Chapitre 21

 

 

J’aurais dû me douter que Brian n’allait pas rentrer chez lui comme un bon petit avocat. J’espérais qu’il restait dans le coin pour les raisons qu’il avait mentionnées – à savoir, m’apporter son aide – et non parce qu’il ne me faisait pas confiance et pensait que je n’allais pas appeler Adam. Même si je n’avais pas à lui jeter la pierre en matière de manque de confiance.

Je détestais l’idée d’appeler Adam alors que Dom et lui étaient au beau milieu d’une crise conjugale… En supposant qu’Adam avait tenu parole et qu’il avait fait part à Dom de ladite crise. Mais les filles de Claudia Brewster ne pouvaient attendre que le bateau de l’amour vogue sur des flots calmes, aussi je décrochai le téléphone et composai le numéro d’Adam.

Personne ne répondit et le message que j’avais à délivrer n’était pas de ceux que je pouvais laisser sur un répondeur. Adam devait être au bureau. J’appelai son téléphone portable, mais mon appel fut directement dirigé sur sa messagerie. Je me mordis la lèvre. Je me sentais ridicule, et même peut-être un peu hypocrite, de m’inquiéter pour Adam. S’il y avait une personne capable de se débrouiller seule, c’était bien lui. Je lui laissai un message neutre en lui demandant de me rappeler rapidement avant d’essayer son numéro au bureau. Je n’aimais pas appeler son poste. Quelle que soit la personne qui répondait au téléphone, je tombais toujours sur un con – Adam inclus, maintenant que j’y réfléchissais –, mais j’appelai quand même.

— Il a pris un congé maladie, déclara l’homme qui décrocha.

Il s’exprimait avec une voix nasillarde qui transformait tout ce qu’il disait en un gémissement strident. Mais au moins il était poli.

J’écartai le combiné de mon oreille en regardant la chose comme si elle était responsable des conneries que je venais d’entendre.

— C’est un démon, dis-je avec une patience exagérée quand j’admis que le téléphone n’y était pour rien. Les démons ne sont pas malades.

Un des avantages de la possession, même s’il fallait pour cela abandonner toute sa vie… cher payé d’après moi.

— C’est vrai, geignit l’officier de police, mais ils ont des jours de congé maladie. Et le directeur White en a pris un. Je vais vous basculer sur sa messagerie.

— Non, ce n’est pas… (Mais il avait déjà effectué le transfert. Comme je le disais, des cons, tous.)… nécessaire.

Je finis par raccrocher. Ce n’était pas vraiment le moment qu’Adam disparaisse dans la nature. Il était probablement chez lui mais refusait de répondre au téléphone. Je ne tenais vraiment pas à me rendre chez Adam. Si Dom et lui se trouvaient dans la terrible chambre noire, ils n’entendraient même pas la sonnette.

Pourtant, je n’avais pas d’autre choix et le temps pressait. Rien ne nous assurait que les kidnappeurs prévoyaient de libérer les fillettes, mais, comme dans toutes les affaires de disparition, les chances de les retrouver vivantes étaient les plus élevées au cours des premières quarante-huit heures.

— On va se balader, dis-je à Brian, qui me suivit sans poser de questions.

Quand nous montâmes dans ma voiture, je découvris que j’avais un pneu à plat : un autre problème dont je n’avais pas besoin en ce moment. Je n’avais pas le temps de le changer alors nous prîmes un taxi jusque chez Adam. L’heure de pointe était passée et il ne nous fallut pas longtemps pour arrêter une voiture, puis, comme son chauffeur conduisait approximativement à la vitesse de la lumière, nous arrivâmes chez Adam en un rien de temps. En jetant un coup d’œil vers le petit parking de l’autre côté de la rue, je vis que les voitures de Dom et d’Adam y étaient garées.

En parfait gentleman, Brian paya le taxi – une bonne chose car je n’avais pas d’argent sur moi – et nous grimpâmes ensemble les marches qui menaient à la porte d’entrée. J’appuyai sur la sonnette, mais je n’entendis rien. J’appuyai plus fort. Toujours rien. Super ! Une sonnette cassée réduit les chances qu’on m’entende de 20 à 0 %.

Je me saisis du heurtoir et assenai plusieurs coups contre la porte. Le bruit était fort mais, au bout d’une bonne minute d’attente, personne ne vint nous ouvrir. J’essayai encore, avec le même résultat.

— Je suppose qu’ils sont absents, dit Brian.

