Je n’avais aucune idée de l’endroit où habitait Angela Cook. Je donnai à Rachel tout ce que je savais sur elle, y compris la fixation qu’elle faisait sur l’affaire du Poète, et ajoutai avoir entendu dire qu’elle avait un blog, mais que je ne l’avais jamais lu. Rachel transmit tous ces renseignements à un agent de L.A. avant que nous montions à bord de l’hélicoptère de l’armée qui nous emmena plein sud, jusqu’à la base aérienne de Nellis.
Pendant le vol, nous portâmes des casques qui réduisirent le bruit de l’appareil, mais ne nous permirent pas de dépasser le stade de la conversation par signes. Rachel sortit mes dossiers et passa son heure de vol à les étudier. Je la vis faire des comparaisons entre les photos de scène de crime et les rapports d’autopsie de Denise Babbit et Sharon Oglevy. Elle travaillait avec une expression de concentration absolue et prit des notes sur un bloc grand format qu’elle avait sorti de son sac. Elle passa un long moment à regarder les horribles photos des deux mortes qu’on avait prises sur la scène de crime et sur la table d’autopsie.
Les trois quarts du temps, je restai, moi, assis sur mon siège à dos droit à me creuser la cervelle pour essayer de trouver comment tout cela avait pu arriver si vite. Et plus précisément à essayer de comprendre comment ce tueur avait pu commencer à me traquer alors même que je venais à peine de l’avoir dans le collimateur. Lorsque enfin nous arrivâmes à Nellis, je crus tenir quelque chose et attendis l’occasion d’en faire part à Rachel.
Nous fûmes immédiatement conduits jusqu’à un jet qui nous attendait et dans lequel nous étions les deux seuls passagers. Nous nous assîmes l’un en face de l’autre, le pilote annonçant aussitôt à Rachel qu’elle avait un appel en attente au téléphone de bord. Nous nous sanglâmes, elle décrocha le téléphone et l’avion commença tout de suite à rouler sur la piste. Dans le haut-parleur au-dessus de nos têtes, le pilote nous informa que nous serions à L.A. dans une heure. Rien de tel que le pouvoir et la puissance du gouvernement fédéral ! me dis-je. C’était comme ça qu’il fallait voyager… sauf pour une chose : c’était un petit avion et je n’en prenais jamais.
Rachel écouta son interlocuteur, posa quelques questions et raccrocha.
– Angela Cook n’était pas chez elle, dit-elle. Elle est introuvable.
Je gardai le silence. La peur de ce qui pouvait lui être arrivé me saisit et me remonta dans la poitrine. Cela ne m’aida pas au moment où l’appareil décolla et s’éleva dans les airs selon un angle nettement plus raide que celui auquel m’avaient habitué les avions de ligne. J’en arrachai presque mon accoudoir avec les ongles. Ce ne fut que lorsque nous nous retrouvâmes en sécurité dans les airs que je parlai enfin.
– Rachel, dis-je, je crois savoir comment ce type a pu nous trouver aussi rapidement… Angela, au moins.
– Dis-moi.
– Non, toi d’abord. Dis-moi ce que tu as trouvé dans les dossiers.
– Ne sois pas mesquin, Jack. Ce truc est devenu un peu plus important qu’un article de journal.
– Ça ne signifie pas que tu ne puisses pas commencer, toi. Ce truc est aussi plus important que le penchant du FBI à prendre des infos sans jamais rien donner en retour.
Elle ne s’arrêta pas à cette pique.
– Bien, dit-elle, je commence. Mais d’abord, que je te félicite, Jack. D’après ce que j’ai lu sur ces affaires, il n’y a, à mon avis, absolument aucun doute qu’elles sont reliées à un seul tueur. C’est le même homme qui est responsable de ces deux meurtres. Mais il a échappé à l’attention de tous parce qu’un suspect apparaissant tout de suite dans les deux affaires, les autorités locales ont travaillé avec des œillères. Dans les deux cas, elles ont eu leur bonhomme dès le début et n’ont pas cherché ailleurs. Sauf, bien sûr, que dans l’affaire Babbit leur bonhomme était un gamin.
Je me penchai en avant, rayonnant de confiance en moi après le compliment qu’elle venait de me faire.
– Et il n’a jamais avoué comme on l’a dit dans la presse, ajoutai-je. J’ai la transcription de son interrogatoire au bureau. Neuf heures de file et ce gamin n’a jamais avoué. Il a reconnu avoir volé la voiture et le fric de la fille, mais à ce moment-là le cadavre était déjà dans le coffre. Il n’a jamais avoué avoir tué Denise Babbit.
