50.

 

L'heure était maintenant venue d'installer le gros accessoire pour achever de faire entrer le témoignage du docteur Arslanian dans toutes les têtes.

– Docteur, repris-je, avez-vous tiré d'autres conclusions de votre analyse des tests de résidus de poudre qui étayent la théorie du transfert que vous venez de nous exposer ?

– En effet.

– Et ce serait... ?

– Puis-je utiliser mon mannequin pour vous le démontrer ?

Je demandai au juge la permission d'autoriser le témoin à se servir d'un mannequin aux fins de démonstration, il me l'accorda sans que Golantz élève la moindre objection. Je traversai alors l'enclos de l'huissier pour gagner le couloir conduisant au cabinet du juge. J'y avais laissé le mannequin du docteur Arslanian en attendant que Stanton déclare qu'on pouvait l'accepter comme élément de preuve. Je le poussai sur ses roulettes jusqu'au milieu du terrain de la preuve, devant les jurés... et la caméra de Court TV. Puis je fis signe au docteur Arslanian de quitter la barre des témoins et de procéder à sa démonstration.

Le mannequin avait la taille d'un être humain, et membres, mains et même les doigts, tout pouvait en être manipulé. En plastique blanc, il était par endroits couvert de taches grises sur le visage et les mains suite à diverses expériences et démonstrations effectuées au fil des ans. Il était présentement vêtu d'un blue-jean et d'une chemise à col bleu foncé sous un coupe-vent dont le dos s'ornait d'un logo célébrant le titre de champion de football américain remporté par l'université de Floride un peu plus tôt cette année-là. Le tout était suspendu à quelque cinq centimètres du sol par une potence en métal montée sur roulettes.

Je m'aperçus que j'avais oublié quelque chose, cherchai mon sac et en sortis rapidement un faux flingue en bois et une flèche lumineuse télescopique. Je les tendis tous les deux au docteur Arslanian et regagnai le pupitre.

– Bien, qu'avons-nous là, docteur ? lui demandai-je.

– Je vous présente Manny, mon mannequin de démonstration. Manny, je te présente les jurés.

Il y eut quelques rires, un juré, l'avocat, allant jusqu'à hocher la tête pour dire bonjour à Manny.

– Manny est un fan des Florida Gators ?

– Euh... aujourd'hui, oui.

Il arrive que le messager brouille le message. Avec certains témoins, c'est ce qu'on veut parce que leur témoignage n'aide pas des masses. Mais ce n'était pas le cas avec le docteur Arslanian. Je savais qu'avec elle je marchais sur le fil du rasoir : trop mignonne et trop amusante d'un côté ; d'une grande solidité scientifique de l'autre. Trouver le bon dosage ferait que personnalité et contenu de sa déposition, tout laisserait une forte impression sur les jurés.

Je compris qu'il était temps de revenir aux choses sérieuses.

– Docteur, repris-je, pourquoi avons-nous besoin de Manny maintenant ?

– Parce qu'une analyse des tampons MSE utilisés par l'expert du labo du shérif nous montrera pourquoi les traces de poudre relevées sur la personne de Monsieur Elliot ne provenaient pas d'un coup de feu qu'il aurait tiré.

– Je sais que cet expert nous a expliqué ces procédures la semaine dernière, mais j'aimerais que vous nous rafraîchissiez la mémoire. Qu'est-ce qu'un tampon MSE ?

– Le test des résidus de poudre est effectué à l'aide de tampons ronds, aussi appelés « disques », dont un des côtés se décolle. Ces tampons sont appliqués légèrement sur la zone à tester et y ramassent tous les éléments microscopiques présents à sa surface.

Le disque est ensuite placé sous un microscope à scanner électronique, ou MSE dans notre jargon. C'est grâce à ce microscope que l'on constate ou ne constate pas la présence des trois éléments dont nous parlions tout à l'heure. Le baryum, l'antimoine et le plomb.

– Bien, avez-vous une démonstration prête ?

– Oui.

– Je vous en prie, expliquez vos conclusions au jury.

Elle déploya sa flèche lumineuse et se posta en face des jurés.