— Leurs voitures sont garées en face.

Il haussa les épaules.

— Tu sais, il est possible de se rendre à certains endroits dans cette ville sans prendre sa voiture.

— Rappelle-toi que c’est moi la petite maligne et que toi, tu es le type gentil.

Il sourit.

— Oh oui, désolé, j’avais oublié.

Je roulai les yeux puis descendis les marches avant de me tordre le cou pour regarder en l’air. Il ne semblait pas y avoir de lumière dans la maison, mais on était au beau milieu de la journée.

— Tu ne saurais pas forcer une serrure, par hasard ? demandai-je.

Brian me regarda comme si j’étais folle. Ce fut à mon tour de hausser les épaules.

— Ça ne mange pas de pain de demander.

D’un moment à l’autre, Brian allait décider de laisser tomber Adam et j’étais certaine qu’il suggérerait d’appeler la police. Je ne pouvais pas le permettre.

— Si tu me laisses émerger, je pourrai enfoncer la porte, me murmura Lugh à l’oreille.

J’hésitai. Le fait que je puisse l’entendre signifiait que mes défenses étaient déjà faibles. Assez faibles pour laisser volontairement Lugh prendre le dessus ? Un frisson dévala mon dos avant de repartir en sens inverse. Saisissant Brian par le bras, je le traînai au coin de la maison. Je ne voulais pas qu’on nous voie fouiner. La dernière chose dont j’avais besoin, c’était qu’un bon samaritain nous dénonce comme des rôdeurs suspects.

— Allons nous asseoir un moment, dis-je en désignant d’un mouvement du menton l’arrêt de bus à quelques mètres de là.

Un car le quittait justement et le banc était libre.

— D’accord, dit lentement Brian, en me regardant d’un air soupçonneux, mais il n’insista pas avant que nous soyons tous les deux assis. Qu’est-ce qu’il y a ?

J’inspirai profondément et fis mon possible pour éviter de paniquer.

— Je vais essayer de laisser Lugh prendre le contrôle pour qu’il enfonce la porte.

L’expression de surprise de Brian fut presque comique.

— C’est ridicule ! Ils ne sont certainement pas chez eux et je doute qu’Adam apprécie que tu vandalises sa maison.

— Pas moi, Lugh. Et je suis sûre qu’ils sont chez eux.

— Ils ne peuvent pas être là. Tu as frappé assez fort pour réveiller un mort.

Brian était déjà venu dans la maison d’Adam. Il était même monté à l’étage, mais je ne savais pas si la porte de la chambre noire avait été ouverte.

Je m’éclaircis la voix.

— Quand tu étais dans la maison d’Adam, est-ce que tu as vu le…

Je ne savais pas comment appeler ça. Je supposai que le terme adéquat était « donjon » mais je ne parvenais pas à le prononcer. Je m’éclaircis de nouveau la voix.

— Est-ce que tu as vu la chambre noire ?

— La « chambre noire » ? demanda Brian d’une voix qui me laissa deviner que la réponse était « non ».

Je regardai fixement le trottoir en essayant de chasser le souvenir de cette fichue chambre.

— Ouais. En haut de l’escalier. C’est là qu’Adam garde ses accessoires euh… SM.

Je n’avais jamais raconté à Brian ce qu’Adam m’avait fait dans cette chambre, ce que je l’avais laissé me faire. Je ne voulais pas que Brian se sente coupable pour l’enfer que j’avais traversé afin qu’Adam accepte de m’aider à le sauver lui.

— Et alors ? demanda doucement Brian.

— Je pense qu’ils y sont en ce moment. Et je pourrais tirer au canon dans la porte d’entrée qu’ils ne prendraient pas la peine de venir jeter un coup d’œil.

— Oh, fit Brian.

Heureusement, il en resta là.

— Souhaite-moi bonne chance, marmonnai-je avant de soupirer et d’essayer de me détendre.

Les paupières closes, je visualisai les portes de mon esprit qui s’ouvraient. Le hurlement d’une sirène brisa ma concentration et j’ouvris les yeux pour voir une voiture de police descendre en vrombissant une rue transversale.

Je fermai de nouveau les paupières et m’ordonnai de me concentrer. Ce qui dura environ dix secondes. Puis ce fut autour d’une pimpmobile[1] de passer devant nous, la stéréo hurlant du rap au point de faire vibrer le trottoir. Après quoi je fus distraite par le grondement et la puanteur d’un bus roulant en sens inverse.

