36.

 

Les jurés entrèrent dans la salle en file indienne, tels les Lakers prenant possession du terrain de basket. S'ils ne portaient pas tous le même uniforme, c'était la même attente qu'on sentait dans l'air. La partie allait commencer. Ils se séparèrent en deux files et gagnèrent les deux rangées de sièges qui leur étaient réservées.

Ils s'étaient munis de stylos et de blocs sténo. Ils s'installèrent aux places qu'ils avaient occupées le vendredi précédent, lorsque le jury avait été définitivement formé.

Il était presque 10 heures du matin ce lundi-là, soit plus tard que prévu pour l'ouverture de la séance. En fait, le juge Stanton avait convoqué un peu plus tôt les avocats et l'accusé dans son cabinet et passé presque quarante minutes à expliquer les dernières règles de procédure – et pris tout son temps pour me faire comprendre avec force coups d'oeil appuyés combien lui déplaisait l'article publié en première page de l'édition du matin du Los Angeles Times. Son souci essentiel était que celui-ci penchait lourdement en faveur de la défense et me faisait passer pour une victime des plus sympathiques. Bien que le vendredi précédent il ait exhorté les nouveaux jurés à ne lire ou regarder aucun reportage sur l'affaire ou le procès, il craignait que l'article n'ait fait son chemin.

Pour ma défense, je lui rappelai que j'avais donné l'interview dix jours plus tôt et ce pour un article qui, m'avait-on dit, devait être publié une semaine avant le début du procès. Golantz eut un petit sourire narquois et affirma que mon explication laissait entendre que j'avais alors essayé d'influer sur la sélection des jurés en donnant cette interview plus tôt, mais qu'au lieu de cela, c'était tout le procès qu'elle affectait. Je le contrai en faisant remarquer que l'accusation avait bel et bien été contactée, mais qu'elle avait refusé d'y aller du moindre commentaire. Bref, si l'article était à sens unique, c'était bien à cause de cela.

Stanton parut se ranger à mon avis en bougonnant, mais nous mit tous les deux en garde contre toute tentative de parler aux médias. Je sus alors que j'allais devoir annuler l'accord que j'avais passé avec Court TV et qui prévoyait que je commente le procès dès la fin de chaque séance. La publicité aurait certes été bienvenue, mais je ne tenais pas à être en froid avec le juge.

Nous passâmes à autre chose. Stanton avait très envie d'allouer un budget temps pour le procès. Comme tous les juges, il devait faire en sorte que ça avance. Il avait déjà des affaires en retard et tout procès traînant en longueur ne faisait qu'ajouter à ses retards. Il voulait savoir combien de temps chaque côté pensait devoir prendre pour formuler ses thèses. Golantz affirma qu'il lui faudrait un minimum d'une semaine, j'affirmai avoir besoin de la même chose bien que d'un point de vue réaliste je sache très bien qu'il m'en faudrait probablement beaucoup moins. Ce serait pendant la phase accusatoire que l'essentiel de ma défense serait révélé, qu'à tout le moins les grandes lignes en seraient posées.

Stanton fît la grimace en entendant ces pronostics et nous suggéra à tous les deux de songer sérieusement à en rabattre. Pour lui, c'était pendant que leur attention était encore forte que nous devions faire comprendre nos points de vue aux jurés.

Je scrutai ces derniers lorsque enfin ils s'assirent et cherchai le moindre signe révélateur d'un quelconque parti pris. Tel qu'il était composé, le jury me plaisait toujours, surtout le juré numéro trois, l'avocat. Il y avait bien quelques jurés qui me posaient problème, mais pendant le week-end j'avais décidé de plaider pour l'avocat en espérant qu'il pousse et tire ses collègues comme il fallait lorsqu'il voterait l'acquittement.

Du côté des jurés, on ne cherchait le regard de personne, et quand on le faisait, c'était celui du juge, le chien alpha de la salle.

Pour autant que je puisse en juger, aucun ne jetait même seulement un regard du côté des tables de la défense ou de l'accusation.

Je me retournai et contemplai la galerie. La salle était à nouveau pleine de gens des médias, de spectateurs et de personnes ayant des liens de sang avec les individus impliqués dans l'affaire.