Elle acquiesça d’un signe de tête.
– C’est ce que j’ai posé d’entrée de jeu. C’est pourquoi, avec les documents que tu avais, j’ai travaillé à profiler les deux meurtres. À en chercher la signature.
– Elle est évidente. Il aime bien étrangler des femmes avec des sacs en plastique.
– Techniquement parlant, elles n’ont pas été étranglées. Elles ont été asphyxiées. Ce n’est pas la même chose.
– D’accord.
– Le sac en plastique et la corde autour du cou de la victime me rappelaient quelque chose. Mais, de fait, je cherchais quelque chose de moins évident que cette signature de surface. J’essayais aussi de trouver des liens ou des similitudes entre ces deux femmes. Si nous découvrons ce qui les relie, nous trouverons leur assassin.
– C’était toutes les deux des strip-teaseuses.
– Ça en fait partie, mais ce critère est un peu trop large. De plus, techniquement, l’une était strip-teaseuse et l’autre danseuse exotique. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
– Comme tu voudras. Mais l’une comme l’autre se montraient nues pour gagner leur vie. C’est le seul lien que tu as trouvé ?
– Eh bien il y aussi, comme tu l’as sûrement remarqué, qu’elles étaient physiquement très semblables. De fait, la différence de poids entre elles n’est que d’un kilo et demi et la différence de taille d’un centimètre et quelques. La structure du visage et les cheveux sont aussi très proches. Le corps est un des éléments clés qui président au choix de la victime. Le tueur d’occasion prend ce qu’il trouve. Mais quand on voit deux victimes comme celles-là, avec le même type physique, on sait qu’on a affaire à un prédateur patient et qui choisit.
J’eus l’impression qu’elle avait encore des choses à dire, mais elle s’arrêta. J’attendis, mais elle ne reprit pas son analyse.
– Quoi ? lui lançai-je. Tu en sais plus long que ce que tu dis.
Elle laissa tomber son hésitation.
– Quand j’étais aux Sciences du comportement, cette unité n’en était qu’à ses débuts. Les profileurs s’asseyaient souvent ensemble pour parler des liens entre les prédateurs que l’on recherchait et ceux qui vadrouillent dans la nature. Tu serais surpris de voir à quel point un tueur en série peut s’apparenter à un léopard ou à un chacal. Et on pourrait en dire autant des victimes. De fait, quand on en arrivait à la question des types physiques, on leur donnait souvent des noms d’animaux. Ces deux femmes auraient été qualifiées de « girafes ». Elles étaient grandes et avaient de longues jambes. Notre prédateur a un goût prononcé pour les girafes.
J’eus envie de prendre ces remarques en note pour m’en servir plus tard, mais eus peur qu’en me voyant transcrire son interprétation des dossiers, elle ne cesse de parler. J’essayai de ne pas bouger.
– Il y a autre chose, reprit-elle. Pour le moment, il ne s’agit que de conjectures de ma part, mais les deux autopsies font apparaître des marques de ligature sur les victimes. Je me demande s’il n’y a pas une erreur.
– Pourquoi ?
– Je vais te montrer quelque chose.
Enfin je remuai. Nous étions assis l’un en face de l’autre. J’ôtai ma ceinture et m’assis sur le siège à côté d’elle. Elle feuilleta les dossiers et en sortit plusieurs copies de photos de scènes de crimes et d’autopsies.
– Bon, tu vois les marques laissées au-dessus et au-dessous des genoux, ici, ici et ici ?
– Oui, on dirait qu’elles ont été attachées.
– Pas tout à fait.
D’un ongle au vernis transparent elle suivit les marques sur les victimes et m’expliqua.
– Attacher une victime ne laisse pas des marques aussi symétriques. Sans compter que s’il s’agissait vraiment de marques de ligatures, on en trouverait autour des chevilles. Quand on veut contrôler ou empêcher quelqu’un de fuir, on lui attache les chevilles. Or il n’y a aucune marque de ligature à ces endroits. Aux poignets oui, mais pas aux chevilles.
Elle avait raison. Simplement, je ne l’avais pas vu avant qu’elle ne me l’explique.
– Alors, c’est quoi, ces marques sur leurs jambes ?
– Eh bien… je n’en suis pas très sûre, mais quand je travaillais aux Sciences du comportement, on tombait sur de nouvelles paraphilies dans pratiquement toutes les affaires. On a donc commencé à les ordonner par catégories.
