CHAPITRE V
Lynn pleurait toujours. Kohr s’était calmé. Il regardait Zorah. La fée avait la mine sombre.
— Ce que tu nous as raconté est à peine croyable, observa-t-il.
— Et ce que je ne t’ai pas dit l’est encore plus, rétorqua Zorah. Tiens, tu veux savoir ton avenir ? Et celui de Lynn ? Et celui de Vonia, d’Elka...
— Mais...
— Ah oui ! C’est vrai que je n’ai pas le droit de te le révéler ! persifla la magicienne. Tu penses ! Si par hasard tu avais eu dans l’idée de fausser le jeu... Eh bien, en principe, tu devras passer ta vie à mener des guerres que tu désapprouveras toutes, tu collectionneras les conquêtes féminines, mais tu ne connaîtras jamais la paix... Accessoirement, tu oeuvreras au couronnement de plusieurs rois, et un beau jour, tu décideras de le devenir toi-même. Alors tu finiras misérablement, tué au détour d’une embuscade par une troupe de barbares qui te couperont à peu près tout ce qui peut être coupé en toi, si tu vois ce que je veux dire...
Kohr ouvrit une si grande bouche qu’à travers ses larmes, Lynn ne put se retenir de pouffer. Zorah lui jeta un regard torve.
— Toi, c’est pire... Tu devras effectivement quitter Kohr, qui prendra Sania pour épouse... Tu partiras errante au hasard des chemins. Tu auras ton fils – car c’est bien un fils –, une nuit de neige, dans une cabane. Mais ce fils te sera enlevé par des brigands et tu passeras le reste de ta vie à le rechercher. En vain... Tu finiras en te prostituant dans les auberges pour un quignon de pain, alcoolique et vérolée !
Ce fut au tour de Lynn de demeurer éberluée et à Kohr d’éclater de rire. Zorah elle-même se permit un sourire.
— Et Elka ! s’exclama-t-elle. Repentie un temps, elle deviendra une véritable ogresse assoiffée de sang ! Elle fera mettre à mort son fils Alithan pour régner sans partage, livrera des guerres ininterrompues et sera, très vieille, mise à mort par une de ses servantes qu’elle aura trop persécutée. De toute façon, à peu près tout le monde mourra de mort violente...
Kohr secoua la tête.
— Il me semble que les Anciens avaient du goût pour la tragédie et le sordide.
— Tu parles ! rétorqua Zorah. Et en plus, question sexe, ça les travaillait un peu ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais qu’est-ce que ça compte, le sexe, dans cette histoire ! Vous imaginez, non ? Bâtir des intrigues à partir des poils de cul des reines ! Ça, c’est le bouquet !
Elle tendit le doigt en direction du ventre de Lynn.
— Sincèrement, vous croyez qu’il existe un rapport entre des poils pubiens et la pureté des personnes de sang royal ? Allons donc !
Kohr et Lynn se regardèrent.
— A vrai dire..., marmonna Lynn.
— Bien sûr ! Et c’est comme ça pour tout. Des jouets ! Nous sommes des jouets... Tu peux tranquillement te laisser repousser la touffe, Lynn, Kohr ne t’en aimera pas moins, et tu ne seras pas bafouée pour autant.
— Mais... est-ce que je dois vraiment... épouser Sania ? demanda Kohr.
Zorah fronça les sourcils, se mordilla les lèvres.
— Ma foi, je n’en sais trop rien, répondit-elle. En principe, oui... C’est écrit dans le déroulement des événements. Mais si je suis là, c’est que j’ai l’intention de le changer, ce déroulement. Alors tout est possible. Si je vous affranchis de la tyrannie des Anciens, ce n’est pas pour y substituer la mienne.
— Je crains de ne pas bien comprendre, remarqua Kohr.
— C’est pourtant simple... Je vous propose de jouer d’une autre façon. Les Anciens sont impuissants à agir directement sur le monde, puisqu’ils ne sont que des éléments immatériels, reclus au fond du Vaisseau. Les hommes peuvent très bien, s’ils le veulent, exister par eux-mêmes. Moi, je peux les y aider... Mais ils doivent s’aider eux-mêmes. Vous pour commencer, Kohr et Lynn.
Lynn se dressa.
— Comment faire ? demanda-t-elle d’une voix tendue.
— Arasoth possède Ethi, Iladia et bien des gens. Mais pas vous... et quelques autres. Tout va se résumer à un affrontement très simple, primaire. Aussi primaire que ce qu’avaient imaginé les Anciens, mais hors de leur contrôle... Ce sera la lutte des gentils contre les méchants. De la magie blanche contre la magie noire.
