CHAPITRE XII

Lorsque s’ébranlèrent les deux armées, celle des coalisés et celle d’Ethi Premier de Xanta, les chroniqueurs rapportent que le temps suspendit son cours. Les vents cessèrent de souffler, les rivières de couler, les feuilles des arbres de bruire.

Monta vers les cieux une grande clameur, poussée par vingt mille gorges. Un roulement de tonnerre couvrit la plaine, écho des glaives heurtant les boucliers d’airain, des sabots des destriers sur le roc, des cordes des arcs envoyant les premières volées de flèches ou de carreaux. La grêle de traits obscurcit l’éclat du soleil et fit croire à chacun que la nuit était tombée, désireuse d’engloutir ces hordes humaines qui allaient en découdre.

Comme toujours, la vérité est assez différente...

Il y eut certes des clameurs, des volées de flèches et des claquements de sabots, mais les deux armées ne s’ébranlèrent nullement en ordre, marchant héroïquement l’une contre l’autre. La bataille d’Alkoviak débuta dans une autre dimension.

*

**

Arasoth fondit du fond de l’infini, poussière d’énergie maléfique se concentrant et acquérant une force égale à celle de tous les malheurs qu’elle avait provoqués. Ce fut comme un éclair de feu invisible qui avança, tel un raz-de-marée, venant des ténèbres. La Dame d’Alkoviak était son but, l’ultime bataille sa soif. La destruction de tout ce que pouvait être la magie blanche. De tout ce qui lui faisait encore obstacle.

Arasoth plongea sur la forêt magique d’Alkoviak, hurlant une imprécation. Arasoth n’avait plus besoin d’une enveloppe humaine pour investir ces lieux interdits. Il n’avait plus besoin de se parer de la vivante dépouille du duc Perth de Xanta pour s’en aller violer la Dame...

Arasoth était tout.

Mais la Dame d’Alkoviak n’était pas là...

L’aile droite de l’armée royale chargea en ligne, à l’assaut de l’aile gauche de l’armée coalisée. Celle-ci ne bougea pas.

Le terrain était difficile. De plus, fidèle à sa tactique habituelle, Kohr l’avait fait truffer de pièges, de chausse-trapes, de fossés garnis de pieux acérés. Il avait même fait détourner un ruisseau de façon à former des douves enserrant l’éminence au sommet de laquelle ses piquiers attendaient.

L’élan des royaux se ralentit avant même que les hommes en soient venus à portée d’arc. Les fantassins s’embrochèrent sur les obstacles semés devant eux et la cavalerie se trouva arrêtée par les fossés. Un grand désordre régna au sein des rangs attaquant, et les chevaliers se mirent à pourfendre la piétaille qui barrait le passage, proférant des torrents d’injures et de blasphèmes.

Alors des pavillons montèrent, au-dessus des rangs des coalisés, des trompes sonnèrent. Les rangs des piquiers s’ouvrirent et des sapeurs avancèrent, tirant de lourdes machines de jet. Les fléaux se détendirent et des charges enflammées traversèrent les nues pour retomber sur les bataillons royaux en pleine débandade. Un grand incendie se développa sur la plaine, s’alimentant de l’herbe sèche et faisant reculer les soldats aux prises avec les pièges, nombre d’entre eux se retournant contre leurs officiers qui les pressaient d’aller de l’avant.

Quand les flammes baissèrent, des centaines de cadavres calcinés gisaient en contrebas. Ethi, qui avait assisté, blême, à l’échec de sa première attaque, ordonna alors à son aile gauche d’avancer. Les trompes sonnèrent et les hommes se mirent en marche.

