Chapitre 19

 

 

Après le départ de Raphael, je m’allongeai dans mon lit et dormis comme une souche. Quand je me réveillai, les hématomes s’étaient bien épanouis et tout mon corps me faisait mal. J’engloutis une poignée d’ibuprofènes puis pris la plus longue douche du monde. Je me sentais à peine mieux ensuite.

Tout en me demandant ce que j’allais bien pouvoir faire de ma journée, je consultai les messages de mon répondeur du bureau et découvris que finalement je n’aurais pas à chercher comment m’occuper. Je me réjouis comme une imbécile de pouvoir planifier un exorcisme de routine au milieu de l’après-midi. Un instant, je pus prétendre que ma vie était normale. Du moins, aussi normale que la vie d’une exorciste peut l’être.

Je créai un peu l’événement en débarquant au tribunal avec mes hématomes très visibles. Je racontai à qui me posa la question que j’avais été agressée. C’était beaucoup plus simple comme ça.

Le type que je devais exorciser, un certain Jordan Maguire, avait été un hôte légal pendant cinq ans. Il avait apparemment eu des ennuis après sa séparation d’avec sa compagne avec qui il avait une petite fille de deux ans. Ils s’étaient disputés… bruyamment, selon les voisins. Quand le démon avait quitté l’appartement de la jeune femme, celle-ci avait appelé la police et l’avait accusé de l’avoir agressée. Elle avait même montré des contusions.

S’il avait été humain, il y aurait eu une très longue enquête pour savoir ce qui s’était réellement passé. Mais les démons ont très peu de droits et le système judiciaire ne tolère aucun écart. J’avais un peu pitié de ce démon qui jurait qu’il n’avait pas frappé sa petite amie, qu’elle le trompait avec un autre type et que c’était l’autre type qui l’avait frappée. Mais il avait déjà été inculpé et condamné et je savais que je ne faisais que le renvoyer dans le Royaume des démons, que je ne le tuais pas. Ma culpabilité était donc atténuée.

Le démon de Maguire me donna du fil à retordre, mais je finis par l’exorciser.

La culpabilité disparut complètement quand le démon fut parti. Environ quatre-vingts pour cent des hôtes dont on exorcise le démon finissent comme des légumes mais, parfois, il arrive que ce soit pire. Ce fut une de ces fois-là. Après le départ du démon, le cerveau de l’hôte s’éteignit complètement, incapable désormais de diriger les fonctions physiques vitales telles que la respiration. Son cerveau n’était pas seulement endommagé, il était mort.

On emmena Maguire en ambulance pour qu’il soit admis à l’hôpital en attendant que sa famille soit informée. Là on débrancherait le respirateur artificiel et il mourrait. Je frémis à la pensée de ce que le démon avait dû lui faire pour que son hôte se soit éteint complètement. Et je priais pour que Raphael ne traite pas mon frère de la sorte.

Déprimée, je revins à mon bureau pour y remplir toute la paperasse. Je n’avais pas eu de nouvelles d’Adam et, étant de nature impatiente, j’essayai de l’appeler. Je basculai aussitôt sur sa messagerie et ne pris pas la peine de laisser un message.

Je souffrais encore de la raclée que j’avais prise, j’étais déprimée par l’exorcisme que je venais de pratiquer, inquiète au sujet de Dominic et en colère d’avoir été éjectée de l’affaire Tommy Brewster. Voilà une bien mauvaise association d’émotions et je brûlais d’envie de passer à l’action.

Ce que je décidai de faire aurait pu être imprudent, surtout compte tenu des « conseils » sans équivoque qui me recommandaient de ne pas fourrer mon nez dans les affaires de Brewster. Mais je décidai qu’il était temps de retourner aux 7 Péchés Capitaux. Shae et Tommy semblaient être devenus amis… ou du moins complices. Je pourrais peut-être gentiment convaincre Shae de me confier ce que Tommy préparait.

Je souris à la perspective de faire passer un mauvais quart d’heure à Shae. Le meilleur dans tout ça, c’était que Shae étant elle-même un démon illégal, elle ne pourrait donc pas porter plainte à la police si je devenais un peu… agressive dans ma manière de lui poser les questions. Adam était obligé d’être complaisant avec elle, sinon sa source d’informations risquait de se tarir. Je n’étais pas soumise à ce genre d’obligations.