– C’est bien de perversions sexuelles que tu parles, non ?
– C’est-à-dire qu’on ne les appelait pas comme ça.
– Pourquoi ? Vous deviez faire dans le politiquement correct avec les tueurs en série ?
– La nuance est peut-être ténue, mais il y a une différence entre être pervers ou anormal. Pour les comportements, nous parlons de paraphilies.
– D’accord, et ces marques feraient donc partie d’une paraphilie.
– Ça se pourrait. Pour moi, ce sont des marques laissées par des lanières.
– Des lanières de quoi ?’
– De prothèses pour les jambes.
Je faillis éclater de rire.
– Tu rigoles, lui dis-je. Y a des gens que ça excite ?
Elle acquiesça d’un signe de tête.
– Ça a même un nom : l’abasiophilie. C’est une fascination pour ce type de prothèses. Et, oui, il y a des gens que ça excite. Il y a même des sites Web et des chat rooms spécialisés dans ça. On y parle de « fers » et d’« étriers ». Les femmes qui en portent sont parfois appelées « Vierges de fer ».
Cela me rappela tout ce qu’avait de profondément troublant le talent de profileuse de Rachel à l’époque où nous traquions le Poète. Elle avait plus d’une fois mis dans le mille dans cette histoire. Parfois, cela tenait même de la prescience. J’avais été fasciné par la capacité qu’elle avait de s’emparer de petits bouts de renseignements et de détails obscurs et d’en tirer des conclusions révélatrices. Et là, elle remettait ça et j’étais du voyage.
– Et tu as eu un cas de ce genre ?
– Oui, en Louisiane. Un type qui avait enlevé une femme assise sur un banc d’abribus et l’avait retenue prisonnière une semaine entière dans une cabane de pêche loin dans un bayou. Elle a réussi à s’échapper et à retrouver son chemin dans les marécages. Elle avait eu de la chance : les quatre autres femmes qu’il avait attrapées avant elle ne s’en étaient pas sorties. On avait retrouvé des bouts de leurs corps dans le bayou.
– Et c’était un cas de basophilie ?
– D’abasiophilie, me reprit-elle. Oui, la femme qui en avait réchappé nous a raconté que le type l’avait obligée à porter des attelles qui s’attachaient autour des jambes et étaient munies de plaques de fer et d’articulations qui lui montaient des chevilles jusqu’aux hanches et tenaient en place grâce à des lanières de cuir.
– Mais c’est répugnant ! m’écriai-je. Pas qu’un tueur en série serait particulièrement normal mais… des attelles pour les jambes ? D’où peut bien venir pareille addiction ?
– On ne le sait pas. Cela dit, les trois quarts des paraphilies remontent à l’enfance. La paraphilie ressemble à la recette idéale du plaisir sexuel. C’est de ça qu’ont besoin les pervers. Il est impossible de savoir pourquoi il faudrait se mettre des attelles ou demander à son ou sa partenaire de le faire, mais cette addiction commence tôt. Ça, on le sait.
– Et tu penses que ton type pourrait…
– Non, l’auteur de ces meurtres en Louisiane a été exécuté. Et j’ai assisté à l’exécution. Et jusqu’à la fin, il ne nous a absolument rien dit sur tout ça.
– Voilà qui lui donne un alibi parfait dans notre affaire !
Je souris, mais elle ne me renvoya pas mon sourire. Je passai à autre chose.
– Ces prothèses sont-elles difficiles à trouver ?
– On en vend et achète tous les jours sur la Toile. Elles sont parfois munies de toutes sortes de gadgets et de lanières et peuvent être très coûteuses. La prochaine fois que tu iras sur Google, cherche donc abasiophilie et tu verras ce que tu trouveras ! C’est de la face sombre d’Internet que nous parlons, Jack. Le Net, c’est la grande maison où l’on se rencontre, celle où se retrouvent tous ceux qui ont les mêmes intérêts. Tu crois que tes désirs secrets font de toi un monstre ? Passe sur le Net et tu trouveras des gens comme toi et seras accepté.
Au fur et à mesure qu’elle parlait, je me rendis compte que je tenais un article. Séparé de l’affaire des meurtres au coffre proprement dite. Peut-être même un livre. Je mis cette idée de côté pour plus tard et revins à ce qui nous occupait.