Rien que des bruits urbains typiques. Des sons que j’ignore facilement tous les jours de la semaine. Mais mon esprit se servait de chacun d’eux comme d’un prétexte pour ne pas faire ce que je lui demandais. Cette fois, je maudis la force des défenses mises en place par mon inconscient. J’essayai de me rappeler que la vie de deux fillettes était en jeu mais, bien que le stress ait auparavant érodé les barrières de mon esprit, cela ne fonctionnait plus maintenant.

Désolée, Lugh, pensai-je. Je ne sais simplement pas comment me laisser aller.

Il ne me répondit pas, ce qui tombait bien.

À regret, j’ouvris les yeux.

— Je n’y arrive pas, dis-je à Brian.

Il m’adressa sans doute un regard de reproche mais, comme je contemplai le vide devant moi, je ne le vis pas.

— Alors quel est le plan « C » ? demanda-t-il.

J’étais sur le point d’admettre que je n’avais pas de plan « C », quand je me rendis compte que c’était faux.

J’avais essayé de laisser Lugh prendre le contrôle parce que j’avais besoin de la force d’un démon pour enfoncer la porte d’Adam. Il n’était pas nécessaire que ce soit la force de mon démon.

— Je vais appeler la cavalerie, dis-je, même si dans ce cas précis la cavalerie portait un uniforme bien noir.

M’efforçant de ne pas serrer les dents trop fort, je sortis mon téléphone de mon sac et appelai Raphael.

— Morgane ou Lugh ? demanda-t-il en décrochant.

Je fus sérieusement tentée de répondre qu’il s’agissait de Lugh, pensant que Raphael serait plus enclin à nous aider s’il croyait recevoir des ordres de son roi. Je réussis à résister à la tentation.

— C’est Morgane, dis-je. J’ai besoin de ton aide.

— Où es-tu ? Tu as des ennuis ?

L’inquiétude dans sa voix aurait pu être agréable si elle m’avait été destinée.

— Pas plus que d’habitude, lui assurai-je. Mais j’ai quand même besoin de ton aide. Dans combien de temps peux-tu être au coin de la 22e et de Walnut ?

Son immeuble était à cinq blocs de là, aussi je supposai qu’il ne lui faudrait pas longtemps.

— Je pars tout de suite, dit-il, et je pus entendre ses pas pressés. Je serai là dans dix minutes maximum.

Il raccrocha avant que j’aie le temps de le remercier. Non pas que j’avais prévu de le faire, pas avant qu’il m’ait vraiment aidée. Il serait un peu en rogne quand il découvrirait ce que j’attendais de lui. Et pour quelle raison. De toute manière, je doutais qu’il s’empresserait de jouer le chevalier blanc et de sauver ces fillettes. En fait, il péterait sûrement un plomb quand il apprendrait ce que j’avais fait.

Malgré tous ses défauts, je ne pensais pas que Raphael apprécierait l’idée qu’on fasse du mal à ces enfants. Sa moralité était sérieusement pervertie, mais sûrement pas complètement perdue. Mais il considérerait sûrement que protéger Lugh était une plus grande priorité et que tenter de sauver ces fillettes mettait de toute façon Lugh en danger. Je devais juste le convaincre de défoncer cette porte avant qu’il sache pour quelle raison.

J’étais en train de préparer ma négociation lorsque mon téléphone sonna. Quand je vis que l’appel provenait d’Adam, je ressentis un mélange de soulagement et d’agacement.

Je répondis en tremblant presque de fureur.

— N’y a-t-il pas une sorte de règle qui veut que tu restes joignable à toute heure ? demandai-je.

Dire « bonjour » est très surfait.

— Je le suis, répondit-il simplement.

— Ça fait des heures que j’essaie de te joindre !

J’exagérais, mais j’avais vraiment eu l’impression que c’était le cas. Je l’entendis presque hausser les épaules.

— Ils ont mon numéro d’urgence au bureau.

Je pris note de passer à son bureau afin de remercier le connard geignard qui avait répondu au téléphone.

— Où es-tu ? Il faut que je te parle. Maintenant.

— Je suis chez moi. Je passe te voir dans vingt minutes.

— Non. Je serai chez toi dans deux minutes. Je suppose que tu ne m’as pas entendue frapper à la porte.

— Oh, c’était toi ? (Il s’éclaircit la voix.) Désolé, j’étais occupé.

— J’en suis sûre, marmonnai-je. Comment va Dom ?

Adam hésita.