J’arrivai au club à 21 heures, juste au moment où les portes s’ouvraient. C’était le même videur que j’avais baratiné lors de ma dernière visite. Il ne faisait aucun doute qu’il me reconnaîtrait – je n’étais pas du genre à me fondre dans la foule – et il se souviendrait également que Shae m’avait laissé entrer la dernière fois. Quand je lui demandai d’avertir Shae que je souhaitais lui parler, il passa un coup de fil sotto voce puis m’annonça qu’elle arrivait tout de suite. Je trouvai un coin pour ne pas rester dans le passage et attendis.

Je ne fus pas surprise de constater que la définition de « tout de suite » de Shae différait de manière significative de la mienne. Je me retins de regarder ostensiblement ma montre quand elle émergea enfin de l’entrée estampillée « Réservé au personnel ».

Visiblement, en matière de vêtements, Shae affirmait sa préférence pour le théâtral. Ce soir-là, elle portait une tunique en soie orange fluo agrémentée de brandebourgs et d’un col mandarin par-dessus un pantalon noir. Je ne sais comment, mais elle était parvenue à dégoter une paire de talons aiguilles dont la couleur s’accordait exactement à celle de sa tunique. N’importe qui d’autre aurait eu l’air ridicule dans cette tenue, pas elle.

Shae me regarda sans perdre sa contenance et son regard s’attarda sur mes hématomes. Je serrai les dents, m’attendant qu’elle me balance un commentaire, mais elle se contenta de me sourire : ce sourire prédateur de requin auquel je commençais à m’habituer.

— Quelle agréable surprise, dit-elle, les yeux étincelants. Deux fois en une semaine. Peut-être devrions-nous t’inscrire comme membre ?

Je réprimai un frisson à cette pensée.

— Ton videur a dit qu’il y avait une liste d’attente de trois mois.

— Je serais ravie de faire une exception pour toi.

Nous savions toutes les deux qu’il gèlerait en enfer avant que j’accepte de devenir membre, mais je fis semblant de marcher. J’essayais d’approcher ma proie. Ou juste de me laisser le temps de changer d’avis avant de m’en aller.

Je haussai les sourcils.

— Pourquoi ferais-tu ça ?

Je dus refréner l’envie de me recroqueviller sur moi-même quand Shae passa son bras sous le mien.

— Parce que tu es la source d’un plaisir sans limites, dit-elle en essayant de me traîner vers la porte et le cœur du club.

Je freinai des deux talons. Je ne voulais pas entrer là-dedans, et surtout pas au bras de Shae.

— Arrête tes conneries, dis-je. Je ne tiens pas à remettre les pieds dans ton club.

Elle plissa les yeux.

— Tu l’as déjà fait.

— Tu sais très bien ce que je veux dire. Y a-t-il un endroit tranquille où nous pourrions parler ?

Elle lâcha mon bras – merci mon Dieu – et m’observa d’un air curieux. J’affichai mon expression la plus neutre en espérant que j’étais plus douée pour dissimuler mes émotions. Shae m’aurait fichu la trouille même si je n’avais pas su qu’elle était un démon illégal. Il y avait quelque chose chez elle… Pas quelque chose de mauvais, mais peut-être… de chaotique.

Quoi qu’elle ait pu lire sur mon visage, Shae sembla satisfaite. Elle me sourit encore et désigna l’entrée du personnel.

— Suis-moi, dit-elle en prenant cette direction. Nous pouvons aller dans mon bureau.

Je ne fus pas surprise de voir que la porte était verrouillée. En revanche, je fus étonnée de constater que la clé était une carte. Je n’avais pas remarqué le lecteur dans l’ombre. Je me demandai si suivre Shae par cette porte n’était pas d’une stupidité monumentale. Mon Taser était dans mon sac mais, par expérience, je savais qu’il ne m’était pas d’un grand usage dans cet endroit.

Je retins la solide et lourde porte, mais je ne suivis pas Shae tout de suite. Elle se retourna en haussant un sourcil.

— Il y a un problème ? demanda-t-elle, et son sourire me disait qu’elle savait exactement quel était mon problème.

— J’attends un coup de fil d’Adam, lui répondis-je, ce qui était vrai. Je me demandais juste si je pouvais capter à l’intérieur du club. Tout cela a l’air si… impressionnant.

