AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR

D’Alembert, dans son Éloge de Montesquieu, dit :

« Il nous destinait un article sur le Goût, qui a été trouvé imparfait dans ses papiers. Nous le donnerons en cet état au public, et nous le traiterons avec le même respect que l’antiquité témoigna autrefois pour les dernières paroles de Sénèque. »

Au tome VII de l’Encyclopédie, publié en 1775, on lit à l’article Goût :

« Ce fragment a été trouvé imparfait dans ses papiers. L’auteur n’a pas eu le temps d’y mettre la dernière main ; mais les premières pensées des grands maîtres méritent d’être conservées à la postérité, comme les esquisses des grands peintres. »

Dans les Œuvres posthumes de M. de Montesquieu, Paris, 1783, in-12, on a reproduit ces fragments sous le titre de Réflexions sur les causes du plaisir qu’excitent en nous les ouvrages d’esprit et les productions des beaux-arts. C’est ce texte, donné par le fils de Montesquieu, que nous suivons, tout en ayant soin de reproduire en note les variantes de l’Encyclopédie.

A l’origine, le fragment s’arrêtait au chapitre intitulé des Règles ; ce chapitre a été publié dans les Œuvres posthumes, édition de 1798, comme terminant l’Essai sur le goût. On y a joint une histoire merveilleuse, de la vérité de laquelle je n’oserais me porter garant1. La fin du morceau a été publiée pour la première fois, en 1804, dans les Annales littéraires, t. II, p. 301.

Au citoyen Walkenaer, à Paris.

P... veut bien se charger de te remettre le manuscrit que je t’ai annoncé. Je souhaiterais que le présent fût plus considérable. Ce n’est, à proprement parler, qu’un fragment de l’Essai sur le Goût. Malgré cela, je pense que tu ne parcourras pas sans intérêt ces lignes écrites par Montesquieu et que tu éprouveras un certain sentiment de respect pour ce papier, en songeant aux illustres mains qui l’ont touché. Notre ami le tenait du secrétaire de M. de Secondat qui, vers la fin de 1793, lorsque le sang commençait à couler à Bordeaux, jeta au feu beaucoup de papiers et de manuscrits de son père dans la crainte, disait-il, qu’on ne vînt à y découvrir des prétextes pour inquiéter sa famille. Le secrétaire de M. de Secondat, qui l’aidait dans cette fatale opération, à laquelle il essaya en vain de s’opposer, eut la permission de distraire le morceau que je t’envoie...

[La lettre est datée de Bordeaux, 29 ventôse an IV ; on croit qu’elle est de Millin.]