Portrait de Marie Leszczyńska… sous le nom de Thémire
par Madame du Deffand
« Thémire a beaucoup d’esprit, le coeur sensible, l’humeur douce, la figure intéressante.
Son éducation lui a imprimé dans l’âme une piété si véritable qu’elle est devenue un sentiment en elle et qu’elle lui sert à régler tous les autres.
Thémire aime Dieu, et immédiatement après, tout ce qui est aimable ; elle sait accorder les choses agréables et les choses solides ; elle s’en occupe successivement et les fait quelquefois aller ensemble.
Ses vertus ont, pour ainsi dire, le germe et la pointe des passions.
Elle joint à une pureté de moeurs admirable une sensibilité extrême ; à la plus grande modestie, un désir de plaire qui suffirait seul pour y réussir.
Son discernement lui fait démêler tous les travers et sentir tous les ridicules ; sa bonté, sa charité les lui font supporter sans impatience, et lui permettent rarement d’en rire.
Les agréments ont tant de pouvoir sur Thémire qu’ils lui font souvent tolérer les plus grands défauts ; elle accorde son estime aux personnes vertueuses, son penchant l’entraîne vers celles qui sont aimables : cette faiblesse, si c’en est une, est peut-être ce qui rend Thémire charmante.
Quand on a le bonheur de connaître Thémire, on quitterait tout pour elle ; l’espérance de lui plaire ne paraît point une chimère.
Le respect qu’elle inspire tient plus à ses vertus qu’à sa dignité ; il n’interdit ni ne refroidit point l’âme et les sens ; on a toute la liberté de son esprit avec elle ; on le doit à la pénétration et à la délicatesse du sien ; elle entend si promptement et si finement qu’il est facile de lui communiquer toutes les idées qu’on veut, sans s’écarter de la circonspection que son rang exige.
On oublie, en voyant Thémire, qu’il puisse y avoir d’autres grandeurs, d’autres élévations que celles des sentiments. On se laisserait presque aller à l’illusion de croire qu’il n’y a d’intervalle d’elle à nous que la supériorité de son mérite ; mais un fatal réveil nous apprendrait que cette Thémire si parfaite, si aimable, c’est... »

Lettre de la Marquise du Deffand à Horace Walpole,
1812, T. IV, pp. 449-450.