Ouais, d’accord, le prétexte du coup de fil était un cliché sorti tout droit de trois mille films à suspense. Habituellement utilisé en vain, quand on y réfléchissait bien. Mais c’était la première chose qui m’était venue à l’esprit et je n’avais pas le temps de trouver d’autre excuse.

Shae éclata de rire mais elle eut au moins l’obligeance de ne pas souligner mon manque d’originalité.

— Tu n’auras aucun problème pour capter, m’assura-t-elle. J’utilise mon portable tout le temps.

Il était temps que je prenne une décision. Allais-je suivre Shae dans l’enfer de son club, loin d’éventuels témoins, ou bien allais-je choisir la sécurité et lui déclarer que nous parlerions un autre jour avant de me tirer ?

Jouer la sécurité n’a jamais été mon fort alors, bien sûr, je la suivis.

Je suppose qu’à cause du lecteur de cartes, je m’étais attendue à quelque chose de mystérieux, de différent de ce couloir qui aurait pu appartenir à n’importe quel immeuble de bureaux de la ville. À ma droite, une loge de concierge. À ma gauche, une réserve. Plus loin, le bureau de Shae. Au bout du couloir, une porte sans inscription munie d’un autre lecteur de cartes.

— Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? demandai-je à Shae alors qu’elle poussait la porte de son bureau en me faisant signe d’entrer.

— D’autres bureaux, répondit-elle, mais elle ne s’attendait sûrement pas que je la croie.

Ce qu’il y a derrière cette porte ne me regarde pas, me rappelai-je. J’étais là pour obtenir des informations sur Tommy Brewster et pas pour fourrer mon nez dans les recoins les plus sombres des affaires de Shae.

Le bureau était aussi impressionnant que sa propriétaire. Les murs étaient peints en noir et la porte était couverte de moquette noire de type industriel. Le bureau de Shae était en laque brillante noire rehaussée d’argent et son fauteuil en maille noire et tubes argentés. Des bibliothèques argentées, remplies de livres d’économie et qui avaient l’air très ennuyeux, encadraient son bureau. La seule concession à la décoration consistait en photos noir et blanc de paysages urbains, chacune d’elles dans un cadre d’argent accroché au mur.

C’était froid et inhospitalier. Mais après tout, l’ambiance s’accordait bien avec l’occupante des lieux.

Elle m’invita à m’asseoir dans un fauteuil avant de s’installer derrière son bureau et de s’adosser en croisant les mains derrière la tête. Ses yeux étincelaient d’intérêt et de spéculations. Sous le prétexte de consulter mon téléphone, j’ouvris mon sac à main et m’assurai d’avoir un accès dégagé à mon Taser. J’en profitai pour l’armer et jeter un coup d’œil à la batterie. Il était prêt à l’emploi au cas où j’en aurais besoin.

— Alors, dit Shae, s’impatientant apparemment devant mes préparatifs. Que puis-je faire pour vous, mademoiselle Kingsley ?

J’avais bien un certain nombre de suggestions, mais je ne pensais pas que les exprimer donnerait lieu à une discussion productive.

— Je me demandais si tu pouvais m’en dire un peu plus sur Tommy Brewster. J’ai entendu dire que c’était un client régulier de ton club et j’en ai conclu que vous aviez tous les deux une sorte de relation d’affaires.

Shae cligna des yeux avant d’éclater de rire : un rire profond et riche que beaucoup d’hommes auraient qualifié de sacrément sexy. Pour ma part, je le trouvai tout simplement irritant. Après tout, tel était sûrement l’objectif.

— Je vois que tu es aussi subtile que moi, déclara Shae quand elle parvint à mettre fin à son hilarité.

Je haussai les épaules en essayant d’avoir l’air désinvolte.

— La subtilité, c’est dépassé.

Elle maîtrisa son éclat de rire, même si je voyais les commissures de ses lèvres tressauter.

— Je ne peux qu’abonder dans ton sens. Alors si nous pouvons nous dispenser de subtilité, laisse-moi te demander ceci : qu’est-ce qui te fait croire que je vais répondre à tes questions sur Tommy ?