— Il va bien, dit-il finalement, mais sa voix était étrange.

Je voulus lui demander ce qui n’allait pas, mais il était inutile de poursuivre la discussion au téléphone alors que j’étais au coin de la rue.

— Peu importe, dis-je en sachant que j’allais le passer au grill de l’interrogatoire dans deux minutes. J’arrive. Et pour que tu sois au courant, Brian et Raphael seront avec moi.

— Fantastique, dit-il avec aigreur. Je suis tout à fait d’humeur pour une petite fête.

— Ne t’en prends pas à moi ! Si tu avais répondu au téléphone quand je t’ai appelé, tout aurait été beaucoup plus simple.

— Peu importe, dit-il d’une voix bizarre, et je supposai qu’il essayait d’imiter la mienne.

Son imitation était loin d’être parfaite. Comme je ne savais quoi lui dire d’autre – du moins rien qui soit susceptible de calmer le jeu –, je me contentai de couper la communication et d’attendre Raphael.

Ce dernier avait dû s’inquiéter même si je l’avais informé que je n’avais pas plus d’ennuis que d’habitude. Il arriva en moins de temps qu’il m’aurait fallu pour couvrir la moitié de la même distance. Des gens s’étaient regroupés à l’arrêt de bus et, comme de bons citadins, ils agissaient comme s’ils étaient seuls. Mais je savais fort bien que nous ne pouvions nous permettre de rester à portée de voix. Aussi, quand Raphael se dirigea à grands pas vers moi avec l’évidente intention de me cuisiner, j’agitai mon pouce en direction du coin de la rue.

— On va chez Adam, dis-je en me mettant en marche avant qu’il ait une chance de répondre.

Je sentais son regard insistant rivé sur ma nuque, mais je fis de mon mieux pour ne pas en tenir compte. Brian marchait à côté de moi et, quelques secondes plus tard, j’entendis Raphael presser le pas pour nous rejoindre.

— Tu vas me dire ce qui se passe ? me demanda-t-il en venant à ma hauteur.

Je regrettais que l’appel d’Adam ne me soit pas parvenu quelques minutes plus tôt. J’aurais ainsi pu me passer de la compagnie de Raphael mais, si ce dernier devait devenir un des conseillers de Lugh, il valait mieux qu’il soit présent. En outre, s’il avait suivi les ordres de son frère, il avait peut-être recueilli des informations supplémentaires concernant le projet Houston. Et ces informations nous permettraient d’avancer dans notre enquête.

— Quand on sera à l’intérieur, répondis-je.

J’avais toujours l’impression que Raphael forait mon crâne avec ses yeux, mais je refusai de confirmer mes soupçons en regardant dans sa direction.

Adam nous attendait. Je n’eus même pas à frapper. Il donnait l’impression de s’être habillé à la hâte. Son tee-shirt était enfoncé n’importe comment dans son jean, il était pieds nus et ses cheveux étaient ébouriffés. Il regarda longuement Brian et Raphael, puis ouvrit la porte en grand pour nous laisser entrer.

Quand Dominic jouait la maîtresse de maison, toutes les conversations avaient lieu dans la cuisine et étaient généralement accompagnées d’un repas. Mais il n’y avait aucun signe de Dominic pour le moment et Adam nous conduisit dans le salon. J’espérais que Dom était à l’étage, plongé dans un bienheureux sommeil postcoïtal. Pourtant, Adam avait l’air assez tendu et je m’inquiétais de ce que cela pouvait signifier.

Même si je crevais d’envie de prendre des nouvelles de Dom, j’avais des questions plus urgentes à régler. Je racontai donc à Adam et Raphael ce qui s’était passé.

Je ne fus pas surprise par le long silence qui suivit mon récit. J’aurais aimé pouvoir lire leurs pensées comme Lugh lisait les miennes. Et j’aurais aimé qu’Adam soit assez flic dans l’âme pour vouloir aider les filles de Claudia, même si se mouiller pour elles pouvait desservir les intérêts de Lugh. Après tout, Lugh ne semblait pas émettre d’objections à l’idée d’élaborer un plan de sauvetage. Ou si c’était le cas, il n’était pas assez stupide pour penser qu’il pouvait passer outre et me convaincre de rester en dehors de cette affaire.

Le silence s’éternisait et, comme une imbécile, je m’empressai de le rompre.

