CHAPITRE QUATORZE

 

 

— Qu’on s’occupe de lui ! s’écria Owain, contemplant, impassible, l’homme qui gisait au sol. Gwion remua les mains, essayant d’étreindre les galets polis près de lui, mais il était trop faible.

— Il respire encore. Emmenez-le et soignez-le. Il y a déjà eu assez de morts comme ça, inutile d’en ajouter un autre.

On se hâta de lui obéir. Trois combattants du premier rang, avec Cuhelyn à leur tête, se précipitèrent vers Gwion pour le retourner doucement sur le dos et lui dégager la bouche et les narines du sable qui l’étouffait. A l’aide de lances et de boucliers ils disposèrent un brancard improvisé et le couvrirent de leurs manteaux pour l’emporter. Sans qu’on le remarque, frère Cadfael s’écarta du rivage et suivit le brancard à l’abri des dunes. Il n’avait pas grand-chose sur lui en matière de linges et de pansements, mais en attendant de pouvoir s’occuper du blessé dans des conditions moins précaires, c’était mieux que rien.

Owain regarda la mare de sang qui noircissait à ses pieds et se perdait dans les galets avant de lever la tête vers Otir.

— C’est un vassal de Cadwalader, d’une fidélité inaltérable. Il n’empêche qu’il a mal agi. S’il vous a causé des pertes, vous vous êtes remboursé.

Deux des fidèles de Gwion étaient étendus sur la grève, juste au bord de l’eau, bercés par l’avancée des vagues. Un troisième était parvenu à se remettre à genoux et ceux qui étaient à côté de lui l’aidaient à se redresser. Il avait été sérieusement blessé à l’épaule et au bras, mais ses jours n’étaient pas en danger. Otir ne se donna pas la peine de mentionner les trois hommes qui étaient déjà à bord et qu’on remmenait chez eux pour les enterrer. Pourquoi perdre sa jeunesse et son temps à se plaindre auprès de quelqu’un qui n’y n’était pour rien et qui de plus désapprouvait cette folie ?

— Je propose que l’on s’en tienne aux accords que nous avions passés, ni plus ni moins, proposa-t-il. Vous n’avez aucune responsabilité dans cette affaire, ni moi non plus d’ailleurs. C’est eux qui l’ont voulu et ce qui s’est passé nous concerne exclusivement eux et moi.

— Ainsi soit-il ! commenta Owain. A présent je vous invite à ranger vos armes et à embarquer vos troupeaux. Ensuite vous rentrerez chez vous, avec ma bénédiction, cette fois, ce qui n’était pas le cas quand vous êtes venus, je crois. Et laissez-moi vous signaler que si jamais vous posez à nouveau le pied sur mes terres sans mon consentement, je vous rejetterai à la mer manu militari. Vous vous en tirez bien, mais n’y revenez pas à si bon compte.

— Quant à moi, je vous rends votre frère, répliqua Otir tout aussi froidement. Plus exactement je lui rends sa liberté, car notre marché ne vous concernait pas. Il peut aller où il veut, rester ou se réconcilier avec vous s’il le désire, seigneur.

Il se tourna vers ceux de ses soldats qui continuaient à encadrer un Cadwalader dont la mine n’était pas reluisante ! Il avait été réduit à néant, la question de sa libération s’était réglée par l’intermédiaire d’autres hommes, même s’il était le seul responsable de ce conflit avorté. Pendant que d’autres disposaient de son sort, il avait été obligé de garder le silence et n’avait pas eu voix au chapitre pendant que son honneur et ses biens étaient en jeu. Son attitude avait toutefois provoqué un sentiment général de répulsion. Forcé de se taire, il avait dû ravaler son amertume et la rage qui lui brûlait la langue, faute de pouvoir s’exprimer, cependant que ses ravisseurs le laissaient aller en s’écartant ouvertement de lui. Il se dirigea vers l’endroit de la côte où se tenait son frère.

— Chargez vos vaisseaux ! lui conseilla Owain. Vous avez jusqu’à ce soir pour quitter le pays.

Et là-dessus, il lui tourna le dos et se mit en devoir de regagner son camp au pas tranquille de son cheval. Ses guerriers reformèrent les rangs et le suivirent au pas cadencé. Ceux qui restaient de la malheureuse troupe des compagnons de Gwion, après avoir été sévèrement étrillés, remportèrent leurs morts et s’en allèrent d’une démarche lourde, abandonnant les lieux aux vachers et aux bêtes qu’ils convoyaient. Complètement seul, s’isolant des autres, le visage sombre, furieux, Cadwalader marcha à la suite de son frère.

 

Dans l’herbe épaisse où on l’avait allongé, Gwion ouvrit les yeux.