J’envisageai de dégainer le Taser pour lui donner une raison immédiate. Puis je pris conscience du problème fondamental que poserait un tel geste. Beaucoup de démons prennent du plaisir dans la douleur et il était fort probable qu’un démon gérant un club SM soit de ceux-là. Ce qui rendait complètement vaine ma menace de lui faire du mal.

— As-tu une raison particulière d’être loyale envers Tommy ? demandai-je plutôt.

Shae m’adressa un drôle de regard.

— Ma chérie, est-ce que j’ai l’air d’une personne loyale envers qui que ce soit ?

— Je vérifie juste, marmonnai-je. Si cela ne blesse pas ta sensibilité délicate, nous pourrions peut-être arriver à un arrangement.

Elle avait déjà joué dans les deux camps. Pourquoi ne le referait-elle pas ?

À la lueur subite qui éclaira son regard, je devinai que j’avais éveillé son intérêt, même si sa voix resta neutre :

— Quel genre d’arrangement as-tu en tête ?

Je n’avais jamais été impliquée de près ou de loin dans ce genre de négociation illicite et je pris soudain conscience que je ne savais pas comment m’y prendre. Combien devais-je lui offrir ? Je n’avais même aucune idée d’une fourchette de prix. Quand elle nous avait aidés, Adam et moi, à sauver Brian de l’Enfer, elle avait demandé bien plus d’argent que je pouvais me permettre de donner, surtout maintenant que je n’étais pas encore remise de l’impact financier de l’incendie de ma maison.

Dans le doute, toujours faire un lob dans le camp de l’ennemi.

— Combien veux-tu ?

Si j’arrivais à lui faire annoncer un prix, je pourrais peut-être alors négocier à la baisse.

Shae éclata encore de rire et je regrettai d’être une telle distraction pour elle.

— Tu n’as pas les moyens de m’acheter, dit-elle. Mais je suis tout à fait prête à considérer d’autres formes de paiement.

Me rappelant quelle autre forme de paiement elle avait demandé à Adam et Dominic par le passé, je réprimai un frisson.

— Tout dépend à quel point tu veux cette information, poursuivit Shae.

Elle parcourut mon corps du regard et je ne voulais vraiment pas savoir ce qu’elle imaginait.

Je reculai ma chaise. C’était une idée stupide. Aussi stupide que d’être venue la première fois dans ce club pouf chercher Tommy Brewster.

— Pas tant que ça, je suppose. Merci pour le bavardage, dis-je avant de me tourner vers la porte.

Je laissai planer ma main au-dessus de l’ouverture de mon sac, juste au cas où.

Elle me laissa m’avancer dans le couloir et fermer à moitié la porte avant de me retenir.

— Ne pars pas fâchée, dit-elle. Je suis certaine que nous pouvons arriver à un arrangement acceptable.

Je me tins sur le seuil, hésitante. J’avais l’impression d’être ferrée comme le poisson à l’hameçon. Mais j’avais également le sentiment que si je jouais correctement mes cartes, j’obtiendrais les informations que je souhaitais.

— Si l’arrangement implique que je dois mettre le pied en Enfer, alors non, ce n’est pas possible.

Son sourire était presque agréable désormais.

— Ma chérie, il se peut que je sois une mercenaire, mais je ne suis pas idiote. Ça ne sert à rien de marchander quelque chose que je ne pourrai pas obtenir. Maintenant, pourquoi ne fermerais-tu pas la porte et ne te mettrais-tu pas à l’aise ?

Me sentant comme une mouche devant l’araignée, je fermai la porte. Mais je restai debout, décidant qu’il était temps de faire preuve de mesures explicites d’autodéfense. Je sortis le Taser de mon sac sans le pointer vers elle. J’essayai, moi aussi, de lui adresser un sourire agréable, même si j’étais ravie qu’il n’y eut pas de miroir dans le coin pour voir le résultat.

— Maintenant je suis aussi à l’aise que je peux l’être en ta présence, dis-je.

Il était probable que la douleur du Taser ne lui fasse rien mais, si j’avais besoin de sortir rapidement, j’étais prête. Quelle que soit la réaction de Shae à la douleur, l’électricité bousillerait son contrôle sur le corps de son hôte et elle serait impuissante pendant dix à quinze minutes. Si je ne parvenais pas à sortir en dix minutes, alors j’étais sacrément dans la merde.

