle le reconnut d’emblée.

C’était Max bien sûr.

Victoria détourna promptement la tête pour ne pas qu’il la reconnaisse.

— Y a-t-il un endroit tranquille par ici ?

— Je vous prie de m’excuser un moment, dit-il en se levant brusquement. Si vous voulez bien vous donner la peine d’emprunter cette porte, je vous rejoins dans un instant.

Il désigna une porte que Victoria n’avait pas remarquée pour la bonne raison qu’elle se trouvait cachée au fond d’une alcôve, à l’abri des regards.

— Elle n’est pas verrouillée.

Sur ses mots, Sébastien s’éclipsa sans toutefois donner l’impression de se hâter, et se dirigea droit vers Max. Une sensation désagréable au creux de l’estomac, Victoria se leva à son tour. Il fallait qu’elle disparaisse avant que Max ne l’aperçoive. Car si son accoutrement était aussi ridicule que le prétendait Sébastien, il suffisait que Max tourne les yeux dans sa direction pour la démasquer et du même coup faire échouer tous ses plans.

Quelqu’un tira soudain sur sa manche, l’obligeant à se retourner. Verbena. Elle l’avait complètement oubliée !

Pendant qu’elle était occupée à parler avec Sébastien, sa femme de chambre avait tourné sa chaise vers la table voisine et entamé la conversation avec ses trois occupants, parmi lesquels la pianiste.

— Ça serait-y pas vot’cousin Max qui cause avec M’sieur Vioget ? demanda Verbena.

Son haleine sentait la bière et elle avait les yeux brillants de quelqu’un qui n’avait pas lésiné sur la boisson.

— C’est Max, en effet, mais ce n’est pas à proprement parler mon cousin. Il faut que je me sauve avant qu’il ne me voie. Excuse-toi auprès de tes amis et suis-moi.

Saisissant sa canne d’une main ferme, Victoria se hâta de gagner la porte dérobée, Verbena à sa suite.

Juste au moment où elle allait refermer la porte derrière elles, Victoria jeta un regard dans la salle. Sébastien et Max se tenaient toujours au même endroit et poursuivaient leurs échanges sur un ton monocorde et sans chaleur, même s’ils ne semblaient ni l’un ni l’autre sur la défensive.

Lorsque les deux hommes se séparèrent sur un petit signe de tête mais sans se serrer la main, elle referma la porte et se retourna vers Verbena qui se tenait adossée contre le mur de brique, sa bière à la main. Ou était-ce celle de Victoria ? Car la chopine semblait à peine entamée.

Elles empruntèrent un couloir voûté, éclairé par des appliques fichées dans le mur tous les quinze pas environ. Avant que Victoria ait eu le temps d’explorer plus avant les lieux, la porte s’ouvrit à nouveau et Sébastien parut.

— Votre amie peut attendre dehors, dit-il en désignant Verbena du regard. Elle sera en sécurité avec Amélie et Claude.

Victoria allait refuser, mais Verbena était déjà à la porte.

— J’aime autant vous laisser, ma’m... m’sieur, se rattrapa-t-elle de justesse. Amélie, c’est la pianiste, et elle a déjà dîné. J’crains rien avec elle.

— En effet, confirma Sébastien. Et ce que j’ai à vous dire est strictement réservé aux oreilles d’une Vénatore.

Victoria sursauta puis se ressaisit. Max l’avait-il aperçue et révélé à Sébastien qui elle était ?

— Vous faites pas d’bile pour moi, déclara Verbena avec un grand sourire, tandis que Victoria acquiesçait malgré elle.

Impatiente de s’en retourner auprès de ses nouvelles connaissances, la soubrette sortit en faisant presque claquer la porte derrière elle.

Victoria était seule avec Vioget.

Il fit un geste dans sa direction, et elle dut prendre sur elle pour ne pas tiquer.

— Il y a longtemps que j’attendais ce moment, dit-il en faisant tomber son chapeau à terre. Et maintenant...

Voyant qu’il cherchait à passer une main derrière elle, elle se recula, mais pas assez vite. Il avait réussi à ôter une des épingles qui retenaient ses cheveux.

— Tss, fit Sébastien. Quel dommage de devoir cacher une aussi belle crinière.

Victoria glissa une main dans sa poche et saisit son pistolet. Cependant, elle ne le pointa pas sur lui, se contentant de lui montrer qu’elle le tenait à la main.

— Gardez pour vous vos remarques sur mes vêtements ou ma coiffure. Si vous ne pouvez pas m’aider dans mes recherches, je vais trouver quelqu’un d’autre.

Sébastien rit et laissa tomber l’épingle. Victoria sentit la masse de ses cheveux s’affaisser sur sa nuque, mais elle résista à l’envie de lever la main pour tenter de la redresser.