Le terrain était assez différent, en cet endroit de la plaine bordant la forêt. C’était par là que, plusieurs années auparavant, Zorah, grelottante et nue, était arrivée en ces lieux initiatiques ([10]). Des vallons encaissés se succédaient, coupant des collines aux croupes arrondies. La végétation était rabougrie, sèche, et des serpents couraient sur le sol. A peine les soldats royaux se furent-ils engagés dans ce labyrinthe naturel que se produisit un grand prodige. Du sol pourtant sec s’éleva un brouillard, d’abord léger, puis s’épaississant jusqu’à devenir une brume si opaque que les fantassins ne pouvaient même plus distinguer les enseignes de leurs régiments, leurs officiers à cheval ou même leurs voisins sur la ligne de marche. Les appels de trompes se firent assourdis, puis inaudibles. Les hommes se hélèrent les uns les autres, désorientés, bientôt inquiets, à la fin en proie à la panique. Ils se heurtaient entre eux et les épées jaillissaient, faisaient couler le sang avant que ne soient échangés mots de passe et paroles de reconnaissance. Des échos de galop se faisaient entendre, mais nul cavalier n’apparaissait. Les lances frappaient le vide... Seules les volutes de brume s’offraient aux coups. Aux yeux affolés des soldats, elles se peuplaient de présences évanescentes, fugitives, impalpables. Les hommes voyaient soudain briller des yeux rouges, entendaient des ricanements. Ils levaient la hache, distinguaient une tête hirsute, cornue, coiffée d’un bonnet, qui leur faisait des grimaces. Ils reculaient, en proie à la peur, ou se précipitaient au contraire en avant, mus par cette même peur. Mais les créatures de la brume s’étaient déjà évanouies, et ils ne découvraient que le vide et toujours la brume, toujours l’inconnu.

Ils étaient prisonniers d’un monde qui n’existait pas.

Ils jetèrent leurs armes et éclatèrent en lamentations...

*

**

— Zorah ! hurla Arasoth. Je sais que tu es là ! Montre-toi, maudite sorcière ! Ose m’affronter, que je te renvoie au néant ! Viens ! Je t’attends !

Zorah ne vint pas. Arasoth la sentait toute proche, mais ne parvenait pas à la localiser. Elle était partout et nulle part, ni chair, ni esprit.

Arasoth sentit la peur l’envahir. Non pas la peur de son ennemie, mais la peur de l’incompréhension. Ce n’était pas possible. Il était omniscience. Il était dieu. Un dieu ne pouvait douter. Un dieu devait savoir, tout savoir.

Un dieu ne pouvait douter qu’il soit dieu...

Soudain, des présences se manifestèrent. Arasoth en perçut l’empreinte sans même les voir. Il sut qui elles étaient et où elles se trouvaient.

Il se matérialisa en un souffle ardent et se lança à leur poursuite, hurlant sa haine.

*

**

La route poudroyait à l’infini. Les motos l’occupaient sur toute sa largeur. Pareils à des centaures bardés de cuir et d’acier, les Anges filaient, penchés sur leurs guidons, les jeans, les bottes, les cuirs enserrant les réservoirs, fouettés par la chaleur des cylindres et la poussière soulevée par le vent et la vitesse.

La bande négocia une large courbe, dans le rugissement des moteurs. Ce fut Mala qui aperçut la première, encore éloignés mais convergeant rapidement vers la chaussée, les tourbillons de sable.

— Le voilà, émit-elle télépathiquement pour ses compagnons.

Les motards se contentèrent d’accélérer un peu plus. Pendant un moment, le temps parut se suspendre. Mais les tourbillons approchaient de plus en plus vite. Bientôt, les enfants purent distinguer ce qui les produisait.

Des engins de cauchemar, montés sur de gigantesques roues tout-terrain, occupés par d’impossibles créatures bardées d’acier, armées jusqu’aux dents et qui leur adressaient des gestes menaçants.

— Le vieux salaud a compris comment jouer, émit Hérol.

— C’est ce qu’il croit, rétorqua sa soeur.

Un moment, la route des véhicules tout-terrain et celle des motos furent parallèles. Puis, brusquement, les engins se lancèrent à l’abordage.

L’un d’eux coupa la route de biais, escaladant le talus dans un grand saut. Il retomba juste derrière la Honda qui fermait la marche, accéléra violemment pour la rattraper et la percuter. Mais l’Ange avait également accéléré, et sa roue arrière se déroba au pare-chocs taillé dans un rail d’acier.

Une flèche barbelée vola, frôla le conducteur du tout-terrain, se planta dans la poitrine de son passager. Celui-ci n’en fut pas le moins du monde affecté et, sans s’en préoccuper, entreprit de braquer sur les machines filant comme le vent un gigantesque lance-flammes...

Zorah plana au-dessus de la plaine.

— C’est parti pour Mad Max, s’écria-t-elle.

Mais cette fois, ses références cinématographiques ne la faisaient pas rire du tout. Elle détourna son regard et ses pensées pour résister à la tentation d’aller porter secours aux enfants. Elle ne le pouvait pas. Leur sacrifice lui permettrait d’accomplir l’acte capital dans sa lutte à mort contre le démon. Rien d’autre que cet acte ne devait compter.