Mon arme ne sembla pas impressionner Shae.

— Comme tu veux. Tu n’as pas besoin du Taser. La violence n’est pas ma tasse de thé. Mais je ne m’attends pas que tu me croies.

— Bien, marmonnai-je, parce que je ne te crois pas. Maintenant, si mon argent ne suffit pas à payer des informations sur Brewster et si tu sais d’avance que je ne vais pas te servir de distraction, alors qu’espères-tu que je te donne ?

— L’information est une monnaie très utile. Pour chaque question à laquelle je répondrai au sujet de Brewster, je t’en poserai une en retour.

Pourquoi cette proposition fit-elle subitement se dresser tous les poils de mes bras ? Quel genre de renseignements utiles étais-je en mesure de lui fournir ? Que pouvais-je savoir qui puisse l’intéresser ? Elle serait certainement fascinée de tout savoir au sujet de Lugh et de Raphael mais je ne comptais pas cracher quoi que ce soit les concernant.

— C’est tellement Hannibal Lecter de ta part, dis-je en essayant de comprendre à quel jeu elle jouait.

Elle n’eut pas l’air de se sentir insultée, ce qui ne me surprit pas le moins du monde.

— Voilà comment on va procéder. Tu me poses une question. Puis je te pose une question. Si tu réponds à ma question, je réponds à la tienne. Si tu ne réponds pas alors je ne réponds pas mais tu peux poser une autre question. (Elle afficha un large sourire, ses dents paraissant tout d’un coup très blanches et fatales sur sa peau d’ébène.) Tu vois, je te laisse même le choix quant aux questions auxquelles tu répondras.

Cela semblait trop beau pour être vrai…

— Qu’est-ce qui se cache là-dessous ?

— Rien du tout, mis à part les questions en elles-mêmes. (Ses yeux pétillèrent d’amusement.) Tu te doutes bien que je ne vais pas te demander quelle est ta couleur favorite.

J’y réfléchis longuement sans trouver une raison valable de ne pas tenter le coup. Je pouvais répondre ou ne pas répondre à ma convenance et, même si j’étais certaine qu’elle choisirait des questions difficiles quand je lui demanderais quelque chose qu’elle ne voulait pas me dire, au moins il me serait toujours possible de lui tirer quelques renseignements de cette manière.

— Pourquoi ai-je l’impression que c’est une mauvaise idée ? demandai-je à voix haute tout en m’asseyant de nouveau en face de son bureau.

Gardant le Taser sorti et bien en vue, je reculai suffisamment ma chaise pour me ménager un temps de réaction si elle décidait de se jeter sur moi pour une raison ou une autre.

— C’est ta première question ?

— Ha ha.

Très difficile de définir quelle serait ma première question. Après tout, je ne savais pas vraiment ce que je cherchais.

— Quelle est ta relation avec Tommy Brewster ? demandai-je en optant pour un sujet large et vague.

Peut-être en dévoilerait-elle plus en répondant à cette question. Eh, on peut toujours espérer.

Elle m’adressa un sourire de requin.

— Quelle est ta relation avec Adam White ?

Cela semblait être une question presque inoffensive. J’obtiendrais sûrement une réponse aussi vague que l’était ma question, mais je pouvais au moins faire l’effort de jouer son jeu.

— Adam est mon ami, dis-je en m’agitant sur mon siège.

Adam était beaucoup de choses pour moi, mais « ami » n’en faisait pas partie.

Shae haussa un sourcil bien dessiné.

— Je pensais que le but de cet échange d’informations était de dire la vérité. Si nous devons échanger des mensonges, alors je vais dire que Tommy Brewster est un cousin que j’avais perdu de vue. Et est-ce que cela nous avancera à quelque chose ?

Je déteste parler à des gens qui sont aussi sarcastiques que moi, même si elle n’avait bien sûr pas tort. Je me trémoussai de plus belle. Ce n’était pas une question à laquelle je pouvais répondre sans être spécifique et pas à moins de faire entrer Lugh dans le tableau, ce à quoi je ne tenais pas.

— Très bien, dis-je. Ce n’est pas vraiment un ami. C’est difficile de lui coller une étiquette précise. Je suppose qu’on peut dire que c’est un allié.