— Il y a un aveu que je dois à Owain Gwynedd.

Il faut que je le voie, murmura-t-il d’une voix très faible mais parfaitement audible.

Cadfael était agenouillé auprès de lui, s’efforçant d’étancher le sang qui s’écoulait d’une blessure que le jeune homme avait reçue au côté, sous le cœur, à l’aide des quelques pansements dont il disposait. Cuhelyn était là aussi et la tête du blessé reposait sur ses genoux. Il essuyait l’écume sanglante qui se formait à la commissure de ses lèvres entrouvertes et la sueur de son front déjà glacé. La mort était là qui approchait sans se presser. Il leva les yeux vers Cadfael et murmura très bas :

— Il est indispensable de le ramener au camp. Allons-y sans tarder.

— Il n’est pas question de le transporter, répondit Cadfael sur le même ton. Si on le soulève, on le tue sur-le-champ.

Quelque chose qui ressemblait à un sourire, mais si bref, si pâle, effleura les lèvres de Gwion.

— Il va donc falloir qu’Owain se déplace, souffla-t-il doucement. Il a plus de temps devant lui que moi. Il va venir, il s’agit d’une question qui le hante et sur laquelle personne d’autre ne peut lui apporter d’éclaircissements.

Cuhelyn écarta les cheveux trempés qui collaient au front du garçon. Celui-ci ne profiterait pas encore longtemps de ce genre d’attention. Sa main était ferme et douce. Il n’y avait plus d’hostilité entre eux, elle n’était plus de saison. Après tout, à leur façon, ils avaient été amis. Il y avait toujours entre eux la même ressemblance, comme deux images renversées dans un miroir.

— Je saute sur mon cheval. Un moment de patience et je le ramène.

— Dépêchez-vous ! prononça Gwion avant de refermer les lèvres sur un sourire qui lui tordait la bouche.

Cuhelyn avait bondi sur ses pieds et pris la bride de sa monture.

— Et Cadwalader ? demanda-t-il, hésitant. Faut-il qu’il vienne aussi.

— Non, répliqua-t-il, et sous l’effet de la souffrance il détourna le visage.

Quand Otir avait paré le dernier coup, il n’avait pas eu l’intention de lui porter une botte mortelle, mais au moment où Owain avait ordonné l’arrêt des combats, Gwion avait baissé le bras et sa garde, offrant à l’acier son flanc découvert. Personne n’y pouvait plus rien à présent ; ce qui est fait est fait.

Cuhelyn était parti en toute hâte. Personne ne pouvait aller plus vite pour transmettre le message de Gwion et, pour une fois, Cuhelyn n’avait plus l’impression d’avoir un frère jumeau. Cela aussi était terminé.

Gwion était étendu, les yeux fermés, s’efforçant de ne pas montrer qu’il souffrait Cadfael ne trouvait pas cette attitude particulièrement digne d’admiration, c’est seulement qu’il était en train de lui échapper. Ils attendirent de concert. Gwion était complètement immobile, ce qui semblait ralentir l’hémorragie et le maintenir en vie et il ne voulait pas mourir avant la venue d’Owain. De temps à autre, Cadfael prenait de l’eau dans le heaume du blessé pour baigner les tempes et les lèvres du mourant qui se couvraient d’une sueur glacée.

Sur le rivage, tout était calme. Plus de grands cris, mais de simples échanges de voix et l’activité des hommes qui n’étaient plus empêchés de vaquer à leurs occupations, le mugissement du bétail aussi qui traversait les hauts-fonds avant de s’engager sur les rampes menant aux péniches. La traversée pour lui ne serait pas une partie de plaisir, mais au bout de quelques heures, il retrouverait le plancher des vaches, de bons pâturages et de l’eau douce.

— Il va venir ? questionna Gwion, soudain inquiet.

— N’en doutez pas.

Il ne s’était pas trompé. Un moment après, ils entendirent un doux martèlement de sabots et Owain Gwynedd apparut, suivi de Cuhelyn. Ils mirent pied à terre en silence et Owain vint regarder l’agonisant, mais pas de trop près encore, car même si son ouïe était moins bonne, il ne tenait pas à ce qu’il entende ce qui ne lui était pas destiné.

— A-t-il des chances d’y survivre ?

Pour toute réponse, Cadfael secoua la tête.

Owain se laissa tomber sur le sable et se pencha très bas.

— Je suis là, Gwion… Évitez de trop parler. Ce n’est pas indispensable.

Un peu ébloui par le soleil montant, Gwion ouvrit tout grand ses yeux noirs. Cadfael lui humidifia les lèvres qu’il avait toutes sèches et il articulait avec difficulté.

