Treizième tableau

Représentation du dernier acte d’Antony

Sur scène, le décor représente au dernier acte la chambre d’Adèle Hervey, la femme qu’aime Antony.

Dans la loge du côté droit, se tient Bérénice qui suit passionnément la représentation.

Dans la loge de gauche, Cussonnet, furieux de ne pas voir sa pièce, se désintéresse de la représentation et bâille ostensiblement. Harel, en bon professionnel, regarde autant la scène que les réactions de la salle.

Précieuse/Adèle, seule en scène, tourne nerveusement en rond.

PRÉCIEUSE/ADÈLE. Ah ! me voilà seule enfin ! Je puis rougir et pleurer seule… Abandonnée ! Ah ! Antony ! Antony !

Entre alors Frédérick/Antony, en costume noir.

FRÉDÉRICK/ANTONY. Adèle ! (Avec joie). Ah !

PRÉCIEUSE/ADÈLE. Antony ! Vous voici !

FRÉDÉRICK/ANTONY. Viens, viens, nous oublierons tous les autres pour ne nous souvenir que de nous. (La prenant dans ses bras). Je t’emporte…

PRÉCIEUSE/ADÈLE. Et ma fille ! Ma fille !

FRÉDÉRICK/ANTONY. C’est une enfant. Elle rira demain.

Ils sont près de sortir. On entend deux coups de marteau à la porte cochère.

PRÉCIEUSE/ADÈLE (s’échappant des bras d’Antony). Ah ! mon mari ! c’est lui… Oh, mon Dieu ! mon Dieu ! C’est trop tard, désormais.

FRÉDÉRICK/ANTONY (la quittant). Allons, tout est fini !

PRÉCIEUSE/ADÈLE. On monte dans l’escalier… On sonne… C’est lui… Fuis, fuis !

FRÉDÉRICK/ANTONY. (fermant la porte). Eh, je ne veux pas fuir, moi… Écoute… Tu disais tout à l’heure que tu ne craignais pas la mort ?

PRÉCIEUSE/ADÈLE. Non, non… Oh, tue-moi, par pitié !

FRÉDÉRICK/ANTONY. Une mort qui sauverait ta réputation, celle de ta fille ?

PRÉCIEUSE/ADÈLE. Je la demanderais à genoux.

UNE VOIX (au-dehors). Ouvrez !… Ouvrez !… Enfoncez cette porte…

FRÉDÉRICK/ANTONY. Et, à ton dernier soupir, tu ne haïrais pas ton assassin ?

FRÉDÉRICK/ADÈLE. Je le bénirais…

FRÉDÉRICK/ANTONY. Mais, songes-y, la mort !

PRÉCIEUSE/ADÈLE. Je la demande, je la veux, je l’implore ! (Se jetant dans ses bras). Je viens la chercher.

FRÉDÉRICK/ANTONY (lui donnant un baiser). Eh bien, meurs !

Il la poignarde.

Au même moment, la porte du fond est enfoncée. Le colonel d’Hervey se précipite sur le théâtre, suivi de domestiques.

LA CRESSONNIÈRE/LE COLONEL D’HERVEY. Infâme !… Que vois-je ?… Adèle !… Morte !…

FRÉDÉRICK/ANTONY. Oui ! morte ! Elle me résistait, je l’ai assassinée !…

Il jette son poignard aux pieds du colonel.

Le rideau tombe.