Sa démonstration avait été très soigneusement préparée et elle l'avait répétée dans les moindres détails, dont le fait que je l'appellerais systématiquement « docteur » et qu'elle parlerait toujours de l'expert de l'accusation comme de « ce monsieur ».

– Ce monsieur Guilfoyle, l'expert des services du shérif, a donc effectué six frottis sur le corps et les vêtements de Monsieur Elliot, entonna-t-elle. Chacun de ses disques avait été codé de façon à ce que l'endroit frotté soit connu et répertorié.

Tout en parlant elle montra avec sa flèche ces divers endroits sur le mannequin. Lequel mannequin avait les bras le long du corps.

– Le disque A a été appliqué sur la main droite. Le B sur le haut de la main gauche. Le C sur la manche droite du coupe-vent de Monsieur Elliot et le D sur la gauche. Nous avons ensuite les disques E et F sur les parties avant droite et gauche de sa veste, et les G et H sur les parties torse et poitrine de la chemise qu'il portait sous sa veste ouverte.

– Ces vêtements sont-ils ceux qu'il portait ce jour-là ?

– Non. Mais ils en sont la copie exacte et ce, jusqu'à leurs tailles et les noms des fabricants.

– Bien, qu'avez-vous appris en analysant ces huit disques ?

– J'ai préparé un tableau afin que les jurés puissent suivre mes explications.

Je voulus faire admettre ce tableau comme élément de preuve.

Golantz en avait reçu une copie le matin même. Il se leva et protesta en déclarant que recevoir cette pièce aussi tardivement constituait une violation des règles de divulgation des pièces. Je fis valoir au juge que le tableau n'avait été mis sur pied que la veille au soir, après les réunions que j'avais eues avec le docteur Arslanian la veille et l'avant-veille. Le juge fut d'accord avec l'accusation et me remontra que le sens de ce que je faisais en interrogeant le témoin était assez clair et bien préparé et que j'aurais par conséquent dû dresser ce tableau plus tôt. L'objection de Golantz étant retenue, le docteur Arslanian se retrouva dans l'obligation d'improviser sans mon aide. Il s'agissait là d'un pari, mais je ne regrettai pas de l'avoir osé. Je préférais que mon témoin parle aux jurés sans filet plutôt que d'affronter un Golantz qui aurait compris ma stratégie avant que je ne la mette en œuvre.

– Bien, docteur, repris-je, vous pouvez encore consulter vos notes et ce tableau. Il faut seulement que les jurés puissent vous suivre. Qu'avez-vous donc retiré de l'examen de ces huit disques ?

– J'en ai retiré que les quantités de poudre relevées sur ces huit disques diffèrent beaucoup.

– Comment cela ?

– Les disques A et B, à savoir ceux passés sur les mains de Monsieur Elliot, sont ceux sur lesquels on a relevé la plus forte quantité de résidus de poudre. Nous avons ensuite droit à une chute spectaculaire dans les quantités de poudre répertoriées ; cette chute est très marquée sur les disques C, D, E et F, les disques G et H étant, eux, vierges de toute trace de poudre.

Et d'illustrer encore une fois son propos à l'aide de la flèche lumineuse.

– Qu'en déduisez-vous, docteur ?

– Que les résidus de poudre trouvés sur les mains et les habits de Monsieur Elliot ne font pas suite à un tir qu'il aurait effectué.

– Pouvez-vous nous montrer pourquoi ?

– Eh bien, le fait que les taux relevés sur les deux mains soient comparables indique que le tireur a fait feu à deux mains.

Elle gagna le mannequin, en leva les bras et les mit en V en en joignant les deux mains sur le devant. Puis elle referma ces mains et leurs doigts articulés sur l'arme en bois.

– Sauf que si le tireur avait tenu son arme à deux mains, il en serait résulté des taux de poudre plus élevés aussi bien sur les manches de la veste que sur le reste des vêtements de Monsieur Elliot.

– Et les disques analysés au labo du shérif ne le montrent pas du tout, c'est bien ça ?

– Tout à fait. Ils montrent même le contraire. Si l'on était en droit de s'attendre à une certaine diminution des quantités de poudre relevées sur les mains de l'accusé, on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'elle soit de cette magnitude.

– Ce qui pour l'expert que vous êtes signifie quoi au juste ?