— Si, c’est indispensable, il y a une chose que je dois vous avouer.

— Pour notre tranquillité à tous deux, je vous le répète, les mots sont inutiles, mais si c’est tellement important pour vous, alors je vous écoute.

— Bledri ap Rhys… commença Gwion, qui s’arrêta pour reprendre haleine. Vous vouliez absolument connaître son assassin. N’en tenez personne d’autre pour responsable. C’est moi qui l’ai tué.

Il attendit avec une patience résignée qu’on s’extasie ou qu’on refuse de le croire, mais il n’y eut pas de réaction. Seulement un silence méditatif, qui sembla durer une éternité.

— Pourquoi ? N’était-il pas de votre faction, un fidèle de mon frère, finit par prononcer Owain d’une voix unie, comme à son ordinaire.

— Oui, pendant un temps rétorqua Gwion qui fut secoué par un rire qui lui déforma la bouche au coin de laquelle apparut un mince filet de sang que Cadfael s’empressa d’essuyer. Comme j’ai été heureux de le voir à Aber ! Je savais ce que manigançait mon suzerain. Je brûlais de le rejoindre, je lui aurais révélé tout ce que je connaissais de vos forces et de vos intentions. Je ne vous avais jamais caché que j’étais à lui pour toujours et à jamais. Vous étiez au courant. Mais je ne pouvais pas partir, je vous avais donné ma parole de ne pas quitter Aber.

— Et jusque-là, vous l’aviez tenue !

— Mais Bledri, lui, n’avait pas prêté serment Si moi, je ne pouvais pas bouger, lui était libre de ses mouvements. Je lui ai donc répété tout ce que j’avais appris, les forces que vous étiez susceptible de lever, quand vous pourriez être à Carnarvon, bref tout ce qui était utile à mon seigneur pour sa défense. J’ai volé un cheval aux écuries avant la tombée de la nuit, quand les portes étaient encore ouvertes et je l’ai attaché parmi les arbres à son intention. Comme un imbécile je n’ai pas douté une seule seconde que Bledri serait fidèle à ses engagements. Il m’a écouté jusqu’au bout, sans dire un mot, me laissant croire qu’on était d’accord sur tout.

— Comment espérait-il sortir de la forteresse après la fermeture des portes ? demanda doucement Owain, comme s’il le questionnait sur un point de routine.

— Il y a toujours moyen… Je suis resté longtemps à Aber. Certains ne prêtent pas à leurs clés une attention exagérée. Mais en attendant, il observait tout ce qui se passait à votre cour, moi aussi d’ailleurs, et il y comptait bien. Il évaluait soigneusement ses chances, tout en s’arrangeant pour que personne ne se doute de ce qu’il avait derrière la tête. C’est du moins l’intention que je lui prêtais ! souffla Gwion, amer.

Pendant un instant, la voix lui manqua, mais il retrouva des forces et il continua obstinément.

— Quand je suis allé l’avertir que c’était l’heure, et m’assurer qu’il partait sans encombre, il était couché dans son lit tout nu. Il m’a expliqué sans se troubler qu’il était très bien où il était et qu’il n’avait pas l’intention de bouger. Il n’était pas fou. Il avait vu la puissance que vous aviez à votre disposition, aussi allait-il rester sagement à Aber afin de voir de quel côté soufflait le vent. Si c’était à l’avantage d’Owain Gwynedd, il se rallierait à lui. Je lui ai rappelé son serment. Il m’a ri au nez. Alors je l’ai frappé, conclut Gwion, montrant les dents. Puisque lui s’y était refusé, j’ai compris que je devrais être fidèle envers mon seigneur et donc infidèle envers vous. C’est moi qui partirais à la place de Bledri. Maintenant qu’il avait tourné casaque, il ne me restait plus qu’à le tuer, car pour s’insinuer dans vos faveurs il m’aurait trahi sans l’ombre d’une hésitation. Avant qu’il ne reprenne conscience, je lui ai plongé mon couteau dans le cœur.

La tension qui l’animait se relâcha un peu et il poussa un grand soupir. Il s’était presque complètement acquitté de la tâche qu’il s’était fixée. Le reste n’avait plus beaucoup d’importance.

— Je suis allé prendre le cheval, mais il n’y était plus. Sur ces entrefaites, votre messager a débarqué. J’étais irrémédiablement coincé. J’avais tué pour rien ! J’avais tout organisé pour rien ! Ce dont j’avais été chargé pour Bledri, je ne m’y suis pas dérobé. Par pénitence. Ce qu’il en est advenu, vous le savez déjà. Mais je n’ai pas à me plaindre ! poursuivit-il, se parlant à lui-même. Il est mort sans confession. Je mourrai de même.