— Vous êtes digne de votre Mission, ma chère. Mais avant que nous ne poursuivions, j’aimerais connaître votre vrai nom.

Elle ne voyait pas de raison de ne pas le lui dire.

— Victoria. Et j’aimerais savoir ce qui vous fait penser que je suis une Vénatore.

— Il se trouve que je sais beaucoup de choses. Y compris...

Il tendit à nouveau la main vers elle, et avant qu’elle ait pu l’en empêcher, abaissa le bord empesé de son col montant. Sa main nue et chaude effleura la chair de son cou.

Victoria fit un petit pas mesuré en arrière. Surtout ne pas céder à la panique, ne pas faire de mouvements désordonnés ou hâtifs. Il ne fallait pas qu’il sache à quel point les libertés qu’il prenait avec elle la désorientaient.

En tant que Vénatore, elle avait l’avantage sur lui.

— Allez-vous vous décider à m’aider, ou dois-je me retirer ?

— Et prendre le risque de vous faire remarquer par votre acolyte ? Sans votre chapeau, vous avez l’air d’une gamine qui s’est amusée à emprunter le costume de son frère. Ridicule. C’est faire affront à votre beauté.

Il avança dans le couloir.

— Je suis sûr que vous ne voulez pas qu’il vous voie. Mais pourquoi cela, je me le demande bien ?

Refusant le bras qu’il lui offrait, Victoria se mit à marcher à sa suite. La masse instable de ses cheveux ballottait sur sa nuque à chacun de ses pas.

— Vous le connaissez ? dit-elle en omettant à dessein de prononcer son nom.

— Maximilian ? Naturellement. Il vient chez nous de temps en temps. Je lui ai dit qu’il pouvait venir aussi souvent qu’il le désirait du moment qu’il ne semait pas la pagaille. De même que j’ai exigé de mes autres clients qu’ils ne chassent pas leurs proies dans mon établissement. Et, ma foi, nous nous entendons tous à merveille.

Victoria continuait d’avancer. Sa canne à bout ferré dans une main et son pistolet dans l’autre, elle se sentait prête à parer à toute éventualité.

— Par ici, ma chère, dit Sébastien en s’arrêtant devant une porte située presque au bout du corridor.

Une autre porte identique lui faisait face.

Victoria resserra les doigts autour de sa canne et franchit le seuil d’une pièce aux allures de bureau, meublée avec goût. Un pan entier de mur était tapissé d’étagères couvertes de livres, avec, en vis-à-vis, un bureau, une banquette et deux fauteuils disposés autour d’une table basse devant la cheminée. Un tapis recouvrait le sol parqueté. Le seul détail déconcertant était l’absence de fenêtres  – et le fait qu’il n’y ait eu qu’une seule issue.

— Je vois que mon bureau a l’air de vous plaire, dit Sébastien. Mais je vous en prie, asseyez-vous.

— Pourquoi m’avez-vous amenée ici ? Le Livre d’Antwartha ne se trouve certainement pas sur une de ces étagères.

— Bien sûr que non. Mais il était indispensable que personne ne puisse surprendre notre conversation. Pour la bonne raison que... (il fit un geste pour couper court à une remarque acerbe) je peux vous dire exactement où il se trouve. Et comment vous le procurer.

 

Victoria se tint coite et s’assit, sa canne et son pistolet à portée de main.

— Bien, dit-il en prenant place à côté d’elle sur la banquette. Que me donnerez-vous en échange de ces informations ?

Victoria se tint sur ses gardes.

— Quel prix exigez-vous en retour ?

— Deux choses. Deux choses toutes simples, Victoria Gardella. Eh oui, je sais parfaitement qui vous êtes.

Sébastien sourit en posant sur elle ses yeux jaunes de tigre.

— La première est une condition : vous ne devez dire à personne comment et par qui vous avez obtenu l’information. Pas même à votre acolyte, Maximilian, ou à votre tante. Si vous le faites, je le saurai. Et il vous en coûtera. Voyez-vous, personne d’autre que moi dans la taverne ne sait qui vous êtes. Personne ne doit savoir que nous nous sommes rencontrés. Et si quelqu’un l’apprend, c’est que vous aurez vous-même vendu la mèche.

Victoria acquiesça.

— Je vous le promets.

— Et pourquoi devrais-je vous faire confiance ?

— Ne vous ai-je pas moi-même fait confiance quand vous m’avez affirmé que ma femme de chambre était en sécurité, ou quand vous m’avez dit de vous suivre jusqu’ici ?

Il eut un petit rire narquois.

— Ah, mais oui, en tant que Vénatore vous êtes à ma merci.

Il avait dit cela sur le ton de la raillerie, mais Victoria voyait bien qu’il plaisantait à demi. En tout cas, vous avez eu raison de me faire confiance concernant votre femme de chambre. Elle est en parfaite sécurité. Comme je vous l’ai dit, je ne tolère aucun écart de conduite dans mon établissement.