– Qu'il y a eu transferts combinés. Le premier contact avec la poudre a eu lieu quand, les bras et les mains attachés dans le dos, Monsieur Elliot a été placé dans la voiture quatre alpha. C'est là que les particules se sont déposées sur ses mains et sur ses bras, certaines quantités en étant ensuite transférées une deuxième fois sur le devant de sa veste lorsqu'il a très normalement bougé les bras et les mains, cette occurrence se répétant de manière continue jusqu'à ce que ses vêtements lui soient retirés.

– Et pour l'absence de tout résidu de poudre sur la chemise qu'il portait sous sa veste ?

– Nous n'en tenons pas compte dans la mesure où il aurait pu remonter la fermeture Éclair de sa veste avant de tirer.

– Docteur Arslanian, l'expert que vous êtes croit-il donc possible que Monsieur Elliot se soit retrouvé avec ce type de traces de poudre sur les mains et les vêtements après avoir tiré des coups de feu ?

– Absolument pas.

– Merci, docteur Arslanian, je n'ai plus de questions à vous poser.

Je regagnai mon siège, me penchai en avant et murmurai ceci à l'oreille d'Elliot :

– Si nous ne leur avons pas fourni de quoi avoir un doute raisonnable, je ne sais vraiment pas ce qu'est un doute raisonnable.

Il acquiesça d'un signe de tête et me chuchota ceci en retour : – Je n'ai jamais aussi bien dépensé dix mille dollars de ma vie !

Je trouvais que je ne m'étais pas mal débrouillé non plus, mais laissai passer. Golantz demanda au juge de prononcer la suspension de séance du milieu de l'après-midi avant d'interroger le témoin en contre et le juge accepta. Je remarquai ce que je crus bien être une énergie nouvelle dans les bavardages qui se firent entendre dans la salle d'audience après la suspension de séance.

Shami Arslanian avait très clairement donné de l'élan à la défense.

Un quart d'heure plus tard, j'allais voir ce que Golantz avait dans le ventre pour décrédibiliser mon témoin et sa déposition, mais je ne pensais vraiment pas qu'il ait grand-chose à lui opposer. Si c’avait été le cas, il n'aurait pas demandé cette suspension de séance. Il se serait levé d'un bond et aurait chargé dans l'instant.

Les jurés et le juge ayant vidé les lieux, et les observateurs se répandant déjà dans les couloirs, je gagnai la table de l'accusation d'un pas sautillant. Golantz était en train de noter des questions dans son bloc-notes. Il ne leva même pas la tête pour me regarder.

– Quoi ? fît-il.

– La réponse est non.

– À quelle question ?

– Celle que vous alliez me poser concernant une éventuelle demande de plaider coupable de la part de mon client. Ça ne nous intéresse pas.

Il ricana.

– Vous êtes marrant, Haller, me dit-il. Bon d'accord, vous avez un témoin impressionnant. Mais... et alors ? Le procès est loin d'être terminé.

– Sauf que j'ai un capitaine de police français qui va nous dire dès demain que Rilz a dénoncé sept des types les plus dangereux et agressifs sur lesquels il ait enquêté. Que deux d'entre eux sont comme par hasard sortis de prison l'année dernière et qu'ils ont disparu. Et que personne ne sait où ils sont. Et s'ils s'étaient trouvés à Malibu au printemps dernier, hein ?

Golantz reposa son stylo et leva enfin la tête pour me regarder.

– Oui, je lui ai parlé hier, à votre espèce d'inspecteur Clouseau, me renvoya-t-il. Il est assez clair qu'il est prêt à raconter tout ce qu'on veut du moment qu'on lui paie l'avion en première classe.

À la fin de sa déposition, il m'a sorti une carte des lieux de résidence des stars de cinéma et m'a demandé si je pouvais lui montrer où habite Angelina Jolie. Un sacré témoin que vous m'avez trouvé là, Haller !

J'avais dit au capitaine Pépin d'y aller mollo avec la carte des stars. Apparemment, il ne m'avait pas écouté. J'avais besoin de changer de sujet.

– Bon alors, où sont passés les Allemands ? lui demandai-je.