Cette phrase ne s’adressait pas à eux mais ils l’avaient entendue.

— Ce n’est peut-être pas utile d’aller jusque-là, objecta Owain avec une compassion empreinte de détachement Demeurez encore un peu ici-bas, mon chapelain va arriver, car je l’ai prié de nous rejoindre.

— Il arrivera trop tard, murmura Gwion en fermant les yeux.

 

Il était cependant encore en vie quand le religieux, qui avait obéi aux injonctions d’Owain, arriva en toute hâte pour entendre l’ultime confession d’un mourant et l’aider à réciter son dernier acte de contrition, car il avait de plus en plus de mal à parler. Cadfael, qui veillait près du lit se demanda si le pénitent comprit qu’on lui donnait l’absolution, car, après que les paroles sacramentelles eurent été prononcées, nul frémissement ne parcourut les traits tirés de Gwion ni n’agita les paupières bombées qui couvraient ses yeux noirs pleins de feu. Plus jamais il ne s’exprimerait en ce bas monde et il ne s’inquiétait guère de ce qui pourrait lui arriver dans celui où il s’apprêtait à entrer. Il avait vécu assez longtemps pour ne pas avoir à se soucier de l’absolution dont il avait un si urgent besoin ni du pardon généreux d’Owain qui n’avait pas été expressément formulé mais libéralement accordé.

 

— Dès demain, il va falloir penser à rentrer, suggéra frère Mark. Nous sommes déjà restés beaucoup trop longtemps, n’est-ce pas ?

Ils étaient l’un à côté de l’autre à la lisière des champs juste à l’extérieur du camp d’Owain, face à la pleine mer. A cet endroit les dunes étaient une simple frange dorée, étroite, menant au rivage, et dans la douce lumière de l’après-midi la mer qui s’étendait devant eux passait d’un bleu mousseux évoquant la texture des nuages à un vert très clair au large et la longue péninsule submergée des hauts fonds brillait toute pâle à travers l’eau. Les bateaux danois s’éloignaient lentement au long des chenaux profonds, jusqu’à prendre la taille de jouets, taches sombres se détachant sur la forte luminosité et poussées vers les rives dublinoises par une bonne brise qui gonflait les voiles. Plus loin, les drakkars légers, encore plus petits, cinglaient allègrement vers leur port d’attache.

Le danger avait été conjuré, les dettes réglées et les deux frères étaient de nouveau ensemble, à défaut de s’être réconciliés. L’affaire aurait pu tourner beaucoup plus mal, et un grand nombre d’hommes auraient pu laisser leur peau. Il y avait d’ailleurs eu des morts, mais en nombre limité.

Demain, de surcroît, on démonterait le camp, les défenses improvisées seraient abattues, les fermiers retourneraient à leurs fermes, ramèneraient leurs bêtes avec eux et reprendraient, imperturbables, le travail de la terre comme tous leurs ancêtres avant eux depuis des siècles, après s’être retirés provisoirement devant les razzias de l’ennemi, sachant parfaitement qu’ils auraient toujours le dernier mot alors que les pirates passaient puis disparaissaient. Les Gallois qui abandonnaient leurs maisons pour s’enfuir dans les collines à l’approche du danger ne les quittaient que pour revenir et rebâtir.

Le prince ramènerait ses hommes à Carnarvon et, de là, il renverrait ceux qui habitaient ici, à Arfon ou Anglesey, avant de poursuivre sa route jusqu’à Aber. A en croire la rumeur, il ne s’opposerait pas à ce que Cadwalader l’accompagne, et ceux qui étaient dans le secret des dieux ajoutaient que ce dernier ne tarderait pas à récupérer ses terres, du moins en partie. En dépit de tout Owain aimait son cadet et ne pourrait pas le laisser en disgrâce beaucoup plus longtemps.

— Otir a obtenu satisfaction, murmura Mark, pesant les pertes et les gains de chacun.

— On le lui avait promis.

— Je n’en disconviens pas. Le prix aurait pu être nettement plus élevé.

Il y avait du vrai là-dedans même si deux mille marcs ne suffiraient jamais à racheter la vie des trois jeunes guerriers d’Otir ni celle des amis de Gwion qu’on avait retrouvés sur le rivage, ni celle encore de Bledri ap Rhys dont l’esprit retors et calculateur lui avait valu d’être assassiné, ni enfin Gwion dont la loyauté indéfectible, obstinée avait signé l’arrêt de mort. Si on allait par là, on pouvait aussi rappeler le décès d’Anarawd, remontant à l’an passé, à l’instigation de Cadwalader, même s’il n’avait pas personnellement participé à l’embuscade.