— De toi contre ton frère, ajouta Lynn.
Le visage de Zorah se durcit.
— De moi contre l’être démoniaque qui possède mon frère. Ethi n’est pas entièrement responsable. Personne n’est entièrement responsable. Sauf les Anciens... et Arasoth. Il faut les anéantir les uns et l’autre... Mais ne vous leurrez pas. Les choses sont allées très loin. Je ne suis pas sûre du tout que nous pourrons l’emporter. Si nous échouons... Même les Anciens ne peuvent savoir ce qui arrivera...
Elle frissonna.
— Plutôt que de laisser Arasoth dominer ce monde, je préférerai le détruire.
Elle regarda fixement Lynn et Kohr puis ajouta, très sèche :
— J’en ai les moyens !
Kohr frappa brutalement du poing contre la muraille.
— Qu’est-ce que nous devons faire, Zorah ? demanda-t-il. Parle ! Dis-nous de quelle façon lutter !
— Car tu veux lutter ?interrogea la fée. Tu en es bien certain ?
— Bien sûr que j’en suis certain ! rugit Kohr. Puisque je suis programmé pour ça ! Mais je veux lutter pour m’affranchir, comme tu l’as dit, de tous ceux, dieux ou faux dieux, qui nous prennent pour des marionnettes et qui tirent nos ficelles.
— Moi aussi ! renchérit Lynn. Je suis révoltée, Zorah, par tout ce que tu nous as dit. Je crois... que je n’avais jamais haï jusqu’à ce jour. Je donnerais avec bonheur ma vie pour que les Anciens disparaissent !
Zorah eut un hochement de tête approbateur.
— A la bonne heure, dit-elle. Je ne sais pas si vous le réalisez, mais à l’instant, vous venez de sortir de l’histoire imaginée pour vous. Vous existez réellement.
Elle s’approcha d’eux et les embrassa chacun sur la joue.
— Vous ne direz rien de ce que vous avez appris. La plupart des gens ne le comprendraient pas. Vous continuerez à vous battre contre vos ennemis, comme vous l’avez fait jusqu’alors. Nouez des alliances, aidez Elka à abattre Ethi. Abattre Ethi, c’est affaiblir Arasoth. Le moment venu, j’agirai, à ma façon. Ce combat doit se dérouler sur deux plans. Spirituel, c’est mon domaine, et matériel, c’est le vôtre. Mais en fin de compte, au moment de la conclusion, nous nous retrouverons côte à côte... Et j’espère bien que le rideau s’abaissera sur une fin différente de celle qui avait été écrite.
Elle les embrassa à nouveau.
— Je vous aime tous les deux, souffla-t-elle. Et ça n’a rien à voir avec les obsessions lubriques des Anciens...
Kohr et Lynn esquissèrent le même geste... Mais Zorah n’était déjà plus là.
*
**
La fée s’éleva jusqu’à une prodigieuse hauteur, loin au-delà des mondes, se fondant en une constellation d’énergie cosmique, l’énergie éternelle, le temps et l’espace. Elle se rematérialisa en ce pays qui n’existait pas, où elle avait emmené Musilla pour ce sacrifice qui n’en était pas un. Là, elle redevint chair et sang. Et souffrance. Elle se mit à pleurer, tandis que le dragon Fashnir la caressait des pointes de sa langue couleur de sang.
Elle n’avait pas tout dit à Kohr.
*
**
Kohr et Lynn restèrent un long moment reclus en leur échauguette. Ils étaient sous le coup des révélations de Zorah. Ils ne parlaient pas, ne se regardaient pas. De temps en temps, leurs joues se coloraient, signe que la même colère les brûlait tous les deux. Enfin, Lynn gronda :
— J’enrage !
Kohr la prit par le bras. Ils sortirent sur la terrasse circulaire qui couronnait le donjon. Le vent les souffleta. Leurs cheveux volèrent pareillement.
— Il n’est pas question que tu penses à partir, déclara Kohr.
— Je n’en ai plus l’intention ! répliqua Lynn d’une voix tendue. Je vais rester ! Et me battre !
Il approuva.
— Je me fiche de savoir de qui est le fils que tu portes, reprit-il. A partir de cet instant, c’est le mien !
— C’est le tien.
— Et je n’épouserai pas Sania !
— Oh si, tu l’épouseras !
Il la regarda, très étonné. Elle sourit.