Il regarda derrière lui comme s'il voulait s'assurer que les membres de la famille Rilz n'étaient pas là. Je leur ai dit qu'ils devaient se préparer à vous voir vous lancer dans une stratégie qui consisterait à chier tout partout sur la mémoire de leur fils et frère, me répondit-il. Je leur ai aussi dit que vous alliez parler des problèmes que Johan a eus en France il y a cinq ans et vous servir de ça pour essayer de dédouaner son assassin. Je leur ai encore dit que vous alliez le présenter comme une espèce de gigolo allemand qui séduisait les riches, hommes et femmes, dans tout Malibu et le West Side. Et vous savez ce que m'a répondu le père ?

– Non, mais vous allez me le dire.

– Il m'a dit qu'ils en avaient assez de la justice américaine et qu'ils rentraient chez eux.

J'essayai de lui renvoyer une pique aussi intelligente que cynique, mais ne trouvai rien.

– Ne vous inquiétez pas, reprit Golantz. Que ce soit bon ou mauvais, je les appellerai pour leur donner le verdict.

– Bien.

Je le laissai là et passai dans le couloir pour y chercher mon client. Je le vis au milieu d'un cercle de journalistes. Se sentant un rien effronté après la réussite qu'avait été le témoignage du docteur Arslanian, il s'était mis à travailler le grand jury... celui de l'opinion publique.

— Tout le temps qu'on a passé à m'accuser alors que le vrai assassin cavalait partout en liberté ! s'écria-t-il.

Concise et bien envoyée, cette formule ! Il était bon. J'allai me frayer un chemin à travers la foule pour l'attraper lorsque Dennis Wojciechowski m'intercepta.

– Suis-moi, dit-il.

Nous descendîmes le couloir pour nous éloigner de la cohue.

– Qu'est-ce qu'il y a, Cisco ? Je me demandais où tu étais.

– J'ai été très occupé. J'ai le rapport de Floride. Tu veux l'entendre ?

Je lui avais dit ce qu'Elliot m'avait raconté sur son rôle dans sa prétendue organisation. Son histoire m'avait paru assez sincère mais à la lumière du jour, je m'étais obligé à ne pas oublier un truisme des plus simples – à savoir que tout le monde ment —, et avais demandé à Cisco de voir ce qu'il pouvait faire pour avoir confirmation de ses propos.

– Allez, vas-y, balance, lui dis-je.

— J'ai eu recours à un privé de Fort Lauderdale avec qui j'ai déjà travaillé. Tampa se trouve de l'autre côté de l'État, mais je voulais bosser avec un type que je connaissais et en qui j'avais confiance.

– Je comprends. Qu'est-ce qu'il a trouvé ?

– Que le grand-père d'Elliot a fondé une société d'exportation de phosphates il y a soixante-dix-huit ans de ça. Qu'il y a travaillé, que le père d'Elliot y a travaillé après lui et qu'Elliot y a aussi bossé. Sauf qu'il n'aimait pas beaucoup se salir les mains dans le phosphate et qu'il a vendu l'affaire un an après que son père est mort d'une crise cardiaque. La société étant privée, l'acte de vente n'est pas public. À l'époque, les journaux en ont quand même évalué le montant aux environs de trente-deux millions de dollars.

– Et le crime organisé dans tout ça ?

– Mon type n'a rien reniflé de ce côté-là. Pour lui, tout ça lui semblait bon et propre... légalement parlant, s'entend. Elliot t'a dit qu'il servait de paravent et qu'on l'a envoyé ici pour investir le pognon. Il ne t'a pas dit qu'il avait vendu sa propre société et qu'il en rapportait aussi le fric. Il te raconte des craques.

J'acquiesçai.

– Bien, Cisco, merci, dis-je.

– As-tu besoin de moi au tribunal ? J'ai encore deux ou trois trucs à finir. J'ai entendu dire que le juré numéro sept n'est pas venu ce matin.

– C'est vrai ; il est quelque part dans la nature. Et, non, je n'ai pas besoin de toi au tribunal.

– OK, mec, à plus.

Il se dirigea vers les ascenseurs et je me retrouvai à regarder mon client qui dissertait avec les journalistes. Je sentis comme une brûlure monter lentement en moi et gagner en intensité au fur et à mesure que je fendais la foule pour le rejoindre.