J’eus l’impression que Shae y comprit plus de choses que je l’espérais mais c’était trop tard pour revenir en arrière. Elle acquiesça, satisfaite.

— Tommy Brewster est un associé en affaires. Rien de plus, rien de moins.

Posez une question vague, vous aurez une réponse vague. Un point pour Shae.

— Quel genre d’arrangement en affaires avez-vous ?

— Pourquoi une exorciste a-t-elle besoin d’un allié démon ?

Ouais, je voyais tout à fait comment les choses pouvaient très mal tourner si je ne réfléchissais pas suffisamment avant de répondre. Je ne savais pas de quelle manière Shae pouvait utiliser les renseignements que je lui donnerais, mais je ne tenais pas à le savoir.

La meilleure stratégie à adopter, c’était de lui communiquer ce qu’elle savait déjà.

— Je me suis fait pas mal d’ennemis dans le cadre de mon boulot et la plupart d’entre eux sont des démons. J’ai besoin d’avoir un démon de mon côté si je veux atteindre un âge respectable.

C’était la vérité, bien qu’incomplète. Shae me regarda avec une expression qui flirtait avec le ressentiment.

— Tu as ce que tu mérites. Tu t’en tiens à cette réponse ?

J’affrontai son regard en essayant de projeter l’image d’une femme qui n’avait rien à cacher.

— J’ai répondu à ta question et je t’ai dit la vérité. Que veux-tu de plus ?

Shae ricana.

— Très bien. Voici en quoi consiste mon arrangement avec Tommy : il me donne de l’argent pour que je ne parle pas. (Et comme je lui jetai un regard furieux, elle ajouta :) J’ai répondu à ta question et je t’ai dit la vérité. Que veux-tu de plus ?

Ouais, j’étais bien dans la merde. J’aurais bien eu besoin des talents d’avocat de Brian. S’il avait été près de moi à me dicter mes réponses, j’aurais pu répondre à n’importe quelle question, en détail, sans jamais rien dévoiler. J’envisageai un instant de laisser tomber et de demander à Adam d’interroger Shae, mais je savais déjà que cela ne fonctionnerait pas. Shae coopérait parfois avec Adam parce qu’elle n’avait pas le choix et Adam coopérait avec elle parce qu’il avait besoin de son aide pour arrêter des démons illégaux. Cela ne voulait pas dire qu’ils coopéreraient quand ils n’y étaient pas obligés et il était difficile d’omettre la profonde animosité entre eux.

— Je suppose que te demander de dire toute la vérité serait très optimiste de ma part, n’est-ce pas ? dis-je pour gagner du temps et continuer à réfléchir.

— Dois-je te rappeler que ceci est un marché ? Tu me dis toute la vérité, je te dis toute la vérité. Tu ne me donnes que la partie visible de l’iceberg et…

Ça tombait sous le sens mais je n’étais pas en position de lui livrer toute la vérité.

— Pourquoi veux-tu savoir tout ça de toute façon ?

Je gagnais encore du temps. Elle le savait probablement, mais elle ne me le fit pas remarquer. Je ne m’attendais pas qu’elle réponde mais elle me surprit.

— J’ai réussi à rester dans la Plaine des mortels pendant plus de quatre-vingts ans, dit-elle. (Ce qui évidemment me fit m’interroger sur le nombre d’hôtes qu’elle avait occupés. Son hôte actuel n’avait de toute évidence pas quatre-vingts ans.) S’il y a une chose que j’ai apprise, c’est que l’information est la monnaie la plus estimée partout dans le monde. Et, chose amusante, on ne sait jamais quelles informations vont se révéler utiles dans le futur. Je sais que tu as des ennemis haut placés. Connaître l’histoire qui se cache derrière tout ça peut se révéler complètement inutile pour moi. (Ses yeux scintillèrent.) Ou pas.

C’était cette éventualité qui me faisait hésiter. Qu’oserais-je lui dire ? Avais-je vraiment besoin de savoir ce qu’elle pouvait me confier ? Lugh m’assena un bref coup derrière l’œil, mais qu’est-ce que cela signifiait ? Je me serais sans doute sentie mieux si j’avais pu entendre sa voix dans ma tête, après tout.

Je me concentrai aussi fort que possible sur une question à l’attention de Lugh.