— Ça ne me réjouit pas vraiment, mais tu n’as pas le choix. Il te faut des alliés. Ce mariage t’en donnera. Alors marie-toi. Après tout, ce n’est pas si grave. J’ai l’habitude que tu serres d’autres femmes dans tes bras... Du moment que tu ne m’en aimes pas moins...
— Lynn...
Elle lui fit face. Ses yeux brillaient de détermination. Elle le prit par les épaules.
— Kohr, ce qui va se passer est tellement plus grave qu’une affaire de sexe, comme dirait Zorah. Il ne faut pas que notre attitude change. Je n’ai pas compris tout ce que nous a révélé Zorah, mais je devine qu’Arasoth est à l’affût de ce que nous faisons. N’éveillons pas ses soupçons... Je vais conserver mon ventre nu, bien que j’aie compris que c’était une vaste connerie...
— Lynn... Voilà que tu parles comme Zorah !
Elle eut un petit rire.
— Que veux-tu... C’est un tel changement... Donc je vais demeurer ta noble épouse, et toi tu demeureras ce chevalier fougueux, ce preux sur les épaules de qui repose l’avenir du royaume...
— Tu te moques...
— Mais non ! C’est vraiment ce que tu es, Kohr, programmé ou pas programmé. Ton courage et la noblesse de ton âme n’appartiennent qu’à toi.
Il l’enlaça.
— Lynn... Si je te perdais, je ne sais pas ce que je deviendrais.
Elle le repoussa gentiment, se haussa sur la pointe des pieds et l’embrassa au coin des lèvres.
— Tu deviendrais l’époux de Zorah d’Alkoviak, dit-elle.
— Quoi ! Mais...
— Elle est éperdument amoureuse de toi, ça crève les yeux. Il n’y a pas besoin de don magique pour s’en apercevoir. Tu sais que je vais tout de même devenir jalouse ?
Elle se campa devant lui.
— Et maintenant, nous allons descendre et nous allons faire l’amour. J’en ai une folle envie... Et il faut bien contenter les obsessions des Anciens ! Viens vite !
*
**
Kohr retrouva Molem de Sandrithar et la délégation aurienne au soir de ce jour. Le père de Gamlla ne semblait pas réjoui et lui jeta un regard assez peu amène. Kohr se dit qu’il devait s’attendre à un refus. Il vit Sania, qui se trouvait en retrait et qui le regardait, un peu pâle. Il lui sourit et inclina brièvement la tête.
— Seigneur, dit-il à Molem, la proposition que vous m’avez faite représente effectivement la meilleure alliance qui soit entre Aurias et Varik. Je l’accepte.
Molem eut une mimique d’étonnement, et son visage s’éclaircit. Kohr se dirigea vers Sania qui, de pâle, était devenue toute rouge.
— Votre main, noble dame ! ordonna-t-il.
Elle lui tendit sa main. Il la saisit, se retourna vers les Auriens et tous ceux qui s’étaient approchés, gardes, officiers.
— Moi, Kohr Varik, clama-t-il, affirme vouloir prendre la noble dame Sania de Sandrithar pour seconde épouse. Qu’il en soit fait officiellement mention dans le grand livre de la maison de Varik !
La foule applaudit. Kohr eut un petit sourire. Lynn était apparue en haut d’un escalier. Elle souriait également. Son sourire était tout de même un peu crispé !
La nouvelle du mariage de Kohr Varik fit dans le royaume de Vonia l’effet d’un coup de tonnerre. Décidément, le seigneur au Lévrier Courant était un homme imprévisible ! Alors qu’on le croyait disparu, il réapparaissait. Alors qu’on le disait inconsolable de la perte de dame Gamlla, voilà qu’il épousait la jeune soeur de cette même Gamlla... Et par-dessus le marché, voilà qu’on apprenait que sa première épouse, dame Lynn, attendait à nouveau un enfant et que les devins avaient prédit que cet enfant serait un garçon ! On n’eut pas besoin de devin pour prédire que ces nouvelles ne satisferaient guère Ethi Premier...
La salle d’armes du palais royal résonnait des échos des lames qui s’entrechoquaient, du glissement des bottes sur le dallage, des ahanements des hommes à l’entraînement. Lorsqu’Iladia parut, deux aides emportaient un soldat ensanglanté sur un brancard. L’homme râlait, un bras à demi déchiqueté malgré la cotte matelassée qu’il portait. Iladia lui jeta un regard froid, dénué de compassion.
— C’est Sa Majesté, dit le Premier Officier de la Garde.
— C’est Sa Majesté qui l’a mis dans cet état ? gloussa Iladia.