— J’ai tout découvert ce matin, dis-je en me tortillant, sachant très bien que personne n’allait aimer entendre ce que je m’apprêtais à leur avouer. Tout ce que je savais hier soir, c’était que Claudia m’avait virée et que des hommes de main ont pensé que me passer à tabac allait me faire changer d’avis.

Adam m’adressa un de ses regards noirs.

— Qu’est-ce que tu as fait ? demanda-t-il.

J’essayai de ne pas me ratatiner à l’idée de ce qu’il me dirait quand il saurait.

— Je suis… euh… passée aux 7 Péchés Capitaux.

Brian eut l’air vaguement malade à la mention du nom du club. Raphael semblait inquiet ; Adam était furieux, comme prévu. Je me demandai si parler vite et fort allait empêcher les garçons de me dire ce qu’ils pensaient de moi. Cela ne coûtait rien d’essayer.

— J’ai pensé que Shae en savait plus qu’elle voulait bien l’avouer. J’ai donc eu une petite discussion avec elle.

Adam avait l’air d’avoir envie de me tuer. Il était si furieux que je perçus dans ses yeux la lueur de son démon. Je continuai à parler, même si mon instinct de survie me suggérait de prendre mes jambes à mon cou. Je pense que le regard d’Adam est capable de tuer.

— J’ai découvert que Tommy la payait pour qu’elle lui procure des femmes.

Cela surprit suffisamment Adam pour ternir la lueur dans ses yeux.

— Répète ça.

On respirait mieux dans cette pièce tout d’un coup. Je poussai un soupir de soulagement.

— Elle est apparemment en mesure de rassembler pas mal d’informations sur ses clients réguliers. Tommy voulait qu’elle lui trouve des femmes issues de familles de cancéreux. Et il semblerait qu’il choisisse en particulier celles qui ne sont pas très regardantes sur leur contraception.

J’observai Raphael du coin de l’œil pour déceler une réaction. Malheureusement, contrairement à moi, il est capable de rester impassible.

— Shae ne sait pas pourquoi, mais je peux deviner. (Cette fois, je fis face à Raphael.) Ça te dirait de me donner ta théorie ? lui demandai-je.

Il haussa une épaule avec élégance.

— Je n’ai rien appris de plus depuis notre dernière discussion, si c’est la question que tu me poses. Mais il semble assez évident que Tommy essaie de semer ses gènes. Le projet Houston a mieux réussi que ce que je croyais, ajouta-t-il d’un air pensif. Tommy doit être un spécimen de grande valeur.

— Ce n’est pas un spécimen, rétorquai-je. C’est un être humain. Et ne me raconte pas de conneries comme quoi ce n’est pas un humain sous prétexte que tes démons ont bidouillé son A.D.N.

Raphael leva les mains dans un geste d’innocence.

— Ce n’est pas ce que j’allais dire. Et peu importe comment on le qualifie. Ce qui importe, c’est que le projet Houston a réussi au point que ses responsables souhaitent transmettre les gènes de Tommy dans la population humaine.

— Tu es sûr de ça ? demanda Brian, nous surprenant tous, je crois.

— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demandai-je en me tournant vers lui.

— Je m’interroge juste… Ils gardent leurs cobayes humains captifs quelque part dans un laboratoire. Même s’ils les détiennent dans les conditions les plus inhumaines, ils doivent avoir besoin de pas mal d’espace pour obtenir une population d’élevage viable. Peut-être que, maintenant qu’ils y sont parvenus, ils ont besoin d’introduire un peu plus de diversité génétique dans leur projet.

Raphael acquiesçait.

— Il se peut que tu aies raison. Il est certain que nous avons rencontré ce genre de problème au Cercle de guérison. Nous avons essayé de manipuler autant que possible l’A.D.N. pour contrer les effets de la consanguinité ; mais c’est devenu de plus en plus difficile à chaque nouvelle génération.

Je retroussai la lèvre, dégoûtée.

— Alors tu veux dire qu’ils envoient Tommy jouer les tombeurs et que, très probablement, si une de ces filles tombe enceinte, elle va disparaître subitement sans qu’on n’entende plus jamais parler d’elle.

C’était déjà assez atroce que les démons élèvent des humains comme des rats de laboratoire… Au moins, ces humains ne connaissaient pas d’autre vie. Mais enlever une innocente gonzesse enceinte pour la retenir dans une sorte de laboratoire d’élevage dirigé par des cinglés… Je frissonnai et adressai à Raphael un autre regard de dégoût. Il serra les lèvres, incapable de répondre à mes accusations silencieuses.