Juste derrière la table de l'accusation se tenait la mère de Mitzi Elliot qui était venue de New York en avion. À côté d'elle avaient pris place le père et les deux frères de Johan Rilz qui, eux, avaient fait tout le trajet depuis Berlin. Je remarquai que Golantz avait placé la mère endeuillée à un endroit de l'allée où les jurés ne pourraient rien rater de son flot continu de larmes.

La défense avait cinq sièges réservés dans la première rangée derrière moi. S'y trouvaient assis Lorna, Cisco, Patrick et Julie Favreau, la dernière arrivée. Je venais de l'embaucher pour toute la durée du procès afin qu'elle observe les jurés à ma place. Je ne pouvais pas les regarder tout le temps et parfois ils montrent ce qu'ils sont vraiment lorsqu'ils pensent que personne ne les surveille.

Le cinquième et dernier siège vide était réservé à ma fille.

Pendant le week-end, j'avais espéré convaincre mon ex-femme de m'autoriser à excuser Hayler pour une journée d'école afin qu'elle puisse m'accompagner au tribunal. Ma fille ne m'avait jamais vu travailler et je me disais que les déclarations préliminaires étaient le bon moment pour l'inviter. J'avais confiance dans l'issue du procès. Je me sentais à l'abri des coups bas et voulais qu'elle le voie. L'idée était qu'elle s'assoie à côté de Lorna, qu'elle connaissait et aimait bien, et qu'elle me regarde opérer devant un jury.

Pour convaincre mon ex, j'avais même eu recours à la célèbre phrase de Mark Twain pour lui demander de dispenser ma fille d'école une journée afin qu'elle apprenne enfin quelque chose.

Mais c'était une cause perdue d'avance. Mon ex-femme avait refusé. Ma fille était allée à l'école et son siège réservé était vide.

Walter Elliot, lui, n'avait personne dans la galerie. Il n'avait ni enfants ni parents dont il se sente proche. Nina Albrecht m'avait demandé si elle pourrait avoir une place dans la galerie afin de montrer qu'elle le soutenait, mais citée à témoigner par l'accusation et par la défense, elle s'était vu interdire d'assister aux débats jusqu'à la fin de son témoignage. En dehors d'elle, mon client n'avait donc personne. Et c'était voulu. Il avait plein d'associés, de gens qui lui voulaient du bien et de simples badauds qui avaient envie d'être là pour lui. Il avait même une liste d'acteurs de premier plan prêts à s'asseoir derrière lui pour lui montrer leur soutien. Mais je lui avais fait comprendre qu'installer des gens de son entourage hollywoodien ou des avocats d'affaires derrière lui, ce serait envoyer un très mauvais message aux jurés. Car tout tourne autour d'eux, lui avais-je expliqué. Le moindre signal qu'on leur adresse, de la cravate qu'on choisit de porter aux témoins qu'on décide de citer à comparaître, tout leur est destiné. À eux, les anonymes.

Le jury s'étant assis et mis à l'aise, le juge Stanton ouvrit officiellement les débats en demandant si l'un quelconque des jurés avait vu l'article dans le Times du matin. Personne ne levant la main, il rappela alors qu'il leur était interdit de lire ou de regarder quoi que soit ayant trait au procès dans les médias.

Puis il leur annonça que le procès allait commencer par les déclarations préliminaires des avocats des deux parties.

— Mesdames et messieurs, lança-t-il, ce sont des déclarations que vous allez entendre. Il ne s'agit pas de preuves. Il reviendra plus tard aux deux parties de présenter les éléments de preuves qui étayent ces déclarations. Et ce sera à vous de décider à la fin du procès si la démonstration a été réussie.

Sur quoi il fit un signe à Golantz et ajouta que c'était à l'accusation de commencer. Comme il l'avait été précisé pendant les réunions avant procès, chaque partie aurait une heure pour exposer ses thèses. Je ne savais pas pour Golantz, mais moi, je savais qu'il me faudrait bien moins que ça.

Beau et impressionnant dans son costume noir, sa chemise blanche et sa cravate bordeaux, Golantz se leva et s'adressa aux jurés depuis la table de l'accusation. Pour le procès, il s'était fait assister par une jeune et séduisante avocate du nom de Denise Dabney. Elle avait pris place à côté de lui et garda les yeux fixés sur le jury tout le temps de son intervention. Façon comme une autre de travailler en équipe, deux paires d'yeux ne cessant de passer et repasser sur les visages des jurés et de leur faire sentir le sérieux et la gravité de la tâche qui les attend.