— Est-ce que je dois risquer de révéler certaines choses pour obtenir éventuellement quelques renseignements sur Tommy ? Donne-moi un coup pour oui, deux coups pour non.

Il dut entendre ma question. N’étant pas masochiste, je fus ravie que sa réponse soit « oui ».

— Fais-moi savoir si je suis sur le point de révéler quelque chose que je ne devrais pas.

J’inspirai profondément puis me contraignis à affronter le regard de Shae.

— Très bien, dis-je. Je vais te révéler toute la vérité. Mais les informations que tu as sur Tommy ont intérêt à valoir le coup.

— Marché conclu. (Elle se pencha en avant, avec une expression proche de celle du désir.) Alors dis-moi quelle est ta relation avec Adam White ?

— Comme je te l’ai dit, nous sommes alliés. C’est un des lieutenants de Lugh et je préférerais de beaucoup voir Lugh sur le trône plutôt que Dougal.

Shae était plus forte que moi quand il s’agissait de dissimuler ses émotions, mais elle ne put cacher complètement sa surprise. J’aurais pensé qu’elle avait été mise au courant de mon implication dans la guerre de sécession des démons quand les partisans de Dougal l’avaient payée pour garder Brian en otage. Je dus me rappeler une fois encore que c’était une mercenaire. Une mercenaire ne pose pas de questions quand le prix est assez élevé.

— Tu as l’air surprise, lui dis-je, espérant souligner que j’avais l’avantage. Tu ne vas pas me faire croire que tu n’étais pas au courant de tout ça ?

Elle se reprit plus vite que je l’aurais cru. Le sourire était de retour, cruel et froid.

— Ça ressemble à une autre question.

Je lui jetai un regard mauvais.

— Dis-moi simplement quel est ton accord avec Tommy Brewster. Il est tard, je suis fatiguée et je veux rentrer chez moi.

Elle m’adressa un long regard perçant et scrutateur avant de répondre. Elle essayait certainement de déterminer si elle pouvait me soutirer davantage et avait dû parvenir à la bonne conclusion.

— Disons que je lui sers d’entremetteuse, dit-elle avec une vilaine torsion des lèvres qui aurait pu ressembler à un sourire.

— Hein ? fis-je de manière très intelligente.

Shae se mit debout et je crispai les mains sur le Taser. Elle leva les bras, les sourcils arqués.

— Allons, allons, dit-elle. Ne me tire pas dessus avant que je te donne les renseignements que tu veux.

Je gardai le Taser pointé sur elle en me levant à mon tour.

— Tu peux tout aussi bien parler assise.

— Si tu veux la réponse à ta question, tu dois me suivre pour que je puisse te montrer. Tu peux garder ton Taser si je te rends nerveuse.

Son ton condescendant suggérait que j’étais une mauviette de vouloir garder mon arme, mais je n’en avais pas du tout honte. C’était une mesure de sécurité tout à fait pratique.

Je laissai une bonne distance entre nous quand Shae se dirigea vers la porte, les mains toujours en vue. Quand elle s’engagea dans le couloir, je la suivis.

Sans être certaine de l’endroit où nous allions, je ne fus pas surprise quand elle prit la direction de la porte au bout du couloir, celle qui menait à « d’autres bureaux » et qui s’ouvrit avec un « bip » quand Shae fit glisser sa carte sur le lecteur. Je dus me rapprocher pour attraper la porte avant que celle-ci claque derrière Shae.

Il y avait en effet d’autres pièces ressemblant à des bureaux derrière cette porte. Mais, plus important encore, il y avait là un énorme poste de sécurité futuriste que Shae me désigna d’un geste ample.

Sur au moins deux dizaines d’écrans s’affichaient différentes images du club. Et pas toutes de la salle principale. Mon estomac se retourna quand mon regard tomba sur un des écrans et que je compris ce que les deux hommes et la femme nus étaient en train de faire. Je détournai le regard pour tomber sur une image encore plus troublante : une femme, ne portant rien d’autre qu’une cagoule noire qui couvrait toute sa tête à l’exception de sa bouche, était agenouillée, les mains menottées dans son dos pendant qu’elle pratiquait une fellation sur l’homme sans cou qui avait essayé de m’accoster l’autre nuit. Je fis de mon mieux pour ne pas réagir.