— Et quelle est l’autre condition ?

— Je désire voir votre bulla.

Victoria eut la chair de poule. Elle s’était attendue au pire. Mais pas à ça.

— Un baiser ne vous suffirait pas ? demanda-t-elle, la gorge sèche. Après tout, elle avait déjà embrassé un homme aujourd’hui. Alors qu’elle ne se voyait tout simplement pas... déboutonnant sa chemise et montrant son nombril à un parfait inconnu.

— Seriez-vous en train de m’offrir une autre faveur en plus de celle que j’ai exigée ? Si c’est le cas, j’accepte volontiers.

— Non, pas en plus, mais à la place.

— L’idée est tentante, car je n’ai jamais embrassé de Vénatore... mais non. Je préfère que vous me montriez votre vis bulla.

Victoria nota qu’il n’avait pas hésité un seul instant.

— Après quoi, je vous raconterai tout ce que vous devez savoir.

— Comment saurais-je que vous me dites la vérité ?

— Il faudra que vous me fassiez confiance.

Ce fut au tour de Victoria de rire.

— Ah bon ? Et pour quelle raison accepteriez-vous de m’aider ?

— Concernant votre dernière question... j ‘ ai naturellement de bonnes raisons, mais vous les dévoiler ne fait pas partie du marché. Et si d’aventure les informations s’avéraient erronées  – ce qui n’est pas le cas, je puis vous l’affirmer -qu’auriez-vous perdu à me montrer votre vis bulla ?

Il avait subitement baissé le ton et sa voix n’était plus qu’un profond et troublant murmure.

— Ou bien... reprit-il en haussant à nouveau la voix. Je peux transmettre l’information à Maximilian. Je suis sûr qu’il m’en sera reconnaissant.

— Jamais il n’acceptera de vous montrer sa vis bulla, répliqua Victoria, réalisant soudain que Max portait lui aussi une amulette accrochée au nombril.

— La sienne ne m’intéresse pas.

Victoria sentit son cœur se mettre à battre furieusement dans sa poitrine. Ce n’était que la pudeur, rien que la pudeur qui l’empêchait de la lui montrer. Et si elle le faisait, elle pourrait s’en retourner auprès de tante Eustacia et Max avec de précieuses informations... voire avec le livre !

Sébastien l’observait, nonchalamment renversé dans son coin de la banquette, mais elle sentait la tension le gagner. Il attendait. Soudain, comme vaincue par l’insistance de son regard, elle sentit son chignon s’effondrer complètement tandis que ses cheveux se répandaient sur ses épaules. Il sourit, l’air satisfait.

— Exactement comme je me l’étais imaginé.

— Révélez-moi une chose, et je déciderai si l’information mérite un baiser... ou que je vous montre ma vis bulla.

— Lilith sait où se trouve le livre et elle va envoyer ses Gardiens le chercher demain soir, quand la lune sera levée. Ou bien vous parviendrez à leur faire pièce ou bien Lilith vaincra. Eh bien, acceptez-vous de jouer à ce jeu ou non ?

Victoria se renversa légèrement contre l’accoudoir de la banquette, son torse tourné vers Sébastien, tout en gardant ses deux pieds solidement cloués au sol. Elle sentait la bosse du pistolet sous sa hanche. Ce n’était guère confortable, mais du moins savait-elle exactement où il se trouvait. Otant ses gants, elle écarta les revers de sa veste, révélant la chemise blanche empesée qui lui descendait presque jusqu’aux genoux.

Ses doigts posés sur l’étoffe, à la hauteur de son abdomen, elle regarda Sébastien qui n’avait pas bougé et la contemplait en silence. Sa poitrine montait et descendait en cadence sous sa redingote couleur chocolat.

Les doigts de Victoria se mirent soudain en mouvement. Les yeux baissés, elle tira sa chemise hors de son pantalon et en releva les pans pour dévoiler son ventre. Sa peau frissonna au contact de l’air froid.

La croix d’argent logée au creux de son nombril, luisait doucement sur sa chair blanche. Elle entendit Sébastien réprimer un soupir puis expirer lentement.

Il se rapprocha tout doucement. Victoria était comme hypnotisée, incapable de relâcher les pans de sa chemise ou de les rabattre devant elle. Lorsqu’il étendit la main vers elle, pour la troisième fois ce soir-là, son ventre se rétracta, fuyant instinctivement le contact. Il caressa la croix du bout des doigts... puis sa main se mit à errer autour de son nombril.

Chaude, puissante, intense... sa paume enveloppait sa chair.

Le brouillard rouge à l’orée de son champ de vision s’intensifia, puis elle sentit le souffle lui manquer.

Chasseurs de vampires
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