Elle ignora volontairement la gerbe de feu qui nimba la petite Mianie  – petite ? Elle en avait fait une belle nana de vingt piges avec des nichons comme des obus ! — et l’envoya, comète enflammée, s’écraser contre un panneau publicitaire vantant une marque de chewing-gum...

Le temps et l’espace se figèrent en traits de lumière autour de Zorah. Son corps improbable muta, son aspect se transforma.

Elle se matérialisa dans la forêt d’Alkoviak, nue sous son manteau noir, ses amulettes aux poignets et aux chevilles. Les échos de la bataille entre Kohr et Ethi lui parvinrent, assourdis. Elle se mit à courir, et la route magique s’ouvrit devant elle. Seule concession à la fantaisie, elle l’avait pavée de briques jaunes ([11]).

Kohr contre-attaqua alors que le brouillard, sur sa droite, était au plus épais et que les troupes d’Ethi, qu’il avait vues y pénétrer, n’en sortaient pas. Ce brouillard était magique, pour sûr, et il y reconnaissait l’influence de Zorah. Il n’avait plus eu de contact avec la fée, depuis son étrange voyage dans son monde artificiel, depuis qu’ils avaient fait l’amour dans « l’automobile ». Mais il savait que Zorah ne l’abandonnerait pas. Elle ne l’abandonnerait pas après avoir fait périr son fils...

Il fallait profiter de l’occasion. Kohr n’avait pas prévu d’attaquer si tôt. Il aurait voulu qu’Ethi use ses forces contre ses défenses avant de quitter ses positions pour fondre sur lui. Mais il savait improviser. Il se tourna vers ses officiers et ordonna :

— Que les archers et les arbalétriers à cheval chargent.

Quelques instants plus tard, ses rapides et légers cavaliers partaient au grand galop en direction des rangs royaux en pleine confusion. Les archers et arbalétriers à cheval étaient une spécialité tehlane, qui avait donné bien du fil à retordre aux généraux voniens durant la précédente guerre. Ils montaient à deux de puissants destriers, d’une race qu’on ne connaissait pas à Vonia, et ne portaient pas d’armure. Choisis pour leur petite taille et leur poids réduit, ils étaient aussi rapides et mobiles que des cavaliers classiques. Le premier dirigeait la monture, le second vidait ses flèches ou ses carreaux sur l’ennemi. En groupes, ils se relayaient à l’assaut, ceux qui venaient de décocher leurs traits se retirant pour réarmer arcs ou arbalètes, pendant que d’autres, à leur tour, participaient à l’attaque. De ce fait, ils maintenaient une pression constante sur leurs adversaires, leur infligeant de lourdes pertes, eux-mêmes trop vifs pour en subir d’importantes.

Kohr s’avança à l’extrême bord de l’éminence sur laquelle il se trouvait, à cheval, en compagnie d’Elka et de ses principaux chefs de guerre. Il put suivre la manoeuvre des mercenaires tehlans. Ils faisaient merveille, virevoltant le long des rangs des royaux et leur décochant trait sur trait, insensibles aux javelots qui, sporadiquement, montaient vers eux.

Rapidement, les lignes royales plièrent. Les soldats ne pouvaient tenir en face de cette grêle mortelle. On en voyait qui tournaient les talons et s’enfuyaient, jetant leurs armes.

— Il faut charger, seigneur ! dit un des officiers. C’est le moment d’enfoncer l’ennemi !

Les autres nobles firent chorus. Elka elle-même joignit sa voix aux leurs. Mais Kohr secoua la tête.

— Non... pas encore, répliqua-t-il.

— Mais...

— Voyez !

Il tendit le bras. On put apercevoir un nuage de poussière qui s’élevait, sur les arrières de l’armée royale.

— Qu’est-ce que c’est ? interrogea Elka, anxieuse.

— C’est Ethi qui charge à la tête de sa chevalerie.

— Mais...

— Que l’on sonne la retraite !

— Quoi ?

Le cri avait été unanime. Kohr se tourna vers ses chefs de guerre, le visage dur.

— Que l’on sonne la retraite ! martela-t-il. Obéissez ! Que l’on ordonne à nos hommes de s’écarter et de laisser passer l’ennemi !

Les chefs étaient statufiés.

— Cela ne se peut ! s’exclama Len Tobhor. Refuser le combat...

Kohr talonna son cheval, se précipita sur lui et, d’une poigne de fer, le saisit à la gorge.