Shae tapota un autre écran pour attirer mon regard. Et je vis ce bon vieux Tommy Brewster remuant du cul pendant qu’il baisait une jolie jeune femme attachée les membres écartés sur le lit. D’après l’expression de cette dernière, on devinait qu’elle n’était pas là contre son gré. Comme si cela ne me suffisait pas, deux autres jeunes femmes, toutes les deux blondes et nues, l’air apparemment pressées, regardaient le spectacle en attendant de toute évidence leur tour.

Mes talents d’actrice étant ce qu’ils étaient, je n’essayai même pas de dissimuler mon dégoût et ma gêne. Je concentrai plutôt mon regard sur le visage de Shae en essayant de faire abstraction de ma vision périphérique.

— Il n’y a pas des lois qui interdisent de filmer des gens en train de faire l’amour sans qu’ils le sachent ?

Shae sourit.

— Qu’est-ce qui te fait dire qu’ils ne le savent pas ?

La plupart des clients de ce club me trouveraient certainement prude à l’extrême. Mais je savais aussi qu’il y avait peu de chances qu’ils soient désinhibés au point de se moquer d’être filmés en plein acte. Que pouvais-je bien y faire ? Je soupirai en parvenant à l’inévitable conclusion : rien.

Je voulus croiser les bras sur ma poitrine, mon geste défensif préféré, mais cela m’aurait obligée à bloquer la main armée du Taser et je n’y tenais pas.

— Quel rapport avec ma question ? demandai-je. Je savais déjà que Tommy était un peu chaud et je m’en fiche.

— Je t’ai dit que j’étais son entremetteuse, répondit Shae. (Une fois encore, elle tapota l’écran, trois fois, une fois pour chaque fille.) J’ai choisi ces filles pour lui.

Je secouai la tête.

— Pourquoi a-t-il besoin que tu choisisses ses filles ?

— Ces filles sont des clientes régulières. De vraies groupies. Elles feraient tout ce qu’un démon leur demanderait.

Je déteste penser à la tête que j’ai pu faire.

— Je ne vois toujours pas le rapport.

— Comme tu l’as sans doute remarqué, je suis dans le business des renseignements. Entre autres choses.

Je fis un signe de tête pour l’encourager à poursuivre.

— Alors disons que je sais beaucoup de choses au sujet de mes clients réguliers. Des choses qu’ils ne partageraient pas forcément avec un coup d’un soir.

— Comme quoi ? demandai-je, ne comprenant toujours rien de ce qu’elle racontait.

— Comme, par exemple, leur histoire médicale. Tommy est tout particulièrement intéressé par des filles qui viennent d’une famille touchée par le cancer. Et il apprécie aussi celles qui ne sont pas très à cheval sur la contraception.

— Bon sang… ? marmonnai-je. Pourquoi ? demandai-je plus fort.

— Lequel de ces écrans t’excite le plus ? demanda Shae en balayant d’un geste du bras l’ensemble des moniteurs qui montraient les salles de jeu malsaines de l’Enfer. Et ne me dis pas qu’aucune d’entre elles ne t’excite, parce que je saurai que tu mens.

J’étais sur le point de protester d’un air indigné quand je pris conscience que c’était là sa question. Je compris également que je n’avais pas besoin qu’elle me dise pour quelle raison Tommy choisissait ces filles en particulier. J’étais sûre de pouvoir deviner par moi-même.

Pour des raisons que je ne saisissais pas, Tommy poursuivait le projet d’élevage de Houston. Seulement il prélevait ses gènes dans la population humaine ordinaire.

Je secouai encore la tête. Je n’avais aucune idée de ce qu’il préparait. Je n’avais aucune idée de ce qui allait arriver à ces gonzesses si elles tombaient enceintes. Ni ce qui arriverait à leurs enfants. Ce que je savais, c’est que rien de tout ça ne pouvait être bon pour l’espèce humaine.

Détournant mon regard des moniteurs, j’adressai à Shae mon plus bel air méprisant.

— Si je ne craignais pas qu’on m’ait vue entrer ici, je jure que j’aimerais te balancer une décharge pour t’exorciser si vite que…

— Tu perds ton temps, ma chérie. Je crois que notre entrevue est terminée, n’est-ce pas ?

Je ne pouvais la contredire.

Confiance Aveugle
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