– Bien, lançai-je à tout le monde, on arrête là ! On ne fait plus de commentaires. Du tout.

J'attrapai Elliot par le bras, le sortis de la foule et lui fis descendre le couloir. Je chassai encore deux ou trois reporters qui nous suivaient jusqu'à ce qu'enfin, hors de portée d'oreilles, nous puissions parler librement.

– Walter, lui dis-je, qu'est-ce que vous fabriquiez ?

Il jubilait. Il ferma le poing et le brandit plusieurs fois en l'air.

– Je le leur foutais dans le cul ! Oui, au procureur et aux shérifs, à tous !

– Ouais, bon, ben... vaudrait mieux attendre un peu. On a encore du chemin à faire. On a peut-être remporté la victoire aujourd'hui, mais on n'a pas encore gagné la guerre.

– Oh, allons ! C'est dans la poche, Mick. Putain de Dieu, elle a été géniale ! Même que j'ai envie de l'épouser !

– Ouais, bon, c'est gentil, mais attendons de voir comment elle se débrouille en contre avant de lui acheter la bague, d'accord ?

Une autre journaliste se pointant alors, je lui dis de dégager, puis me retournai vers mon client.

– Écoutez, Walter, faut qu'on cause.

– D'accord, allez-y.

– J'ai mis un détective privé sur vos histoires en Floride et je viens d'apprendre que c'était des conneries. Vous m'avez menti, Walter, et je vous avais dit de ne jamais le faire.

Il hocha la tête et eut l'air agacé que je lui dégonfle ainsi son enthousiasme. Pour lui, être pris en flagrant délit de mensonge n'était qu'un inconvénient mineur, et ça l'ennuyait que j'aie même seulement osé soulever le sujet.

– Pourquoi m'avez-vous menti, Walter ? repris-je. Pourquoi avez-vous trafiqué cette histoire ?

Il haussa les épaules et se détourna de moi pour me répondre.

– Cette histoire ? Je l'ai trouvée dans un scénario. Même que j'ai refusé le projet. Mais je n'ai pas oublié l'histoire.

– Mais pourquoi ? Je suis votre avocat. Vous pouvez tout me dire. Je vous ai demandé de me dire la vérité et vous m'avez menti. Pourquoi ?

Enfin, il me regarda dans les yeux.

– Je savais que je devais vous allumer un feu sous les fesses.

– Un feu ? Quel feu ? De quoi parlez-vous ?

– Allons, Mickey. Ne commençons pas à...

Il se retourna pour regagner la salle d'audience, mais je l'attrapai durement par le bras.

– Non, Walter, je veux vous l'entendre dire. De quel feu parlez-vous ?

– Tout le monde est en train de rentrer. La pause est terminée et nous devrions être dans la salle.

Je l'agrippai encore plus fort.

– Quel feu, Walter ?

– Vous me faites mal au bras.

Je desserrai mon étreinte, mais ne le lâchai pas. Et ne le quittai pas des yeux.

– Quel feu ? répétai-je.

Il se détourna et me gratifia d'un sourire du genre : « Et merde, tiens ! » Je finis par lui lâcher le bras.

– Écoutez, me dit-il. Dès le début, j'avais besoin que vous croyiez à mon innocence. C'était la seule façon que j'avais d'être sûr que vous sortiriez le grand jeu. Que vous seriez impitoyable.

Je le dévisageai et vis son sourire se muer en petit air de fierté.

– Je vous ai dit que je savais lire les visages, reprit-il. Je savais que vous aviez besoin d'avoir quelque chose en quoi croire. Je savais que si j'étais un peu coupable, mais pas coupable du gros crime, cela vous donnerait ce dont vous aviez besoin. Que ça vous rendrait votre flamme.

On dit que les meilleurs acteurs d'Hollywood sont du mauvais côté de la caméra. À ce moment-là, je sus que c'était vrai. Je sus aussi qu'il avait tué sa femme et son amant, et qu'il en était même fier. Je retrouvai enfin ma voix et parlai :

– Où vous êtes-vous procuré l'arme ?