— Je suis votre général ! gronda-t-il. Obéissez à mes ordres où je vous fais pendre !

— O... obéissez à votre général ! balbutia Elka. Il sait ce... ce qu’il fait !

— Vite ! pressa encore le jeune seigneur. Il n’est que temps !

Les officiers éperonnèrent leurs montures et, dégringolant de l’éminence, rallièrent leurs unités. Kohr resta seul en compagnie d’Elka et de leurs aides de camp.

— J’espère que tu sais réellement ce que tu fais, observa la reine. Je n’ai jamais entendu parler d’une aussi singulière façon de combattre.

Son compagnon ne répliqua pas. Dressé sur ses étriers, il suivait anxieusement les mouvements de ses troupes. Après un temps qui lui parut interminable, alors qu’Ethi et ses cavaliers approchaient, il les vit enfin se scinder, ménageant un large couloir entre les diverses unités.

Un couloir qui menait droit vers l’orée de la forêt d’Alkoviak.

*

**

La tente était bien gardée. Au moins une escouade d’archers l’encerclait, tous les hommes tenant une flèche encochée. Mais pour Zorah, ce n’était pas un problème. Ils ne la virent tout simplement pas quand elle passa devant eux et entra dans l’abri.

Lynn se trouvait là, en compagnie d’Alithan et de plusieurs dames d’atours. Les dames d’atours ne la virent pas plus que les gardes. Par contre, Alithan et Lynn tressaillirent. Lynn esquissa même un geste vers le poignard accroché à sa ceinture avant de reconnaître la fée.

— Zorah ! s’exclama-t-elle. Que viens-tu faire ici ?

Zorah ne la regardait pas. Elle ne considérait qu’Alithan.

— Je suis venue chercher le jeune prince, répondit-elle. Il vient avec moi.

Lynn se redressa. Instinctivement, elle se plaça devant le garçonnet.

— Mais... pourquoi ? se récria-t-elle. Il n’en avait pas été convenu...

Zorah lui jeta un coup d’oeil impatient.

— Je ne suis pas obligée de tout vous révéler, rétorqua-t-elle. Il me faut Alithan.

— Mais...

— Pour faire venir Arasoth à moi.

Lynn se raidit.

— Tu veux utiliser... le fils de Kohr comme appât ! Je ne te laisserai pas faire !

La fée eut un petit sourire.

— Crois-tu réellement pouvoir m’en empêcher ?

Son interlocutrice était livide.

— Tu ne peux pas faire ça ! s’écria-t-elle. C’est... c’est trop dangereux ! Si Arasoth te vainc... l’enfant est perdu !

Zorah haussa les épaules.

— Si Arasoth me vainc, répliqua-t-elle, de toute manière, Alithan est perdu. Et le monde avec lui ! Allons... Tu sais bien que si je pouvais agir différemment, je le ferais. Mais c’est impossible. Il me faut Alithan !

— Tu ne l’auras pas !

Zorah devint toute rouge. Elle allait répliquer. Mais soudain, elle se figea, comme aux aguets. Une grande pâleur fit suite à l’empourprement de ses traits.

— Bordel, il est en train de comprendre ! Nom de dieu, Lynn, tu me laisses passer, oui ou merde ?

— Non !

— Alors, tant pis pour toi !

La magicienne tendit les mains alors que Lynn dégainait son poignard. La jeune femme fut soulevée du sol et retomba, inerte, sur un amoncellement de coussins. Les dames d’atours ne semblèrent pas le voir. Elles devisaient entre elles, comme si de rien n’était.

— Tu l’as tuée ? demanda Alithan à la fée. Si tu as fait ça, tu es méchante ! Je l’aime, moi, Lynn...

Zorah s’agenouilla devant le petit garçon, lui posa les mains sur les épaules.

— Non, je ne l’ai pas tuée, répondit-elle. Moi aussi, j’aime beaucoup Lynn... Mais il faut que tu viennes avec moi, et elle ne voulait pas.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle voulait te protéger... Maintenant, tu dois me faire confiance, Alithan. Je suis celle qui vous a toujours aidés... C’est moi qui ai envoyé les enfants auprès de toi. Tu te souviens des enfants ?

— Bien sûr. Ils étaient très gentils avec moi...

Les yeux du garçonnet s’éclairèrent tout à coup.

— Je te reconnais ! s’écria-t-il. Tu es la dame qui avait un loup, dans une grande forêt... Mais... tu n’es plus tout à fait pareille...