— Owain a envoyé un courrier au chanoine Meirion pour le rassurer sur le sort de sa fille, signala Mark. Il doit savoir, à l’heure actuelle, qu’elle est en sécurité avec son promis. Le messager est parti aussitôt que Ieuan l’a ramenée au camp.

Cadfael remarqua qu’il s’était exprimé d’un ton parfaitement neutre, comme s’il tenait avant tout à s’abstenir de juger et que tout cela ne le regardait pas.

— Comment s’est-elle comportée au cours de ces dernières heures ? questionna Cadfael.

Mark pouvait décider de ne pas participer aux événements et donc de ne pas avoir à choisir entre les deux aspects d’un problème délicat, mais il était au-dessus de ses forces de renoncer à son sens de l’observation.

— En fille obéissante. Pas un mot plus haut que l’autre. Elle plaît à Ieuan. Elle plaît au prince. C’est une fiancée modèle, soumise et dotée du sens du devoir. Ieuan croit dur comme fer qu’elle vivait dans la terreur jusqu’à ce qu’il l’arrache aux mains des Danois. Elle est rassurée maintenant.

— Je me demande si la personne que vous me décrivez correspond bien à Heledd, avança Cadfael. On ne l’a pas souvent vue ainsi depuis son départ de Saint-Asaph, ce me semble.

— C’est qu’il s’en est passé des choses, depuis, suggéra Mark avec un sourire méditatif. Elle est peut-être lasse de toutes ces aventures et pas mécontente de se ranger en acceptant d’épouser un garçon plein de qualités. Vous l’avez vue. Y aurait-il un détail qui vous permette de douter de sa bonne foi ?

Cadfael dut reconnaître qu’il n’avait rien remarqué le poussant à voir les choses sous cet angle. Elle avait effectivement l’air heureux. Elle vaquait aux occupations qu’elle s’était trouvées avec le sourire, veillait sur Ieuan avec une efficacité empreinte de sérénité et elle continuait à répandre autour d’elle une lumière qui n’aurait jamais pu se rencontrer chez une femme malheureuse. On ne savait certes pas ce qu’elle mijotait et qu’elle tenait en réserve sous on air de satisfaction, mais cela ne la troublait ni ne l’inquiétait. Il était évident que Heledd voyait avec un plaisir sans mélange l’avenir qui s’ouvrait devant elle.

— Lui avez-vous parlé ? demanda Mark.

— Je n’en ai pas encore eu l’occasion.

— Vous pouvez essayer, si le cœur vous en dit Elle vient dans notre direction.

Cadfael tourna la tête et vit Heledd qui s’approchait d’eux à grandes enjambées souples en suivant la ligne de crête. On sentait qu’elle ne marchait pas au hasard et elle regardait vers le nord. Même quand elle s’arrêta auprès d’eux, ce ne fut que pour une seconde, comme un oiseau freiné en plein vol.

— Ah ! frère Cadfael, comme je suis contente de vous voir. Cela ne nous était pas arrivé depuis notre brutale séparation après que la palissade a été enfoncée.

Elle dirigea le regard vers la mer et les bateaux qui n’étaient plus que des points noirs sur l’océan scintillant. Elle ne les quittait pas un instant des yeux, comme si elle voulait les compter.

— Ils s’en sont sortis sans dommage, en définitive, avec leur argent et leurs têtes de bétail. Vous étiez présent ?

— J’étais présent.

— Ils ne m’ont jamais causé le moindre tort, dit-elle, en regardant s’éloigner la flotte, avec un léger sourire qui signifiait qu’elle se souvenait de tout. J’aurais voulu les saluer à leur départ, mais Ieuan a pensé que ça ne serait peut-être pas sage.

— Il avait raison, confirma Cadfael, sérieux comme un pape. Ça ne s’est pas exactement passé dans le calme. Et vous, où allez-vous avec cette ardeur ?

Elle inclina le visage et les regarda bien en face de ses grands yeux innocents du mauve profond des iris.

— J’ai oublié quelque chose au camp des Danois. Je partais le chercher.

— Ieuan n’y voit pas d’inconvénient ?

— J’ai son autorisation, expliqua-t-elle. Tout le monde est parti à présent.

Tout le monde étant parti, il n’était plus dangereux de laisser la fiancée durement conquise retourner dans les dunes où elle avait été retenue prisonnière sans jamais s’en rendre compte, à la vérité. Quand elle reprit sa route ils la suivirent des yeux. Elle n’avait guère qu’un mille à parcourir.

— Vous ne lui avez pas proposé de l’accompagner, nota Mark d’un air très solennel.