— Et à propos du cancer ? demandai-je. Pourquoi Tommy veut des filles issues de familles ayant été touchées par le cancer ?

— Je ne sais pas, répondit Raphael, mais je peux essayer de deviner. Il se peut qu’ils essaient d’exploiter et d’accélérer la division rapide des cellules provoquée par le cancer. S’ils parviennent à accélérer ce processus, alors il est possible que les cellules guérissent également plus vite. (Il haussa les épaules.) C’est un peu ce que nous faisons quand nous guérissons nos hôtes, en fait. Seulement, nous sommes limités par les capacités du corps humain.

Je secouai la tête.

— Tu te rappelles quand tu essayais de m’expliquer que les expériences pour développer des hôtes plus résistants devaient bénéficier à ces hôtes ?

Raphael se dandina en évitant mon regard.

— Je peux me tromper. J’essaie juste de comprendre ce que le cancer vient faire là-dedans.

— Peu importe ! Ce ne peut être bon pour personne d’augmenter génétiquement les chances d’avoir le cancer. Nous allons exorciser ce satané démon.

Je me fichais complètement que ce soit illégal. Même si c’était la dernière chose que je devais faire, j’allais expédier cette créature au Royaume des démons. Ce serait tout aussi bien si je pouvais le tuer. Pourtant, même si je désapprouvais les choix de vie de Tommy, je n’étais pas impitoyable au point de le brûler vif pour tuer son démon.

Adam secoua la tête.

— Non, on ne l’exorcise pas.

D’un bond, je fus sur pieds, une réponse indignée aux lèvres. Brian, qui était assis à côté de moi sur le canapé, m’attrapa par le bras et m’obligea à me rasseoir. Je fus tellement surprise que je me contentai de rester assise à le regarder.

— Je doute que bondir dans tous les sens et brailler à tue-tête nous soient d’une grande aide, déclara Brian raisonnablement.

Loin de moi l’envie d’être raisonnable quand j’étais hors de moi.

Je ne savais plus contre lequel des deux j’étais le plus en rogne, Brian ou Adam. Je choisis Adam. Toujours assise, je me préparais à lui rentrer dedans, mais celui-ci me battit à plates coutures.

— Si Tommy se retrouve soudain sans démon, qui sera le suspect numéro un ? demanda-t-il en ayant l’air aussi raisonnable que Brian.

Je serrai les dents. Je savais déjà tout ça et j’avais utilisé le même argument avec Claudia. Mais bon sang, je ne pouvais pas rester assise sans rien faire ! Je devais empêcher ce démon de transformer les femmes en poulinières portant des enfants criblés de cancers. Et je devais empêcher ses potes de faire du mal aux filles de Claudia.

Mon cœur battait au rythme de ma colère et je plantai les ongles dans mes paumes en réfléchissant à un argument qui convaincrait Adam et compagnie qu’on pouvait pratiquer sans crainte un exorcisme illégal. Après avoir gentiment persuadé le démon de Tommy de nous dire où se trouvaient les fillettes, bien entendu.

— Alors il ne doit peut-être pas se retrouver sans démon, déclara Raphael.

Nous nous tournâmes tous vers lui. Son expression était neutre mais je décelai une étincelle d’excitation chez lui.

— Explique-toi, l’encouragea Adam.

Mais j’étais certaine de savoir ce que Raphael s’apprêtait à nous proposer et j’eus du mal à l’entendre tant mon cœur se mit à battre subitement fort.

— J’ai accepté de quitter Andrew si je me sentais assez en sécurité pour le faire et si nous pouvions trouver un autre hôte. Je pense que Lugh et moi sommes arrivés à une forme de paix et que Morgane ne tuera pas mon hôte juste pour le plaisir de me renvoyer au Royaume des démons. C’est pourquoi je pense que Tommy pourrait remplir les conditions requises pour m’héberger. Après tout, si on considère ses préjugés assez extrêmes, il ne doit pas se sentir à l’aise avec son démon actuel. De plus, il est fort probable qu’il sorte indemne d’un exorcisme.

Tout le monde se tut. Je ne sais pas pour les autres, mais mon esprit jacassait sans cesse. Je pouvais sauver mon frère et la horde de poulinières de Tommy du même coup. Tout ce que j’avais à faire, c’était d’abandonner un fanatique de Colère de Dieu qui me brûlerait avec joie sur le bûcher à la première occasion.

