Scène V

Dans le château de Glocester.

Entrent Régane et Oswald.

RÉGANE

Mais les troupes de mon frère sont-elles en marche ?

OSWALD

Oui, madame.

RÉGANE

S’est-il mis à leur tête en personne ?

OSWALD

Oui, madame, mais à grand-peine ; votre sœur est un meilleur soldat.

RÉGANE

Est-ce que milord Edmond n’a pas parlé à votre maître au château ?

OSWALD

Non, madame.

RÉGANE

Que peut contenir la lettre à lui écrite par ma sœur ?

OSWALD

Je ne sais pas, milady.

RÉGANE

Au fait, c’est pour de graves motifs qu’il s’en est allé si vite. Après avoir retiré la vue à Glocester, ç’a été une grande imprudence de le laisser vivre : partout où il passera, il soulèvera tous les cœurs contre nous ; je pense qu’Edmond est parti, prenant sa misère en pitié, pour le délivrer d’une vie vouée aux ténèbres, en même temps que pour reconnaître les forces de l’ennemi.

OSWALD

Il faut que je le rejoigne, madame, pour lui remettre cette lettre.

RÉGANE

Nos troupes se mettent en marche demain ; restez avec nous, les routes sont dangereuses.

OSWALD

Je ne puis, madame ; ma maîtresse m’a recommandé l’empressement dans cette affaire.

RÉGANE

Pourquoi écrit-elle à Edmond ? N’auriez-vous pas pu transmettre son message de vive voix ? Sans doute, quelque raison, je ne sais laquelle… Je t’aimerai fort de me laisser décacheter cette lettre.

OSWALD

Madame, je préférerais…

RÉGANE

Je sais que votre maîtresse n’aime pas son mari ; je suis sûre de cela : la dernière fois qu’elle était ici, elle lançait d’étranges œillades et de bien éloquents regards au noble Edmond. Je sais que vous êtes son confident.

OSWALD

Moi, madame ?

RÉGANE

Je parle à bon escient ; vous l’êtes, je le sais. Aussi, écoutez bien l’avis que je vous donne. Mon mari est mort ; Edmond et moi, nous nous sommes entendus ; il est naturel qu’il ait ma main plutôt que celle de votre maîtresse. Vous pouvez deviner ce que je ne dis pas. Si vous trouvez Edmond, remettez-lui ceci, je vous prie.

(Elle lui donne un anneau.)

– Quand vous informerez votre maîtresse de ce que vous savez, dites-lui, je vous prie, de rappeler à elle sa raison. Sur ce, adieu. Si par hasard vous entendez parler de cet aveugle traître, les faveurs pleuvront sur celui qui l’expédiera.

OSWALD

Si je pouvais le rencontrer, madame ! je montrerais à quel parti j’appartiens.

RÉGANE

Adieu.

(Ils sortent.)