— Cela aurait un peu manqué d’élégance. On va lui laisser un peu d’avance. Mais après, que penseriez-vous de la suivre ?

— Vous croyez qu’elle accueillerait plus volontiers notre compagnie au retour qu’à l’aller ?

— C’est que, reconnut Cadfael, je ne suis pas sûr du tout qu’elle envisage de revenir.

Approbateur, Mark acquiesça, peu surpris.

— Ni moi non plus, dit-il.

— La marée descendait sans dénuder encore la langue de sable longue et mince qui évoquait une main et s’étendait jusqu’à la côte d’Anglesey. Sa couleur d’or pâle se devinait sous les hauts-fonds tandis que çà et là de la terre et des touffes d’herbe tenace affleuraient à la surface. Cadfael et Mark se postèrent en haut et regardèrent vers le bas comme quand ils étaient retenus prisonniers, s’attendant à voir le même spectacle se reproduire comme chaque après-midi, en l’absence de tout témoin. Ils se reculèrent même légèrement pour éviter qu’elle les remarque si elle se présentait, mais elle ne montra pas le bout de son nez. Elle regardait dans l’eau très claire, d’un vert translucide dans la lumière du soir ; elle lui montait jusqu’au genou cependant qu’elle parcourait l’étroit sentier doré pour gagner le rocher cerné par la mer, où elle aimait s’asseoir. Elle tenait dans ses mains ses jupes qu’elle n’avait pas encore réparées et elle se pencha pour observer l’eau fraîche et douce frémir autour de ses pieds nus et se rompre en ondulations sans forme, comme si elle flottait au lieu de marcher. Elle avait retiré toutes les épingles retenant ses cheveux qui descendaient en vagues noires sur ses épaules, dissimulant son visage ovale qu’elle inclinait pour voir où elle allait. Elle se déplaçait avec la grâce langoureuse d’une danseuse. Dieu sait ce qu’elle faisait ici, mais elle était venue de bonne heure et elle savait pourquoi. Mais comme il n’y avait aucune incertitude, elle avait plaisir à laisser couler le temps dans l’attente de ce qui allait arriver.

Elle s’arrêtait parfois pour que l’eau s’immobilise autour de ses jambes, puis elle se baissait pour voir son visage ardent trembler et onduler avec chaque vaguelette qui passait L’océan bougeait à peine, il n’y avait pratiquement pas de vent Mais la flottille d’Otir, à l’heure qu’il était, avait déjà dû parcourir la moitié du chemin menant à Dublin.

Sur son trône rocheux, où elle était assise, elle essora le bas de sa robe et scruta la mer. Elle attendait, sans impatience, tout à fait sûre d’elle. Naguère elle leur avait paru incommensurablement seule, abandonnée, mais c’était une illusion, même alors. Maintenant elle semblait parfaitement sereine, maîtresse de tout ce qui l’entourait, appartenant à la fois au monde de la mer et à celui du ciel. L’orbe du soleil déclinait devant elle, s’enfonçant vers l’ouest, répandant sur son visage et son corps une patine dorée.

Mince, sombre, très vif, le petit vaisseau surgit du septentrion, caché jusqu’à maintenant par le talus de la côte, au-delà des garennes sableuses de l’autre côté du détroit Il avait attendu quelque part, plus haut, au large d’Anglesey, jusqu’à ce que tombe le crépuscule. Cadfael songea en observant attentivement la scène qu’il n’y avait pas eu d’engagement, pas même verbal. Quand elle avait été enlevée par Ieuan, ils n’avaient pas eu le loisir d’échanger un seul mot. Il y avait seulement eu cette certitude qui les unissait comme quoi le drakkar viendrait et qu’elle serait là, prête à partir. Ils étaient totalement sûrs l’un de l’autre, corps et âme. A peine Heledd avait-elle retrouvé sa respiration et accepté le fait qu’elle soit tombée entre les mains des Danois, qu’elle avait apprivoisé les événements et compris aussitôt comment les choses se termineraient, car il ne pouvait en être autrement Sinon, pourquoi se serait-elle donné le mal de paraître aussi sereine, afin de désarmer les soupçons, voire même de se montrer, sans grand plaisir, à coup sûr, pour donner à Ieuan un bref moment de bonheur, qui le dédommagerait de la perte qu’il subirait de son fait La fille du chanoine Meirion avait enfin compris ce qu’elle voulait et elle ne reculerait devant rien pour atteindre son but puisque personne parmi ses compatriotes et ses maîtres ne semblait disposé à l’aider dans ce domaine.