— Oui, noble dame. On dirait qu’un feu irrésistible possède votre époux. Il tire non pas comme à l’entraînement, mais comme s’il combattait pour de bon. C’est au point que personne n’ose plus l’affronter !
Iladia se redressa, toute fière. Elle portait de très hauts talons et semblait encore plus grande, plus massive. Elle n’était que mamelles, muscles et graisse, et son ventre tendait l’étoffe de sa robe à la faire craquer. Elle pénétra dans la salle d’armes. Ethi maniait l’épée contre trois adversaires en même temps, semblant se jouer de leurs assauts. Il bondissait, virevoltait, parait les attaques et portait des bottes dont la violence n’avait d’égale que l’adresse. Seul contre trois, il ne se défendait pas mais attaquait bel et bien, et repoussait ses opposants, les acculant aux murs de la salle où ils devaient subir sa furie. Il grondait et son visage était à tel point convulsé qu’Iladia eut presque du mal à le reconnaître. Son époux ressemblait à un démon !
Ethi fit voler d’un coup de revers l’épée d’un de ses trois opposants, lequel recula vivement pour éviter de se faire pourfendre. La lame du roi avait beau être émoussée, puisque ce n’était qu’une arme d’entraînement, elle pouvait faire très mal. Malheureusement pour lui, le second escrimeur n’eut pas des réflexes assez rapides, et la pointe de l’épée royale le saisit à l’angle de la mâchoire. Il y eut un craquement quand l’os se brisa. Le soldat s’effondra en hurlant, crachant des débris de dents. Sans se préoccuper de lui le moins du monde, Ethi marcha sur son dernier partenaire. Mais celui-ci jeta son arme et, levant les mains, s’écria :
— Vous êtes trop fort, Sire ! On ne peut lutter contre vous !
Ethi s’immobilisa, l’épée haute, et chacun sentit à quel point il devait lutter contre lui-même pour ne pas abattre sa lame sur sa proie désarmée. Avec un grognement de dépit, il se détourna pourtant et, pendant que l’homme soupirait de soulagement, arracha sa cotte matelassée et sa chemise. Il ruisselait de sueur, et ses muscles formaient des bourrelets sous sa peau luisante. Iladia s’approcha de lui, émue et excitée.
— Mon beau Sire, dit-elle, quelle fougue !
Ethi serra le poing, l’éleva devant le visage de son épouse.
— Mes ennemis subiront le poids de ma colère ! gronda-t-il. Ils ne pourront me résister ! Je les balaierai comme j’ai balayé ces misérables !
Il y eut des applaudissements. Iladia jeta un regard méprisant à la foule servile. Elle ne s’illusionnait pas sur les sentiments que la plupart de ces gens portaient à son mari. Ethi non plus, d’ailleurs. Mais ils s’en moquaient.
— Allons, reprit-elle. Il est temps de nous retirer. Nous avons à parler.
Ethi saisit le linge que lui tendait un serviteur et, s’épongeant le torse, il suivit sa femme. Les deux jeunes gens s’isolèrent dans une pièce basse. Là, le masque d’affabilité d’Iladia tomba, laissant la place à une expression soucieuse.
— J’ai des nouvelles d’Aurias, commença-t-elle.
Son époux grimaça un sourire.
— Iladia, s’exclama-t-il, jamais je ne me féliciterai assez de t’avoir confié toutes mes tâches de police ! Tu es plus efficace que dix ministres. Quelles sont ces nouvelles ?
— Molem de Sandrithar est en train de former des milices, prétendument pour lutter contre les barbares. En fait pour avoir des hommes prêts le jour où il se révoltera contre toi.
Les yeux d’Ethi flamboyèrent.
— Molem de Sandrithar ne perd rien pour attendre ! Ce n’est pas parce que sa deuxième putain a épousé Kohr Varik qu’il pourra vaincre Vonia ! Je les anéantirai tous ! Quoi d’autre ?
— Il se confirme qu’il a offert en dot à sa fille tout le pays de Tacan... C’est donc Kohr qui en devient le seigneur.
— Tacan ! Une des plus riches provinces d’Aurias...
— Oui... Des revenus supplémentaires pour Kohr... Et donc des possibilités de lever des mercenaires, d’équiper des bataillons... Quoique rien, pour l’heure, n’indique qu’il s’apprête à réunir une armée.
— En es-tu sûre ?
— Oui... Kohr ne s’occupe que des affaires de son comté. Certes, il n’a pas démobilisé ses troupes, mais il n’en a pas mobilisé de nouvelles. Rien dans son attitude ne laisse deviner d’hostilité à ton égard.