– Et donc, pour toi, qu’est-ce qu’il fait ? Il les oblige à mettre des prothèses pour les jambes et après, il les viole ? La suffocation a-t-elle un sens particulier ?
– Chaque détail a son importance, Jack. Il suffit seulement de savoir le lire. Sa mise en scène dit sa paraphilie. Il est plus que vraisemblable -que pour lui ce qui compte, ce n’est pas de tuer des femmes, mais plutôt de monter une scène psycho-sexuelle qui réponde à ses fantasmes. Les femmes sont tuées après, parce qu’il en a tout simplement terminé avec elles et qu’il ne peut pas se payer le luxe de la menace qu’elles représenteraient en vivant et parlant de lui. Je le vois même assez bien s’excuser auprès d’elles avant de leur passer le sac sur la tête.
– Elles étaient toutes les deux danseuses. Tu crois qu’il les a obligées à danser ?
– Encore une fois, il ne s’agit pour l’instant que de conjectures, mais ça pourrait faire partie du scénario. Pour moi néanmoins, ça tourne plus autour du type corporel des victimes. Autour des girafes. Du fait de leur profession, les danseuses ont des jambes fines et musclées. Si c’est ça qu’il cherchait, c’est vers des danseuses qu’il s’est tourné.
Je songeai à toutes les heures que ces deux femmes avaient passées avec leur assassin. Au temps qui s’était écoulé entre leur enlèvement et le moment où elles étaient mortes. Que s’était-il passé pendant ces heures ? Quelle que soit la réponse, tout s’était conclu par une mort horrible et terrifiante.
– Tout à l’heure tu as dit que se servir d’un sac te rappelait quelque chose. Tu te rappelles quoi ?
Elle réfléchit longuement avant de répondre.
– Non, c’est juste qu’il y a quelque chose de familier dans cette histoire. Un truc que je connais. Ça a probablement à voir avec une autre affaire, mais je n’arrive pas encore à la situer.
– Tu vas communiquer ça au VICAP ?
– Dès que j’en aurai la possibilité.
La banque de données du Violent Criminal Appréhension Program du FBI regroupait les détails de milliers de crimes. En y entrant les détails d’un nouvel assassinat, on pouvait s’en servir pour retrouver des affaires similaires.
– Il y a autre chose à remarquer dans ce protocole, reprit-elle. Dans ces deux affaires, l’assassin a laissé en place le sac et la ligature au cou alors que ce qui a servi à comprimer les membres, que ce soit des attelles ou autre, a été enlevé.
– Exact. Et ça veut dire quoi ?
– Je ne sais pas, mais ça pourrait avoir plusieurs sens. Les femmes ont été manifestement limitées dans leurs mouvements pendant leur captivité. Mais que ce soit avec des prothèses ou autre chose, ces instruments ont été enlevés alors que le sac, lui, est resté en place. Cela pourrait avoir valeur de déclaration et faire partie de sa signature. Bref, revêtir un sens dont nous n’avons pas encore conscience.
J’acquiesçai d’un signe de tête. Sa façon de voir les choses m’impressionnait.
– Ça fait combien de temps que tu ne travailles plus aux Sciences du comportement ? lui demandai-je.
Elle sourit, mais je vis alors que ce que je croyais être un compliment l’avait rendue mélancolique.
– Très longtemps, me répondit-elle.
– Typique de leur ligne politique et de leur connerie. On prend quelqu’un d’excellent dans un domaine et on le fout dans un autre.
Il fallait que je ramène Rachel à ce qui nous occupait et lui fasse oublier que notre liaison lui avait coûté le poste pour lequel elle était le mieux outillée.
– Tu penses que si jamais on capture ce type, on pourra comprendre ce qu’il avait dans le crâne ?
– Ces types-là, on ne les comprend jamais, Jack. On n’a que des aperçus de la manière dont ils fonctionnent. Le type de la Louisiane avait été élevé dans un orphelinat dans les années cinquante. Il y avait là beaucoup de jeunes qui avaient attrapé la polio. Et nombre d’entre eux portaient des prothèses. Pourquoi c’est devenu ce qui l’excitait à l’âge adulte et l’a poussé à commettre des assassinats en série reste mystérieux. Beaucoup d’autres gamins sont passés par cet orphelinat et ne sont pas devenus des tueurs en série pour autant. Savoir pourquoi untel fait ceci ou cela tient de la conjecture.
Je détournai la tête et regardai par le hublot. Nous survolions le désert entre Las Vegas et Los Angeles. Tout n’était que ténèbres.