– Oh, j'en avais une. Je l'avais achetée en fraude à un marché aux puces dans les années soixante-dix. J'étais un grand fan de Dirty Harry et je voulais un mag.44. Je le gardais à la maison de Malibu pour notre protection. Il y a beaucoup de vagabonds sur la plage.

– Que s'est-il vraiment passé dans cette maison, Walter ?

Il hocha la tête comme s'il avait depuis toujours choisi cet instant pour me le dire.

– Ce qui s'est passé, c'est que je suis allé à la maison de Malibu pour la confronter, elle et le type avec qui elle baisait régulièrement tous les lundis. Sauf que, en arrivant, j'ai compris que c'était Rilz. Elle me l'avait fait passer pour un pédé, elle l'avait invité à dîner, à des soirées et à des premières où on était allés ensemble et ils devaient se marrer dans mon dos. Ils devaient se payer ma tête, Mick.

« Ça m'a rendu fou. Enragé, même. J'ai sorti l'arme de l'armoire, j'ai enfilé des gants en caoutchouc que j'avais trouvés sous l'évier et je suis monté à l'étage. Vous auriez dû voir la tête qu'ils ont faite en voyant cette arme énorme !

Je le dévisageai longuement. J'avais déjà eu des clients qui m'avaient tout avoué. Mais en général ils le faisaient en pleurant et se tordaient les mains pour combattre les démons que leurs crimes avaient fait naître en eux. Pas Walter Elliot. Walter Elliot, lui, était glacé jusqu'à la moelle.

– Comment vous êtes-vous débarrassé de votre arme ? Je n'étais pas allé à Malibu tout seul. J'avais des gens avec moi et ce sont eux qui m'ont débarrassé de mon arme, des gants et de mon premier jeu d'habits. Après ils sont descendus sur la plage, sont remontés jusqu'au Pacific Coast Highway et ont pris un taxi. Pendant ce temps-là, je me suis lavé et changé avant d'appeler le 911.

– Qui vous a aidé ?

– Vous n'avez pas besoin de le savoir.

Je hochai la tête. Pas parce que j'étais d'accord avec lui. Seulement parce que je le savais déjà. Je revis en un éclair Nina Albrecht en train de déverrouiller sans le moindre problème la porte donnant sur la terrasse alors que j'avais été incapable de l'ouvrir. Cela montrait une familiarité avec la chambre à coucher du patron qui m'avait frappé dès que je l'avais constatée.

Je me détournai de mon client et regardai le dallage. Des millions de gens l'avaient éraflé en faisant des millions de kilomètres pour que justice leur soit rendue.

– Je n'ai jamais compté sur ces histoires de transfert, Mick, reprit-il. Quand les flics m'ont dit qu'ils voulaient faire le test, j'ai été pour. Je me croyais libre de toute trace de poudre, ils le verraient et tout serait dit. Pas d'arme, pas de traces de poudre, pas d'affaire Elliot.

Il hocha la tête en repensant à la manière dont il l'avait échappé belle et ajouta : – Je remercie Dieu qu'il y ait des avocats comme vous.

Je levai brusquement les yeux vers lui.

– Avez-vous tué Jerry Vincent ?

Il me renvoya mon regard et hocha la tête.

– Non, dit-il, je ne l'ai pas tué. Mais c’a été un sacré coup de bol parce que je me suis retrouvé avec un meilleur avocat.

Je ne sus pas quoi répondre. Je regardai la porte de la salle d'audience à l'autre bout du couloir. Le garde nous y attendait. Il leva la main en l'air et me fit signe d'entrer. La pause était terminée et le juge était prêt. Je hochai la tête et levai un doigt en l'air. Attendez. Je savais que le juge ne commencerait pas tant qu'on ne lui aurait pas confirmé que les avocats étaient à leur place.

– Retournez dans la salle, dis-je à Elliot. Il faut que j'aille aux toilettes.

Elliot rejoignit calmement l'endroit où se trouvait le garde. Je me dépêchai d'entrer dans les toilettes proches et gagnai un des lavabos. Et me passai de l'eau froide sur la figure. Mon plus beau costume et ma chemise en furent tachés, mais je m'en foutais.

Le Verdict du Plomb
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