— C’est de la comédie. Il me hait ! Il veut ma perte !
Iladia haussa les épaules. Ethi s’abîma un instant dans ses réflexions. Puis il releva la tête.
— Je vais déclarer illégale la donation du pays de Tacan à Sania de Sandrithar, puisque son père n’est pas venu me prêter hommage. J’en profiterai pour convoquer à nouveau Kohr à Vonia. Lui non plus ne m’a pas rendu hommage. S’il ne vient pas, je le déclarerai félon !
— C’est beaucoup... Etre déclaré félon juste parce qu’on ne rend pas hommage... Surtout qu’il trouvera de bonnes excuses pour ne pas venir. Tu risquerais d’indisposer d’autres seigneurs qui ne sont pas venus non plus à Vonia.
— Je m’en moque ! Je suis le roi ! Je ne tolérerai pas que l’on se gausse de mon autorité ! J’ai vaincu les barbares, je vaincrai pareillement les rebelles !
Ethi leva les poings vers le ciel et partit d’un éclat de rire fou.
— Je ne redoute personne ! J’ai le plus puissant des alliés ! Avec lui, je dominerai le monde !
Iladia ouvrait de grands yeux. Son mari se calma brusquement et lui jeta un regard pénétrant.
— Je vais légaliser le culte d’Arasoth, annonça-t-il d’une voix très froide, presque indifférente.
La jeune femme resta un moment sans voix. Quand elle put enfin parler à nouveau, elle bégayait :
— Le... eu... culte d’Arasoth ?
Ethi se détourna, enfila une chemise. Il n’était plus le même. Il semblait rayonner. Mais l’aura qui émanait de lui fit presque peur à sa compagne. Iladia se demanda si son époux n’était pas devenu fou.
— Le dieu m’est apparu, reprit-il tout à coup. Il m’a révélé la vérité. Lui seul possède le Pouvoir et la Puissance. Lui seul est Force et Conquête... Lui seul est avec moi !
— Mais Ethi... ce n’est pas possible, gémit Iladia. Tu...
— Silence, truie !
Son époux s’était retourné vers elle, le visage convulsé. Il leva le poing. Elle recula vivement. Jamais encore il ne l’avait menacée ou frappée, sauf dans leurs jeux amoureux. Mais cette fois, il semblait prêt à la battre.
— Ne profère pas une parole contre le Souverain Dieu ! gronda-t-il. Ne t’en avise surtout pas ! Je t’offrirais en sacrifice à sa Toute-Puissance...
Iladia se le tint pour dit. Elle n’en revenait pas ! Ethi adepte du Nouveau Culte ! Mais comment avait-il pu le devenir ? Jamais il ne lui avait laissé deviner qu’il pût être attiré par Arasoth... Jamais il ne lui avait même laissé deviner qu’il pût être sensible à quelque forme de religion que ce fût. En ce sens, ils se ressemblaient tous deux. Point de bigoterie dans leur attitude, point de fanatisme, juste ce qu’il fallait de respect apparent pour ne pas fâcher le clergé. Qu’avait-il bien pu se passer ?
Comme s’il voulait répondre à sa question, Ethi reprit :
— Les humains sont faibles, veules et mesquins. Seule la puissance d’Arasoth peut les transcender, leur donner la dimension spirituelle. Arasoth fera de moi le plus grand conquérant de tous les temps. Il armera mon glaive et guidera mes armées. Arasoth m’offrira tous les peuples ennemis de Vonia. Je lui sacrifierai le roi Gaur de Tehlan ! Je lui sacrifierai Kohr Varik ! Je lui sacrifierai des troupeaux d’esclaves, et en échange, il me donnera toutes les richesses !
Le coeur d’Iladia cognait à grands coups. Elle se moquait bien d’Arasoth, ne cherchait pas à savoir s’il existait ou n’était qu’une légende revenue de la nuit des temps. Mais quelle importance ? S’il existait et s’il donnait à Ethi tout ce qu’Ethi désirait, alors elle l’adorerait, lui ferait bâtir des temples, lui sacrifierait des hommes, des femmes et des enfants ! Iladia, épouse d’Ethi Premier, Empereur du Monde...
Ethi eut un sourire féroce.
— Arasoth veut du sang, continua-t-il. Il m’a désigné deux victimes. Je vais les lui offrir... Ce sont ton père et ton frère... Et Arasoth m’offrira les seigneuries de Terram !
Iladia ne cilla même pas.
— Qu’il en soit fait ainsi, conclut-elle.