Les deux présentations faites – la sienne et celle de son assistante —, Golantz entra dans le vif du sujet.

– Mesdames et messieurs les jurés, dit-il, c'est à des débordements de colère et de cupidité que nous devons de nous trouver ici aujourd'hui. Purement et simplement. Puissance, argent et standing, l'accusé, Walter Elliot, est en effet un homme qui compte dans notre communauté. Mais cela ne lui suffisait pas. Il n'a pas voulu diviser son argent et sa puissance. Face à la trahison, il n'a pas voulu tendre l'autre joue. Tout au contraire, il a frappé de la façon la plus extrême qui soit. Ce n'est pas une vie qu'il a prise, mais deux. Dans un moment de grandes humiliation et colère, il a levé une arme et abattu son épouse Mitzi Elliot et Johan Rilz. Et a cru que sa puissance et son argent le mettraient au-dessus des lois et à l'abri de la punition réservée à ces horribles crimes. Mais cela ne sera pas. Le ministère public vous prouvera sans qu'il y ait l'ombre d'un doute raisonnable que c'est bien lui, Walter Elliot, qui a appuyé sur la détente et qui est responsable de la mort de deux innocents.

Je m'étais tourné sur mon siège, pour une moitié afin d'empêcher les jurés de voir mon client et pour une autre de façon à pouvoir garder dans ma ligne de mire Golantz et les rangées de la galerie derrière lui. Il n'avait pas fini son premier paragraphe que les larmes coulaient à flots sur le visage de la mère de Mitzi Elliot et ça, il allait falloir que je le signale au juge sans que le jury m'entende. Les effets de scène étant préjudiciables à ma cause, j'allais lui demander de faire asseoir la maman de la victime à un endroit moins central pour l'attention du jury.

Je regardai derrière la maman éplorée et découvris les visages grimaçants des Allemands. Je m'intéressais beaucoup à eux et à l'effet qu'ils feraient aux jurés. Je voulais voir comment ils géraient leurs émotions et le décor d'un prétoire américain. Plus ils auraient l'air sinistre et menaçant, mieux fonctionnerait ma stratégie de défense lorsque j'en viendrais à Johan Rilz. À les voir à ce moment-là, je compris que je prenais un bon départ. Ils avaient l'air très en colère et super-méchants.

Golantz exposa sa thèse aux jurés et leur annonça les témoignages et les éléments de preuve qu'il leur présenterait et ce que cela signifiait à ses yeux. Aucune surprise là-dedans. À un moment donné, je reçus un texto d'une ligne de Favreau et le lus sous la table.

Favreau : Ils sont suspendus à ses lèvres. T'as intérêt à être bon.

Ben voyons, me dis-je. À part ça, quoi de neuf, hein ?

Dans tout procès, l'accusation bénéficie d'un avantage aussi injuste qu'inhérent à son essence. Le ministère public a en effet le pouvoir et la puissance de son côté. Et en plus, on présume toujours qu'il est honnête, intègre et juste. L'idée dans la tête de tout juré et de tout spectateur est bien que le procureur ne serait pas là si la fumée qu'on voit ne conduisait pas au feu qui brûle.

C'est ce présupposé que tout avocat de la défense se doit de démolir. Car la présomption doit être celle de l'innocence de l'accusé. Mais toute personne qui a jamais mis les pieds dans une salle d'audience en qualité d'avocat ou d'accusé sait bien que ce n'est là qu'une des multiples notions idéalistes qu'on enseigne dans les facs de droit. Aussi bien dans ma tête que dans celle de tout le monde, il ne faisait aucun doute que j'entamais ce procès avec un accusé présumé coupable. Il allait falloir que je trouve un moyen de prouver son innocence ou de démontrer que le ministère public s'était, lui, montré coupable de malfaisance, d'ineptie ou de corruption dans la préparation de son dossier.

Golantz utilisa toute l'heure qui lui était allouée et ne laissa rien de côté dans son exposé des faits. Il fit montre de l'arrogance typique du procureur : on déballe tout et on met la défense au défi de prouver le contraire. L'accusation joue toujours les gorilles de trois cents kilos, les individus si imposants et costauds qu'ils n'ont pas besoin de faire dans la finesse. Quand on brosse un tableau, c'est avec un pinceau de douze centimètres et quand on l'accroche au mur, c'est avec un pieu et un marteau de forgeron.