– Comme quoi le monde, là-bas en bas, est parfois bien malade, dis-je.
– Ça arrive, oui.
Nous continuâmes de voler un moment sans rien dire, puis je me tournai à nouveau vers elle.
– Y a-t-il d’autres liens entre les deux victimes ?
– J’ai dressé une liste des similitudes et des différences entre les deux affaires. Je veux étudier tout de plus près, mais pour l’instant ce sont les prothèses pour les jambes qui me paraissent l’élément le plus significatif. Après, il y a le type de femmes et les moyens employés pour les faire mourir. Mais il y a sûrement un lien dans tout ça. Quelque chose qui unit ces deux femmes.
– Qu’on le trouve et on le trouvera, lui.
– Voilà. Et maintenant, c’est ton tour, Jack. Qu’est-ce que tu as trouvé ?
J’acquiesçai d’un hochement de tête et ordonnai rapidement mes pensées.
– Bon, il y a quelque chose qui n’était pas dans les trucs qu’Angela a trouvés sur le Net, dis-je. Elle ne m’en a parlé que parce qu’il n’y avait rien à imprimer. Elle m’a dit avoir découvert l’histoire de Las Vegas et certaines autres plus anciennes qui s’étaient déroulées à Los Angeles en lançant une recherche en ligne avec les mots clés : « meurtres au coffre ». D’accord ?
– D’accord.
– Bien, elle m’a aussi dit avoir trouvé une occurrence en cherchant un site intitulé trunkmurder.com, mais le site était vide lorsqu’elle l’a ouvert. En cliquant pour y entrer, elle est tombée sur un panneau indiquant que le site était en construction. Bref, je me suis dit que comme pour toi ce type avait bien des talents, dont celui de faire des trucs sur le Net, et que peut-être…
– Mais bien sûr ! Ç’aurait pu être un piège à IP. Il doit surveiller tous les gens qui pourraient chercher des renseignements sur les meurtres au coffre sur le Net. Après, il remonte l’IP et découvre l’identité du curieux. C’est peut-être ça qui l’a conduit à Angela et à toi.
Le jet amorça sa descente, là encore selon un angle nettement plus raide que tout ce dont j’avais fait l’expérience sur des vols commerciaux. Je m’aperçus que j’avais encore une fois planté mes ongles dans l’accoudoir.
– Et il a dû avoir un grand frisson en découvrant ton nom, reprit-elle.
Je la regardai.
– Qu’est-ce que tu racontes ? lui demandai-je.
– Ton passé, Jack. Tu es le journaliste qui a traqué le Poète. Tu as écrit un livre sur l’affaire. Monsieur Big Best-seller. Tu es passé à l’émission de Larry King. Ce sont là des choses auxquelles les tueurs en série prêtent attention. Ces livres-là, ils les lisent. Non, en fait, même, ils les étudient.
– C’est vraiment super de le savoir ! Peut-être que je pourrais lui en dédicacer un exemplaire.
– Je te parie un truc, moi : quand on l’aura, on trouvera un exemplaire de ton bouquin dans ses affaires.
– J’espère bien que non.
– Et je suis prête à te parier autre chose. Avant qu’on le coince, il prendra contact avec toi, et directement. Il t’appellera, t’enverra un e-mail ou te contactera par un autre moyen.
– Pourquoi ? Pourquoi prendre ce risque ?
– Parce que dès qu’il comprendra qu’il est découvert… qu’on connaît son existence… il cherchera à attirer l’attention. Ils le font toujours. Ils font toujours cette erreur.
– Pas de paris, Rachel.
L’idée que, d’une manière ou d’une autre, j’avais déjà nourri l’esprit tordu de ce type ou que je le ferais bientôt n’était pas ce à quoi j’avais envie de penser.
– Je ne t’en voudrais pas-, dit-elle en sentant mon malaise.
– Cela dit, j’apprécie assez que tu aies dit « quand on l’aura » et pas « si jamais on l’attrape ».
Elle acquiesça.
– Oh non, ne t’inquiète pas pour ça, Jack. On va l’avoir.
Je me retournai et regardai à nouveau par le hublot. Je vis apparaître le tapis de lumière tandis que nous repassions du désert à la civilisation telle que nous la connaissons. C’était des milliards de lumières qu’il y avait là, à l’horizon, mais je savais que, même mises toutes ensemble, elles ne suffiraient pas à percer les ténèbres qu’on trouve dans le cœur de certains hommes.