Tel un serpent incroyablement rapide, le petit navire se rapprocha de la côte mais en évitant soigneusement de s’y échouer. Les rameurs progressaient comme un seul homme. Quand le vaisseau s’arrêta, ils le laissèrent traîner, comme un oiseau qui plane. Turcaill sauta par-dessus bord, avança dans l’eau jusqu’à la taille, se dirigeant vers l’îlot de rocher. Ses cheveux très clairs paraissaient presque roux dans le soleil couchant évoquant irrésistiblement ceux d’Owain. Quand ils tournèrent de nouveau le regard vers Heledd, ils virent qu’elle s’était levée et qu’elle était déjà en train de patauger dans la mer dont le mouvement entraînait ses jupes, telles une corolle autour d’elle. Elle rejoignit Turcaill à mi-chemin et se jeta dans ses bras. Il la souleva et la serra contre lui. Il n’y eut pas de grandes démonstrations, simplement un grand éclat de rire qui parvint jusqu’aux deux observateurs. C’était amplement suffisant, il n’y avait jamais eu d’incertitude : ces deux créatures de la mer ne pouvaient pas ne pas se retrouver.

Turcaill retournait maintenant sur ses pas et il fendait le flot pour regagner l’embarcation, portant Heledd dans ses bras. La marée, qui descendait plus vite que ne déclinait le soleil, reculait devant lui en projetant de grands jets d’embruns irisés et des petits arcs-en-ciel s’enlaçaient autour de ses jambes. Sans le moindre effort, il déposa la jeune fille sur le pont et embarqua à sa suite en s’enlevant d’un bond par-dessus le bord bas du vaisseau. Dès qu’elle eut repris l’équilibre elle pivota vers lui et l’étreignit. Ils perçurent son doux rire aigu, plus léger qu’un chant d’oiseau à cette distance, mais clair, perçant comme un joyeux carillon.

Tout le rang de rames, long et sinueux, suspendu dans l’air, plongea d’un seul coup. Le petit drakkar, dans un jaillissement d’écume, se fraya un passage à toute vitesse dans le chenal dégagé des hauts-fonds sablonneux où apparaissaient déjà des strates dorées sous le bleu mais largement assez profond pour ce navire vif comme l’éclair. Il s’éloigna à toute allure, point de plus en plus petit à l’horizon, telle une feuille emportée par le vent, vers l’Irlande et Dublin où régnaient des rois danois et où vivaient des corsaires remuants. Turcaill s’était trouvé une épouse remarquable et si les enfants qu’ils engendreraient valaient les parents, ils auraient là de formidables découvreurs d’océan.

Le chanoine Meirion n’avait pas besoin de s’inquiéter, sa fille ne reparaîtrait jamais pour mettre en péril sa situation vis-à-vis de l’évêque, ni sa réputation ni son avenir. Oui, il aimait sa fille, à sa manière, et il lui voulait probablement du bien, mais ce qu’il souhaitait avant toute chose, c’est qu’elle soit heureuse ailleurs, pas forcément loin du cœur mais loin des yeux, sans aucun doute. Il pouvait s’estimer satisfait. Il n’avait plus de raison non plus de se soucier du bonheur de son enfant, songea Cadfael, pensant à cette splendide créature et à la vie qui l’attendait Elle aussi avait eu la satisfaction de choisir l’homme qui lui convenait. Et elle s’y tiendrait, contre vents et marées, avec la même volonté que son père. Elle mesurait les choses à une aune différente et on l’imaginait mal avoir des regrets.

La petite tache noire qui fuyait dans le lointain n’était guère plus grosse qu’un point sombre sur la mer étincelante.

— Ils sont partis, constata Mark avec un léger sourire. Plus rien ne nous retient à présent.

 

Ils avaient dépassé le délai qui leur avait été alloué. Dix jours tout au plus, avait déclaré Mark, et Cadfael aurait regagné sans dommage son jardin aux simples et les malades qui requéraient ses soins. Mais qui sait si l’abbé Radulphe et monseigneur Roger de Clinton considéreraient leur escapade comme du temps perdu, au vu du résultat obtenu. Même monseigneur Gilbert serait peut-être satisfait de conserver à son service un chanoine énergique et capable, maintenant que son encombrante progéniture était passée outre-mer et que son scandaleux mariage était sorti de la mémoire collective. Tout le monde semblait heureux de la façon dont l’affaire s’était réglée, car elle eût pu se terminer dans un bain de sang. Ce qui importait à présent, c’était de revenir à une vie quotidienne normale et de laisser petit à petit les vieilles querelles, les vieilles rancunes sombrer dans l’oubli. Tout cela était maintenant du passé. Cadwalader retrouverait sa position privilégiée, sous surveillance toutefois, Owain ne pouvant pas le renier totalement. Mais il ne récupérerait pas tout son bien, il était encore trop tôt.