Brian posa une main réconfortante dans mon dos et, malgré la présence des autres, j’acceptai ce contact. Il y avait tant de problèmes que je pouvais résoudre uniquement en laissant Raphael posséder Tommy. Pourtant ma conscience regimbait. J’aurais voulu hurler de rage et de confusion. Puis ce fut au tour d’Adam de faire empirer les choses.

— Il y a un autre démon pour lequel nous cherchons à trouver un hôte, dit-il.

Je ne pus retenir un grognement.

Je pris ma tête devenue trop lourde dans mes mains. C’était injuste ! Bien sûr que j’étais une accro du contrôle, mais je ne voulais contrôler que ma vie. Hors de question d’avoir à prendre des décisions vitales pour Andrew, Tommy ou Dominic. Pourtant, même la tête entre les mains, je ressentais le poids des attentes de chacun.

Je ne sais si c’était juste parce que j’étais l’hôte de Lugh, ou parce que je jouais naturellement les chefs mais, d’une manière ou d’une autre, ces trois hommes forts, assurés, m’avaient cédé les rênes. Comment pouvais-je prendre une décision pareille ?

— Lugh ? implorai-je. Un petit conseil, peut-être ?

Bien sûr, il ne me répondit pas. Soit lui aussi considérait que cette décision me revenait, soit mon inconscient avait de nouveau consolidé ses défenses.

— J’ai dû manquer un mémo, dit Raphael, interrompant ma séance d’apitoiement. Quel est l’autre démon qui a besoin d’un hôte ?

J’avais oublié que Raphael n’était pas au courant de la décision de Lugh d’appeler Saul sur la Plaine des mortels. Heureusement, Adam me sauva de l’embarras.

— Ah, fit Raphael une fois qu’Adam eut fini. Alors mon frère aura Saul et moi-même en guise de conseillers. Eh bien, on ne va pas s’ennuyer. (Il répondit à ma question avant même que j’aie eu le temps d’ouvrir la bouche pour la poser.) Disons seulement que Saul et moi ne nous entendons pas bien et restons-en là, d’accord ? (Adam émit un son entre une toux et un étouffement et Raphael le foudroya du regard.) Et étant donné ton attachement à Dominic, tu ne souhaites pas le retour de Saul. Est-ce que j’ai résumé la situation ?

— Oui.

Sentant à sa voix qu’Adam était tendu, je me redressai pour me tenir prête à intervenir au cas où les choses tourneraient au vinaigre.

— J’aurais cru que tu aurais fait passer ton devoir avant tes désirs personnels, dit Raphael à Adam.

J’éclatai de rire. Je ne pus m’en empêcher, bien que mon rire frôle l’hystérie. Adam et Raphael me jetèrent un regard furieux. Brian, mon roc, me frotta simplement le dos dans un geste de soutien silencieux. Je me mordis la langue pour endiguer l’hystérie.

— Désolée, dis-je. Mais vous devez admettre que Raphael donnant des leçons de morale, c’est fichtrement drôle.

Adam émit un ricanement qui pouvait relever de l’approbation, du rire ou du rot. Raphael s’en tint à son regard de mort. D’accord, peut-être que ce n’était pas drôle pour lui.

— La décision ne revient pas à Adam de toute façon, dis-je en affrontant le regard de Raphael. Mais à Dominic.

— Tu préférerais appeler Saul dans le corps de Tommy, alors qu’il a déjà un hôte manifestement compatible et disponible, et me laisser dans le corps de ton frère ? Et moi qui pensais que tu te souciais de ton frère.

J’étais sur le point de rétorquer avec hargne mais Brian m’imposa le silence.

— Est-ce que nous n’allons pas trop vite ? demanda-t-il. Peut-être devrions-nous nous inquiéter de ce que nous ferons de Tommy une fois que nous aurons exorcisé son démon, et une fois que nous saurons quoi faire au sujet des fillettes.

Ouille. Je n’aurais pas dû donner de leçon d’égoïsme à Raphael après tout.

Adam se détendit visiblement et battit en retraite. Très vite, Raphael fit de même et ma poitrine fut soulagée d’un grand poids. Le problème n’était pas réglé pour autant et j’étais certaine de devoir l’affronter rapidement. Mais « rapidement », ce n’était pas « maintenant ».

Je regardai Adam.

— Est-ce que cela veut dire que tu es d’accord pour gérer cette affaire de manière non officielle ?

Il agita la main d’un air dédaigneux.

— Bien sûr.

— Et dois-je comprendre que tu ne vas pas non plus affirmer que nous devons sacrifier ces enfants pour le plus grand bien ?