Lors de la réunion pré-procès, le juge nous avait informés que nous devrions rester à nos tables ou nous servir du lutrin installé entre elles pour nous adresser aux témoins. Mais l'énoncé des déclarations préliminaires et des conclusions faisait exception à la règle. Pendant ces deux moments qui, tels des serre-livres, ouvrent et closent les débats, nous étions libres d'utiliser l'espace qui se trouve devant le box des jurés – l'endroit que les vétérans de la défense appellent « le terrain de la preuve » parce que c'est de là et à ce seul moment du procès que l'on s'adresse directement aux jurés et réussit ou rate sa démonstration.

Golantz finit donc par passer de la table de l'accusation au terrain de la preuve lorsque arriva l'heure du grand finish. Il se positionna juste devant le milieu du box et ouvrit grand les bras comme le prêcheur devant ses ouailles.

– Mes amis, lança-t-il, c'est ici que le temps me manque. Voilà pourquoi au moment de clore, je vous prie de prendre grand soin d'écouter les preuves et les témoignages. C'est le sens commun qui vous guidera. Je vous conseille vivement de ne pas vous laisser embrouiller ou détourner par les obstacles à la justice que la défense va déployer devant vous. N'oubliez jamais l'essentiel.

Souvenez-vous de ceci : deux personnes se sont fait ravir la vie.

Leur avenir leur a été arraché. C'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui. Pour eux. Je vous remercie.

Le bon vieux coup de l'essentiel-qu'il-ne-faut-jamais-oublier.

Le truc qu'on balançait dans toutes les salles d'audience depuis l'époque où j'étais avocat commis d'office. Ça n'en restait pas moins un coup d'envoi assez solide de sa part. Il n'allait pas remporter le trophée des orateurs de l'année avec ça, mais il avait bien exposé sa thèse. D'après mes comptes, il avait aussi fait au moins quatre fois usage de « mes amis » en s'adressant aux jurés, chose que je ne me serais, moi, jamais autorisée.

Pendant la dernière demi-heure de son discours, Favreau m'avait envoyé deux textos de plus pour me signaler l'intérêt de plus en plus faiblissant des jurés. Ils avaient peut-être bu ses paroles au début, mais là il semblait bien qu'ils en avaient assez.

Parler trop longtemps, ça arrive. Golantz avait tenu quinze rounds tel le boxeur catégorie poids lourds. J'allais, moi, faire dans le welter. Ce qui m'intéressait, c'était les petits crochets rapides. J'allais frapper et me retirer, expliquer deux ou trois points essentiels, semer des doutes ici et là et soulever quelques questions. J'allais tout faire pour qu'on m'aime bien. C'était ça le principal. Qu'ils m'aiment et ils aimeraient ma présentation.

Le juge m'ayant fait un signe de tête, je me levai et occupai tout de suite le terrain de la preuve. Je voulais qu'il n'y ait plus rien entre les jurés et moi. Je savais aussi que cela me plaçait pile dans l'axe focal de la caméra de Court TV montée au-dessus du box des jurés.

Je me présentai en n'y allant en tout et pour tout que d'un léger hochement de tête en guise de salutation.

– Mesdames et messieurs, lançai-je, je sais que le juge m'a déjà présenté, mais j'aimerais quand même nous présenter, mon client et moi. Je m'appelle Michael Haller et je représente Walter Elliot, que vous voyez ici, assis seul à cette table.

Je leur montrai Elliot du doigt, lequel Elliot, selon ce qui avait été convenu à l'avance, leur répondit en hochant lugubrement la tête et ne leur offrant aucune espèce de sourire qui aurait pu paraître aussi patelin que de les appeler « mes amis ».

— Je ne vais pas vous prendre beaucoup de temps parce que c'est aux témoignages et aux preuves, enfin... au peu qu'il y en a, que je veux m'attaquer tout de suite pour que le spectacle commence. Assez bavardé. L'heure est venue de montrer ses atouts ou de plier. Maître Golantz vous a fait un tableau aussi vaste que compliqué. Il lui a fallu une heure entière pour le brosser. Mais moi, je suis ici pour vous montrer que cette affaire n'est pas aussi compliquée que ça. En fait, tout cela se résume à un gros labyrinthe de fumée et de miroirs. Évacuez la fumée et parcourez le labyrinthe et vous le comprendrez. Vous découvrirez aussi qu'il n'y a pas de feu, qu'il n'y a de fait rien à reprocher à Walter Elliot. Qu'il y a ici beaucoup plus qu'un doute raisonnable, qu'il y a même quelque chose de scandaleux à ce qu'on ait pu oser monter cette affaire contre Walter Elliot.