— Oui, acquiesça Zorah d’une voix tendue, impatiente, j’ai changé. Mais je reste ton amie... Il faut que tu me suives. Tu veux bien ?

Alithan marqua une hésitation. Puis, après un dernier regard à Lynn, inerte, il hocha la tête.

— Je veux bien.

— Alors prends ma main... Et n’aie peur de rien.

Le petit prince donna sa menotte à Zorah. L’instant d’après, tous deux avaient disparu.

*

**

C’était presque trop facile. Arasoth se demandait pourquoi. Il s’amusait tellement ! Etait-il possible que ces maudits enfants, qui avaient pu naguère le tenir en échec, soient devenus à ce point vulnérable à ses coups ? Magie grandiose du Mal... Cette force nouvelle lui venait du sacrifice du fils d’Ethi. Elle faisait couler du feu en lui !

Pourquoi avait-il accepté de rentrer dans ce jeu puéril ? Pourquoi avoir suivi Zorah sur son terrain ? Quel enfantillage que ces transmutations, ces créations intemporelles, ces références à des précédents obscurs et ludiques ? Arasoth savait que rien de ce qui se déroulait sous ses yeux n’était vrai, mais ces illusions lui plaisaient tant qu’il les faisait siennes. Zorah avait voulu qu’ils se mesurent dans ce désert inexistant, sur cette route imaginaire... Eh bien, soit... Il acceptait le combat. A sa manière à elle.

Et il le gagnait.

Arasoth s’était mué en cette meute de zombies à bord de leurs engins rugissants. Il était à la fois les pilotes, les tireurs mais aussi les carrosseries, les moteurs, les pneus. Il était les flèches qui jaillissaient des arcs, le feu qui rugissait à la gueule des lance-flammes. Il était tout.

Son rôle préféré.

Les enfants – Anges de la route  – n’étaient plus que cinq. Quatre... L’un d’eux venait superbement de se viander ! Oh, la parabole de son corps volant dans le décor et se brisant sur le sol tandis que la moto filait dans une gerbe d’étincelles et explosait contre une borne kilométrique... Zorah, tu es une réalisatrice de génie ! Ce que je peux rigoler ! Attendez, les autres ! Un petit coup de volant du buggy de tête qui va vous couper la route. Je vois le crash d’ici...

Et brusquement, tout s’éclaircit dans l’esprit du démon.

Les tout-terrains stoppèrent dans le même nuage de poussière. Les zombies se figèrent dans une totale immobilité, grotesquement surpris en plein mouvement. Les projectiles retombèrent sur le sol, leur élan brisé. Les flammes se tarirent.

Les quatre Anges survivants pilèrent dans un grincement de freins, les roues arrière des motos dérapant sur l’asphalte. Ils firent aussitôt demi-tour, les moteurs rugirent. Les machines sautèrent les fossés, accélérèrent dans la plaine en zigzaguant.

Hérol se leva sur les repose-pieds, et de ses yeux jaillit une lueur qui alla frapper le premier buggy immobilisé. L’engin explosa, et les zombies furent réduits en bouillie sans avoir esquissé un mouvement pour se défendre.

Hérol, Mala et leurs deux compagnons remontèrent les files des véhicules du démon, les faisant sauter les uns après les autres. Quand le dernier ne fut plus qu’un champignon de flammes et de fumée, les quatre Anges se regroupèrent. Ils haletaient. Ils se regardèrent... et se dissipèrent dans l’espace-temps.

Mais Arasoth avait déjà quitté le champ de bataille.

Il poursuivait une image. Celle de Zorah et d’un enfant.

L’enfant unique.

*

**

Pareils à des monstres d’acier, les premiers rangs des chevaliers royaux traversèrent la plaine d’Alkoviak. Le sol trembla sous le galop de leurs destriers, et l’éclat de leurs armes surpassa celui du soleil. Les lances s’abaissèrent et les épées se levèrent pour frapper.

Le vide.

Il n’y avait rien devant leur folle ruée. Rien que les taillis de la forêt interdite, où, sur leur élan, ils pénétrèrent profondément.

Alors se produisit un prodige.

Il n’y eut plus de forêt. Plus d’arbres, plus de taillis, plus de champs de ronces. Plus de rochers tapissés de mousse, plus de souches exposant leurs moignons de branches décharnés.

Il n’y eut qu’un gouffre s’ouvrant sur rien.

Les chevaliers y plongèrent et disparurent dans le néant.

Les ballades du temps futur
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