Avant-propos
Si l’on excepte une ou deux nouvelles publiées dans des Anthologies, ce recueil, entièrement inédit en français, est le premier à paraître dans notre pays.
Algernon Blackwood est pourtant l’un des auteurs fantastiques les plus prisés en Angleterre. Certains critiques n’hésitent pas à le placer entre Edgar Poe et Henry James. « C’est-ce qu’il y a de mieux dans le genre, à notre époque », a dit le critique Howard Spring, à l’occasion du PASSAGE à la T. V. anglaise d’adaptations de ses histoires.
Il est fantastique dans la mesure où seuls les phénomènes supranormaux l’intéressent. Ses récits se situent aux confins d’un autre monde qui pénètre étrangement le nôtre, ou bien avec lequel il a des communications mystérieuses.
Mais il est également sensible au merveilleux scientifique. C’est ainsi qu’il tente d’expliquer les phénomènes extra-sensoriels par l’existence d’une quatrième dimension. Ce concept purement mathématique semble l’avoir particulièrement frappé. Il lui a donné une illustration fantastique et poétique. Cela va même plus loin : ce qu’il en a retenu a donné naissance chez lui à une véritable angoisse, dont il cherche à se libérer, bien plus qu’il n’utilise cette notion comme procédé.
Algernon Blackwood est né en 1869. Il n’a commencé à écrire qu’en 1905. Les trente premières années de sa vie ont été aventureuses. Il en a laissé un récit saisissant qu’il faudra bien publier un jour en France quand il y sera mieux connu[1].
Après avoir vu fondre en opérations hasardeuses le petit capital que ses parents lui avaient remis à sa majorité, après avoir réussi à perdre de l’argent en élevant des vaches, puis en exploitant un débit de boissons, il échoue à Tammany Hall, le quartier des clochards de New York à la fin du siècle dernier. Il y connaît de terribles épreuves et de cruelles déceptions. Un des traits de caractère les plus attachants chez lui, c’est son amour débordant pour le genre humain. Malheureusement, il choisit ses amis sans discernement et se fait gruger par tout le monde, à commencer par l’employé de banque qui lui remet chaque mois la maigre pension allouée par sa famille !
Au cours de ces années d’apprentissage, il se livre à toutes sortes de besognes obscures : modèle chez les peintres, rédacteur de « chiens écrasés » dans des feuilles de quartier. Dès qu’il gagne quelques sous, ses compagnons de chambre les lui volent. Mais il ne cesse de chercher dans la lecture des sages de l’Inde la source de la vraie connaissance, et à développer sa vie spirituelle.
On retrouve dans ses contes les personnages côtoyés à cette époque, notamment cet extraordinaire Alfred H. Louis, d’abord homme politique, puis avocat, interné ensuite dans un asile d’aliénés et terminant sa vie dans un état voisin de celui de clochard.
Les choses finissent par s’arranger plus ou moins. Il trouve une situation dans un journal sérieux. Et puis, il publie son premier livre John Silence, qui rencontre un certain succès. Nous sommes en 1905. Algernon Blackwood décide de tout abandonner (même une affaire de lait condensé qu’il vient de monter !) pour se consacrer uniquement à la littérature. Il s’installe dans le Jura suisse et publie par dizaines des « short stories » qui n’ont pas cessé d’être rééditées en Angleterre. Il a eu la satisfaction avant sa mort, survenue en 1951, de voir ses histoires adaptées à la télévision anglaise et chaleureusement accueillies.
Algernon Blackwood éprouve, nous l’avons dit, un amour profond pour ses semblables. Mais pour la nature aussi. Il attribue aux plantes, aux animaux, une sorte d’âme rudimentaire, collective, avec laquelle certains initiés peuvent entrer en communication. Il voit les paysages grandioses s’animer d’une vie propre, et les forces élémentaires lui inspirent parfois une terreur sacrée.
J. P.