21

  Pieter de Vaal referme le dossier du rapport sur le massacre de la ferme des Fawkes. Le visage tiré, il lève les yeux.

— Je suis encore bouleversé par cette horrible tragédie. C’est tellement absurde.

  Fawkes reste impassible. Assis devant le bureau du ministre de la Défense, il bourre de tabac son vieux brûle-gueule. Le silence règne dans la pièce ; on n’entend que le grondement confus de la circulation à travers la vaste fenêtre qui domine le Burger Park.

  Finalement, de Vaal glisse le dossier dans un tiroir ; il parle en évitant le regard de Fawkes.

— Je regrette que nos patrouilles n’aient pas pu rattraper les sauvages qui ont fait cela.

— Il n’y a qu’un seul responsable, dit sombrement Fawkes. Les hommes qui ont massacré ma famille l’ont fait sur son ordre.

— Je sais à qui vous pensez, Capitaine Fawkes, mais rien ne nous prouve que Lusana soit derrière cela.

— Je suis convaincu que c’est lui.

— Que vous dire ? Même si nous en étions certains, il se trouve au-delà de nos frontières. Il est hors d’atteinte.

— Pas en ce qui me concerne. Je peux mettre la main sur lui.

— Comment ?

— En me portant volontaire pour commander votre opération Eglantine.

  De Vaal discerne nettement la haine qui bouillonne dans les veines de Patrick Fawkes. Le ministre de la Défense se lève et va à la fenêtre ; son regard erre sur les jacarandas qui ombragent les rues de la ville.

— Je comprends vos sentiments, Capitaine, mais la réponse est : non.

— Et pourquoi donc, monsieur ?

— L’opération Eglantine est une conception monstrueuse. Si l’affaire échouait, les conséquences seraient désastreuses pour notre gouvernement.

  Fawkes cogne sa pipe sur le bureau du ministre et il casse le tuyau.

— Non, par le Diable ! Ma ferme n’a été que le prélude. Il faut stopper Lusana et sa horde sanglante avant que le pays tout entier ne soit à feu et à sang.

— Les risques dépassent de loin les bénéfices possibles.

— Je réussirai, déclare froidement Fawkes.

  De Vaal a l’air d’un homme déchiré par sa conscience. Il marche de long en large, puis s’arrête et regarde Fawkes.

— Je ne peux pas vous promettre de vous mettre en lieu sûr le moment venu. Et le ministère de la Défense déniera tout lien avec cette aventure si vous êtes découvert.

— Entendu, dit Fawkes avec un long soupir de soulagement, mais une pensée lui vient : Au fait, à propos de ce train, monsieur le Ministre, comment avez-vous pu franchir si vite la distance entre une salle d’opération d’hôpital à Durban et une voie de garage à Pembroke ?

  De Vaal sourit pour la première fois.

— Simple ruse, mon cher. Je suis entré à l’hôpital par la grande porte et j’en suis ressorti aussitôt par une porte dérobée. Une ambulance m’a transporté à la base aérienne d’Heidriek où j’ai pris un jet qui m’a déposé sur une piste près de Pembroke. Le train est celui du Président. Je l’ai simplement utilisé quelques heures, alors qu’il allait être révisé.

— Mais pourquoi toutes ces manœuvres compliquées ?

— Il m’est souvent nécessaire de masquer mes faits et gestes, répond de Vaal. Et je pense que vous comprendrez que l’opération Eglantine n’est pas de celles que nous désirons tellement faire connaître à son de trompe.

— Je vois ce que vous voulez dire.

— Et vous, Capitaine Fawkes. Pouvez-vous disparaître sans éveiller les soupçons ?

— J’ai quitté Umkono au milieu d’un concert de lamentations. Mes amis et mes voisins croient que je suis retourné en Ecosse.

— Voilà qui est parfait.

  De Vaal passe derrière son bureau, trace quelques mots sur une feuille de papier qu’il passe à Fawkes.

— Vous avez là l’adresse d’un hôtel à 15 kilomètres au sud de la ville. Prenez une chambre et attendez les instructions et les papiers nécessaires avant de donner le coup d’envoi. A partir de cette minute précise, le gouvernement d’Afrique du Sud vous tient pour mort. Et que Dieu nous soit en aide ! termine-t-il en baissant la tête.

— Dieu ? Non. Je n’y compte guère. (Une lueur diabolique danse dans les yeux de Fawkes.) Je doute fort qu’il veuille se mêler de cela.

 

  A l’étage situé au-dessous des bureaux du ministre, le colonel Zeegler marche de long en large dans la salle des opérations devant une table surchargée de photographies glacées.

Pour la première fois de sa carrière, il est complètement dérouté. Le raid sur la ferme des Fawkes comporte un aspect bizarre qui ne correspond pas à la méthode classique des terroristes. Il a été réalisé avec trop de précision et d’ingéniosité. D’autre part, ce n’est pas le style de Lusana. Certes, il ferait sans hésiter mettre à mort des soldats blancs, mais il n’aurait jamais autorisé le massacre des travailleurs bantous de Fawkes et, notamment, des femmes et des enfants. Cet aspect-là est aux antipodes de ce que l’on connaît de la stratégie du chef des insurgés.

— Qui, alors ? se demande Zeegler à haute voix.

  Il ne peut certainement pas s’agir d’unités noires des forces régulières de l’Afrique du Sud. C’eût été impossible sans que Zeegler en ait connaissance.

  Il s’arrête et fouille dans les photographies prises après le massacre par le groupe des enquêteurs. Aucun témoin n’a été retrouvé, aucun des assaillants n’a jamais été capturé. L’exécution de l’opération est trop parfaite, trop totalement dénuée de défauts,

Le moindre indice de l’identité des assaillants continue de lui échapper. Mais des années d’expérience lui disent que cet indice se trouve là, caché dans la pile de photos.

Comme un chirurgien qui examinerait des radios avant d’entreprendre une opération délicate, Zeegler s’arme d’une loupe et, pour la vingtième fois, reprend l’examen de chaque photographie.

 

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