— Je ne pense pas que le plus grand bien soit en jeu. Bien sûr, tu vas rester à l’écart de Tommy et de ses copains afin de ne pas mettre Lugh en danger. Je vais voir ce qu’on peut faire pour retrouver ces fillettes.

Je retins la protestation qui tenta de ramper hors de ma bouche. Si Adam croyait que j’allais rester assise sans rien faire et le laisser s’occuper de tout, alors il me connaissait mal.

Il me sourit brusquement, ses yeux brillant d’une étincelle qui n’avait rien à voir avec son démon.

— Je sais que j’ai déjà mentionné ça par le passé, mais ça vaut le coup de le répéter. Tu devrais vraiment travailler ton air impassible. Tu ne me laisses pas d’autre option que de te donner un ordre. Tu vas rester ici pendant que je vais aller discuter avec Tommy, voir si je peux découvrir où ses amis et lui retiennent les fillettes.

Bon sang de bonsoir ! Quand donc allais-je apprendre à contrôler mes expressions faciales ? Je glissai lentement ma main sur le côté, même si mes chances d’atteindre mon Taser, de l’armer, de viser et de tirer avant que quelqu’un m’arrête soient proches de zéro.

J’avais raison. Brian m’attrapa la main et la serra. Il fit passer ça pour un geste de réconfort, mais je savais qu’il avait lu en moi aussi facilement qu’Adam. Je jetai un coup d’œil à Raphael, me demandant si j’avais la moindre chance qu’il prenne ma défense, mais c’était une idée stupide. Raphael n’accepterait jamais que Lugh prenne des risques inconsidérés.

Je secouai ma main pour la libérer et je croisai les bras sur ma poitrine.

— Très bien ! dis-je sur un ton obstiné, même à mes propres oreilles. Je vais rester le cul posé là pendant que tu iras jouer les héros. (Adam m’adressa un regard entendu et je serrai les dents.) Ne me regarde pas comme ça ! J’ai compris. Tu vas m’enfermer.

À côté de moi, je sentis Brian se raidir. Il ignorait certaines choses au sujet de ma relation avec Adam. J’allais devoir lui en parler un jour. Mais pas maintenant.

Raphael se frotta les mains.

— Alors Adam va jouer les policiers. Morgane va se tourner les pouces et je suppose que Brian va reprendre ses activités quotidiennes routinières. Est-ce que j’ai une mission ou bien puis-je faire comme Brian ?

Quelque chose clochait dans la voix de Raphael, mais je n’avais pas l’énergie d’y réfléchir pour le moment.

— Je doute que tu aies envie d’entendre mes recommandations, marmonnai-je, assez fort pour que tout le monde comprenne.

Raphael ne parut pas trouver ça aussi drôle que les autres.

Notre réunion impromptue prit fin. Brian avait été un peu étonné quand il avait découvert qu’Adam comptait m’enfermer mais, au lieu d’implorer la clémence, il proposa de me tenir compagnie. Ce qui aurait pu être amusant, mais j’étais loin d’être d’humeur.

— Tu vas la protéger ? demanda Brian à Adam, ce qui m’énerva, bien sûr.

— Je sais me débrouiller toute seule !

Adam secoua la tête.

— Je n’arrive pas à comprendre comment tu peux réellement avoir envie d’être avec elle.

Heureusement pour lui, il était assez intelligent pour m’avoir confisqué mon Taser. Brian aurait pu s’offusquer qu’Adam m’insulte de la sorte, mais il se contenta de hausser les épaules.

— Je vois ce qui se cache sous ses airs revêches, dit-il avant de tourner le dos à Adam et de me lancer un regard lourd de sous-entendus. Appelle-moi s’il se passe quoi que ce soit ou si je peux être d’une quelconque aide.

J’acquiesçai et Brian partit, visiblement à regret.

La chambre dans laquelle Adam m’enferma jouxtait la terrible chambre noire. La porte de celle-ci était fermée quand Adam m’accompagna et je me demandai si Dominic s’y trouvait. J’étais trop vexée qu’Adam lise si facilement en moi pour poser la question. Et donc, à l’heure du déjeuner, en cette journée où mon instinct me hurlait d’agir, de me battre, de me bouger, je me retrouvai prisonnière dans une confortable petite chambre d’amis avec des grilles en fer forgé aux fenêtres. Encore une superjournée dans la vie de Morgane Kingsley, exorciste.

Confiance Aveugle
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