Sur quoi je me tournai encore une fois pour leur montrer mon client. Celui-ci avait baissé les yeux sur son bloc de feuilles et y portait des notes. Même chose : selon ce qui avait été convenu à l'avance, il apparaissait ainsi comme quelqu'un d'occupé, quelqu'un qui s'impliquait activement dans sa défense. On faisait front, on ne se laissait pas inquiéter par les horribles choses que le procureur venait de dire. On avait le droit de son côté, et le droit, c'était la force.

Je me retournai vers les jurés et enchaînai.

— J'ai remarqué que maître Golantz a utilisé six fois le mot « arme » dans son discours. Six fois il a dit que Walter s'était emparé d'une « arme » pour abattre la femme qu'il aimait et un spectateur innocent qui se trouvait là. Six fois. Mais ce qu'il ne vous a pas dit six fois, c'est qu'une « arme », il n'y en a pas. Mon client n'a pas d'arme. Pas plus que les services du shérif. Ils n'ont ni arme ni lien entre Walter et une arme quelconque pour la bonne et simple raison que mon client n'en possède pas.

« Maître Golantz vous a aussi annoncé qu'il allait vous présenter des preuves indiscutables du fait que Walter aurait fait feu, mais que je vous dise : accrochez-vous bien à la rampe.

Gardez sa promesse bien au chaud dans votre poche et nous verrons bien si à la fin de ce procès ces preuves prétendument indiscutables l'étaient vraiment. Nous verrons bien si même elles tiennent encore debout à ce moment-là.

Tandis que je parlais, mes yeux n'arrêtaient pas de se promener de juré en juré tels les projecteurs qui le soir balaient le ciel au-dessus d'Hollywood. Je n'arrêtais pas de bouger, mais calmement.

Je sentais qu'il y avait un certain rythme dans mes pensées et savais d'instinct que je tenais les jurés. Tous autant qu'ils étaient, ils marchaient avec moi.

– Je sais que dans notre société nous voulons que les policiers chargés de faire respecter la loi soient tous des professionnels et aussi bons que possible. Nous voyons des crimes aux nouvelles et dans les rues et nous savons que ces hommes et ces femmes sont la feuille de papier cigarette qui sépare l'ordre du désordre. Et bien sûr, ça, je le veux autant que vous. J'ai moi-même été la victime de violences. Je sais ce que ça fait. Alors, nous voulons que nos policiers s'en mêlent et sauvent la situation. Après tout, c'est pour ça que nous en avons.

Je m'arrêtai et survolai du regard tous les jurés, en m'arrêtant ici et là un bref instant sur des visages avant de poursuivre.

– Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est passé ici. Les preuves, et c'est de celles que vous présentera l'accusation que je vous parle, montreront à l'évidence que c'est dès le début que les enquêteurs se sont focalisés sur un seul et unique suspect, Walter Elliot. Elles montreront qu'à partir du moment où Walter est devenu le suspect de la police, plus rien n'a compté. Toutes les autres pistes possibles ont été abandonnées, voire même plus envisagées. On tenait un suspect et ce qu'on croyait être un mobile, il n'était plus question de jeter un coup d'oeil en arrière.

On n'a même plus regardé ailleurs.

Pour la première fois depuis le début, je me déplaçai. Je m'approchai de la barrière, à la hauteur du juré numéro un. Et lentement je longeai le box, ma main glissant sur la barrière.

– Mesdames et messieurs, repris-je, nous avons ici affaire à un beau cas de rétrécissement du champ visuel. C'est sur un seul et unique suspect qu'on se focalise et on oublie tout le reste. Je vous promets, moi, que lorsque vous sortirez de cette espèce de tunnel creusé par l'accusation, vous vous regarderez et vous frotterez les yeux à la lumière. Et vous vous demanderez de quoi diable on voulait donc parler. Je vous remercie.

Ma main quittant lentement la barrière, je repris la direction de mon siège. Avant même que je m'assoie, le juge levait la séance pour le déjeuner.

Le Verdict du Plomb
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