Gwion, qui avait été le grand perdant, recevrait une sépulture honorable, sans grand regret pour un aussi loyal serviteur de la part du suzerain qui l’avait si amèrement déçu. Cuhelyn demeurerait à Gwynedd et au fil des années, il serait probablement heureux de n’avoir pas eu à commettre un meurtre pour venger Anarawd, et de n’avoir pas porté la main sur Bledri ap Rhys. Les princes ont la possibilité de confier les viles besognes à des gens qu’ils paient pour cela. C’est leur façon ordinaire d’échapper temporairement au jugement des hommes, mais pas au dernier.

Quant à Ieuan ab Ifor, il lui faudrait renoncer à l’image trompeuse d’une épouse soumise. Heledd n’était pas taillée pour ce rôle. Il avait à peine eu le loisir de la connaître, et si sa dignité avait été froissée par son geste, il n’en aurait quand même pas le cœur brisé. Les femmes agréables ne manquaient pas à Anglesey. Il trouverait bien à se consoler, s’il se donnait simplement la peine de regarder autour de lui.

Et elle… Elle avait eu ce qu’elle désirait et se trouvait où elle avait envie d’être, non pas où les autres voulaient qu’elle soit par commodité. Quand il avait appris ce qui s’était passé, Owain avait ri de bon cœur, tout en veillant à garder une mine de circonstance en présence de Ieuan. Il ne fallait pas oublier non plus quelqu’un qui attendait à Aber de savoir comment s’était terminée l’aventure d’Heledd.

Quand le chanoine eut appris le choix d’Heledd, il poussa un soupir de soulagement de la savoir en sûreté, à moins qu’il n’ait surtout songé à sa délivrance à lui.

— Eh bien, eh bien ! s’écria-t-il enfin, en frottant nerveusement ses longues mains. Il y a une mer entre nous.

Eh oui, il pouvait respirer tranquille. Mais c’était un peu court et il ajouta avec autant de chagrin que de satisfaction :

— Je ne la reverrai jamais !

Décidément, Cadfael trouvait bien difficile de savoir quoi penser au juste du chanoine Meirion.

 

Ils parvinrent aux marches du comté au début de la soirée du second jour, et partant du principe qu’on vous pendait aussi bien pour avoir volé un œuf qu’un bœuf, ils se déroutèrent pour passer la nuit chez Hugh, à Maesbury. Les chevaux ne seraient pas fâchés de se reposer un brin, ni Hugh d’être informé le premier de ce qui s’était produit à Gwynedd et sur la façon dont l’évêque normand se débrouillait avec ses ouailles galloises. Ils auraient aussi le plaisir de passer quelques heures tranquilles en la compagnie d’Aline et Gilles dans un environnement d’autant plus agréable qu’ils se l’étaient interdit ainsi que le monde extérieur en entrant dans l’ordre.

C’est une remarque qu’il formula sans y prendre garde, alors qu’il était assis, satisfait, devant le feu aux côtés de Hugh, avec Gilles sur les genoux. Hugh s’en amusa beaucoup.

— Vous, renoncer au monde ? Alors que vous rentrez tout juste du pays de Galles où vous avez joué les aventuriers ! S’ils arrivent à vous garder un mois entier dans la clôture, même après cette excursion, ce sera un miracle ! Je vous ai vu ne pas tenir en place au bout d’une semaine. Vous savez, je me suis demandé plus d’une fois si vous ne partiriez pas un jour pour Saint-Gilles avant de finir à Jérusalem.

— Oh non ! Pas de danger ! répondit Cadfael sereinement. C’est vrai, il arrive que l’envie de reprendre la route me démange.

Il regardait sans complaisance en lui-même, et de vieux souvenirs remontaient à la surface qui, à leur façon, étaient satisfaisants. Mais le passé est le passé, il n’est jamais souhaitable d’y revenir.

— Mais quand j’y réfléchis un peu sérieusement, conclut Cadfael, avec une satisfaction profonde, toutes les routes se valent et celle qui conduit chez soi est loin d’être la pire.

 

 



[1] Voir [Cadfael-16] l’Hérétique et son commis (n°2333); dans la même collection

[2] Prononcer (approximativement) Klaneloui, le Ll initial gallois se rapprochant du ch écossais, dans loch par exemple. (N.d.T.).

[3] Prononcer (approximativement) Klou-èd. (N.d.T.)

[4] Le célibat des prêtres n’est devenu obligatoire dans la chrétienté qu’au début du XIIIe siècle. (N.d.T.)

[5] Voir [Cadfael-01] Trafic de reliques. n° 1994, dans la même collection.

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